Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

lundi 31 janvier 2011

UN AIR DE LIBERTE : « le vin, le vent, la vie ».

C’est au crépuscule de l’année 2011 que le monde arabe a enfin parlé. A l’heure où le monde occidental, cirrhosé d’immobilisme, se ronge en silence de ses crises spéculatives. À l’heure où l’indigeste brouillade sociale, truffée d’individualisme outrancier, tente de se défaire, impuissante, d’un cancer qui se généralise…

Ce peuple arabe, écartelé entre l’islamisme radical et la corruption de ses gouvernants est pris dans l’étau de son histoire. Même bâillonné, son identité existe belle est bien. Pourtant, des fondements de son fonctionnement nous ignorons presque tout. Plus le temps passe, plus l’histoire s’effrite. Des vacances charter dans des clubs à Djerba ou Marrakech, nous nous reposons. Des entreprises téléphoniques et autres usines textiles délocalisées, nous achetons. De la main tendue française à ses bas-dirigeants, nous oublions. D’une lointaine idée de l’islam et de la culture arabe nous nous effrayons. Les amalgames pleuvent et les jugements moraux se durcissent. La peur de tout gouverne.

En arbitre, la Chine travaille, sans chanter, et se réchauffe péniblement du lointain halo de liberté, porté par l’embrasement du monde qui change et ne sait plus s’embrasser. Le peuple ivoirien patauge, quant à lui, dans un immobilisme alarmant. Anémié, il maigrit d’isolement et lentement se fait dévorer par le ténia hybride sensé le protéger.

Aucune histoire ne résiste au temps, me diriez-vous. Son usure n’est que la notre à tous. Pourtant il existe des histoires sans fin. Comme pour la musique, des thèmes perpétuellement infinis. Leurs limites n’étant que l’ombre de leurs débuts.

En France, la petite brochure de Stephane Hessel bat des records de vente (plus de 100 000 exemplaires vendus en quelques mois). «Indignez-vous!» nous conjure t-il, en prenant la voie poignante d’un messager testamentaire de l’histoire du XXe siècle, déjà oubliée et pourtant si près.
La Tunisie s’est indignee. Pas seulement… Elle a fait! L’indignation est un sentiment particulier, il faut en convenir. Le message de ce jeune homme de 93 ans ne peut que faire réfléchir les masses. Encore faut-il avoir les bonnes lunettes en le lisant. Il me semble que l’intérêt de cet ouvrage réside, avant toute chose, dans la prise de conscience du refus de l’inacceptable. D’accord. Donc oui, il faudrait s’indigner. Contre tous ceux qui remettent en question les libertés, contre les fanatismes religieux, contre la corruption des bien assis, muselant les enfants de la nation à l’agonie, contre le silence aussi… et tout ce qui ne peux se dissoudre sans une révolte effervescente. Mais de quelles manières réussir à engager son indignation créatrice sans craindre le chaos ? Comment prendre en considération tous les héroïques ressentiments de n’importe quel tout venant, sur n’importe qui, n’importe quoi, et n’importe quand ? Peut-on appeler ce sentiment stérile révolte quand il n’engage que de l’égoïsme ?

Si l’indignation a un talon d’Achille c’est, à mon sens, dans l’immobile inaptitude à se renouveler et ainsi donc à créer. Puisqu’il faut s’indigner pour puiser une énergie stimulante et défendre une opinion, il faut aussi remettre en question chacune de ses indignations et les confronter à une connaissance, qui n’appartient pas seulement à la colère brute. Retirons alors du mot indignation toute notion de scandale. La révolte doit servir l’ensemble d’une cause.

Cherchant des clefs de compréhension sur les futurs du monde arabe – pas uniquement de la Tunisie d’aujourd’hui et de l’Egypte de demain –, j’en viens à perdre patience et à souhaiter le renouveau tant attendu, pour lesquels ces femmes et hommes se battent, cœurs serrés, bouches ouvertes. Une irrésistible onde de choc se propage. Sa portée sismique est encore inconnue. Comment éviter alors le chaos ?
La prière des affranchis, véritablement volcan populaire en effusion, prend une nouvelle voie collective. « Le peuple avance comme l’éclair, le peuple est montagnes, le peuples est mers, un volcan qui gonde, une tempête qui creuse la terre des tombes » chantait avec fierté Oum Kalsoum, il y a plus de cinquante ans ; juste après que l’Egypte se soit affranchie de l’humiliation colonialiste : ancien dictat aujourd’hui incarné dans une lanterne rouge d’auto culpabilité qu’on ne cesse de nous brandir sans aucune mesure pour obtenir silence – voir consentement. L’histoire est-elle une science morale ? Me demandais-je. Certainement pas.

Devant les turpitudes du néant, j’acceptais de me laisser guider par la voie tournoyante de Dhafer Youssef. Une de celle qui descend des profondeurs de la terre et frôle par son esprit inspiré la chevelure d’Aphrodite. L’exaltation spirituelle qui émane du chant ne donne pas de réponses immédiates. Elle nous guide dans notre cheminement interne conduisant au plaisir. On y entendrait les clameurs de la foule. Le monde arabe tout entier. Celui qui croit en l’homme avant tout autre chose.
Homme des frontières, après avoir habité des univers musicaux toujours très métissés, l’esthète à la voie de tête puise son inspiration en ressuscitant l’impétueuse abnégation du poète arabo-persan Abû Nawâs, en une longue fresque sonore que l’on parcourt comme un grimoire sacré. Dans un dédale poétique de liberté, une touchante suite en trois parties vient jalonner ce parcours musical incantatoire. Une ode inspirée à la savoureuse ivresse de la terre sableuse des Côtes Rôties.
L’ensemble de sa Rhapsody, inspirée par les poèmes bachiques khamriyyat d’Abu Nawâs, est également l’enfant d’un mariage musical. Entre l’impressionnante voix de tête du jazzman tunisien et le toucher, tour à tour divin, tendre et rugueux, de l’impétueux pianiste arménien Tigran Hamassyan, une complicité mystique s’installe. Véritable funambule des sons, ce jeune pianiste iranien a l’émotive force de ses ambitions. Son nouvel opus solo, A Fable, tout fraichement paru, confirme l'inspiration du jeune homme. Cette collaboration scellera un tournant majeur dans la carrière du musicien soufi qui, dans sa danse mystique, partage avec trois complices virtuoses une certaine idée du concept de liberté, cher à l’identité du jazz. Sur le fil des sensibilités, l'oudiste voyageur joue les funambules, tournoyant avec sa voie comme derviches tourneurs sur le sol.

« Dans cet univers hédoniste et dissipé, chaque instrumentiste tournoie, repousse ses propres horizons pour créer cette fusion, toute en couleurs, en lignes de faille et en jouissances, qui relie sacré et profane »

Ah-le-jazz-îra vers l’inexploré ! La révolution des sens mène à la clarté. Comme une introspection sur nous même, un voyage mystique sur la brèche, un kinopanorama de l’en dedans, qui s’étend de sa gravité la plus profonde à ses extrêmes cris de vie. Nous sommes tout autant à Teboulba, dans sa ville natale couleur bougainvilliers, qu’en Europe, dans le nord scandinave d’un bleu éthéré.

Le minimalisme musical de cet artiste n’est pour autant aucunement simpliste. Il est évocateur par dans ses silences et percussif dans son discours. C’est une essence concrète, un condensé d’émotions cristallines. Passerelle entre l’Orient et l’Occident, le sucre et le sel, le doux et le violent, cette musique de jouvence trouve son souffle dans l’hypnotique juxtaposition du soufisme acoustique et du jazz ascétique.
Tout comme dans les textes du poète Abû Nâwas, le phrasé mélodique de Dhafer Youssef est animé par une indignation particulière, comme une colère qui ne se verrait pas. « Je me sens comme un miroir d’Abû Nawâs », déclare Dhafer Youssef. « Je veux vivre avec ma foi sans m’interdire les plaisirs de la vie »
Les deux hommes se situent dans un espace temps infini où la créative révolte est constamment évoquée sans jamais n’être dite. Jamais résigné, le poète arabo-persan écrit d’une plume ovni, encore aujourd’hui en valse avec le vent dans le tournoiement de l’histoire présente. Tout au long de sa vie d’épicurien savant, il prenait plaisir dans son combat. Contestataire par la dérision, il se plaisait à scandaliser pour réveiller ceux qui n’avaient pas le choix. Les foudres du Khâlife tout puissant, Hârûn al-Rachîd, n’y changèrent rien. Le garant de la parole de Dieu n’avait pas d’armes assez déguisées pour combattre ses mots déguisés. Personne n’était visé, excepté ceux qui s’en défendaient. Aux humains de demeurer simplement humain voulait-il dire.

BLASPHÈME
Ibrahim an-Nazzam, nous tient de vrais propos blasphématoires.
Il me surpasse en athéisme et son hérésie est notoire.
Lui dit-on : « Que bois-tu ? »,
Il répond : « Dans mon verre ! »
Lui dit-on : « Qu’aimes-tu ? »
Il répond : « Par-derrière ! »
« Et que délaisses-tu ?»
Réponse : « La prière ! »
On lui dit : « Que crains-tu ? »
Il dit : « Rien que la mer ! »
On lui dit : « Que dis-tu ? »
Il dit : « Ce qui est mal ! »
Puisse Dieu le brûler dans le feu infernal !

Abû Nawâs.

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