Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

vendredi 25 février 2011

THE AYNSLEY DUNBAR RETALIATION -
« La Revanche » du blues anglais. Trois disques et un inédit !







« Aysley Dunbar Retaliation »(1968) - Opus 1.

A la sortie du premier album de Aynsley Dunbar Retaliation, son leader a déjà derrière lui quelques grandes heures de musique dans les baguettes. Après avoir joué dans des combos de Jazz et de Rock locaux à Liverpool, Dunbar a tenté sa chance à Londres et joué avec Alexis Korner avant d’être recruté par John Mayall. Il participera ainsi à l’enregistrement de l’un des albums légendaires du British Blues : A Hard Road (1967) avec Peter Green et John McVie.

N’ayant pas pu devenir le batteur de Hendrix, qui choisit au dernier moment Mitch Michell à ses dépends, Dunbar décide, en 1967, de créer son propre groupe qu’il baptise The Retaliation (« La Revanche »), en clin d’œil à John Mayall qui l’avait évincé des Bluesbreakers après avoir jugé son jeu « trop personnel ». Et ce premier album éponyme d’Aylsey Dunbar Retaliation l’est effectivement, personnel… Il est à la fois typiquement dans la veine du blues anglais de l’époque (à l’instar de son grand concurrent de l’époque Chicken Shack) mais également d’une inspiration décalée. Les influences sont nombreuses mais toujours dans l’unité.

Il suffit d’écouter les premières mesures de l’étonnant « Aynsley Dunbar Retaliation » pour comprendre qu’il s’agit d’un disque de blues hors du commun. Aux confins de la musique afro-américaine et du jazz new Orléans, cet « hymne », inspiré par une antique chanson de travail des prisons sudistes, surprend par son ton léger et sa mélodie sifflée. On entend les cailloux se briser sur le blues des bagnards. Pourtant Watch ‘n’ Chain n’est qu’un prologue annonçant la richesse minimaliste d’une formation enfiévrée par le génie de son leader. Le jeu de Dunbar est libre, jazzy, pêchu, d’une finesse et d’une richesse rare. L’écoute de son solo sur le dernier morceau Mutiny révèle l’art créatif et décalé de ce batteur aux influences diverses.
L’atmosphère créée par Aynsley Dunbar permettra ainsi de libérer le meilleur de sa formation : un cornet éclate et ressuscite le jazz New-Orléans de Louis Armstrong… Le chanteur Victor Brox déploie finement tout son talent de trompettiste, de guitariste et d’organiste. La rondeur et la fluidité du jeu de guitare de John Moorshead (rappelant d’ailleurs celle de Peter Green qu’il avait remplacé au sein des Shotgun Express) vient caresser la surprenante expressivité et la profondeur de chant de Brox, lui aussi vétéran de la scène du Blues britannique.
Quant à la rythmique d’Alex Dmochowski, à la basse, elle confère à ces Blues délicats et inspirés un balancement irrésistible. On jugera du talent de cet homme en écoutant le swing claquant de Sage Of Sydney Street subtilement porté par le tintement des balais. On peut penser au jeu de Steve Thompson dans le fameux The Turning Point, de Mayall, sortit l’année d’après.

L’étonnante pochette – réalisée par le studio Hypgnosis – est à l’image de cet album : La révélation de l’imaginaire. Si l’idée initiale était de prendre une photo du groupe et de son reflet dans un lac, le vent inattendu ridant la surface de l’eau et le résultat du montage s’avérèrent finalement être à l’origine d’un trompe l’œil préfigurant les futures productions du plus célèbre designer de la culture Rock…

Tantôt dépouillée et psyché, tantôt ronde et chaude, l’émotion qui émane de ce disque est une nouvelle découverte à chaque écoute…du Grand blues ! Le premier opus de ce groupe éphémère est une belle introduction au merveilleux Doctor Dunbar’s Prescription qui suivra l’année suivante.






A noter : il existerait également des bandes inédites d’un concert donné en 1967 au Blue Horizon Club et dont la rumeur prétend qu’elles pourraient bien être éditées prochainement.


lundi 21 février 2011

Ed Thigpen (1930-2010) : Un coup de tonnerre !

Le 28 décembre 1930, 850 kilomètres séparaient le petit Edmund Leonard – naissant sous la pluie froide de Chicago – de son père, Ben Thigpen – vivant à Kansas City, en plein cœur de la Tornado Alley.
Dès sa plus tendre enfance, Ed. ne fut bercé que d’une obsession : aller voir jouer le swing Band d’Andy Kirk et de ses « Clouds of Joy ». Le nuage du temps c’était son papa. Cumulo nimbés d’Erythrée ; tonnerre ou pluie fine ; stratus à la voilure cotonnée, tintant de nouvelles ballades orléannes. Pendant 17 années, la pluie et le beau temps du swing s’appelaient Thigpen.

Adolescent, c’est sur un tempo prestissimo que le jeune Edmund parcourt les états désunis d’Amérique, enclins aux bouleversements culturels des années 40. Un nouveau son. Un nouveau rythme.

Sa mère l’emmène vivre au soleil, sur la terre des anges de Californie. A la Thomas Jefferson High School il fait la rencontre d’Art Farmer, de Dexter Gordon et de Chico Hamilton, avec qui il étudia le sujet du jazz.
Désormais installé à St Louis, père Thigpen décide de jeter un regard sur la formation de son jeune cirrus, a présent lui aussi muni de matraques revanchardes. Il le prend sous son aile. Le forme et le condense.

Il a 21 ans lors de son premier engagement en tant que musicien professionnel. New York City, l’antre de la salle de bal du Savoy et le prestigieux orchestre de Cootie Williams lui ouvrent les portes de la renommée. Ed. est , dès ses débuts, un incroyable batteur de Big Band. Dinah Washington, Gil Melle, Johnny Hodges font appel au toucher onctueux de « Mr. Taste ». Paradoxalement adepte dans l’art du trio, il porte dans la nuance les pianos de Lennie Tristano, Jutta Hipp, de Bud Powell, puis, à partir de 1956, de Billy Taylor. C’est en 1959 qu’il remplace le guitariste Herb Ellis dans le trio d'Oscar Peterson et participe ainsi à la grande ascension musicale du pianiste québécois jusqu’en 1965.

Exposé aux côtés de virtuoses, la personnalité de fils Thigpen se construit autour des détails insoupçonnables de son port de balais, de la tendre souplesse dans sa gestuelle et de la discrète sobriété de son jeu. A l’aise dans tout type de formation, grande ou réduite. Accompagnateur soft de trio ou diligence fiévreuse de Big Band, comme son père, Ed. excelle dans l’ombre. Toujours en arrière, sa concentration laisse perler sur son front ivoire de grosses gouttes de swing.

Puis il décide de tout remettre en question, de sortir de l’ombre. Tout se chamboule dans son esprit. En 1964, son ami Elvin Jones avait osé clamer un chant nouveau, aux allures d’ « Amour Suprême ». Il avait ouvert la voix. Les rêves enfouis d’Ed. Thigpen pouvaient enfin s’émanciper en trouvant une voie d’expression nouvelle, plus libre. Pour la première fois en temps que leader, il s’entoure du producteur Creed Taylor et d’une formation inspirée pour mettre en place un projet conceptuel explosif : Out of the Storm.


Quand Ed. sort de son rêve éveillé, il reprend son chemin d’outsider et porte l’irremplaçable voix d’Ella de 1967 à 1972. Toujours en quête de changements, il part finalement s’installer au Danemark, collabore avec nombres d’artistes et ne part plus. Son voyage devient imaginaire…



Projet troposphérique : Out of the Storm !





Recorded for Verve at Van Gelder Recording Studio, Englewood Cliffs, New Jersey on April 18-20, 1966.

BooOOUuuUMM. Tchhick Tchhhick BooOuUUm ! Tchh tchhh tcchhh…. Tchh tchhhh tchhhhh… doo-yu, doo-yu, doo-yu.

Au-delà de la tempête, dans le calme profond de la mer, un équipage métissé embarque sur des eaux inexplorées. Voici un enregistrement au climat étrange, d’une expressivité sensorielle naturaliste. La musique est l’action. C’est un personnage tumultueux, une époque, un lieu au bouquet explosif. Le musicien, scénariste et réalisateur de l’impalpable, porte le rythme de la mélodie comme s’il s’agissait de descriptions verbales. Véritable coloriste du temps, sa palette varie en luminosité d’une façon si soudaine que notre pupille dilatée est en proie à ses émotions les plus instantanées. Du bleu de cyan, azur, nous plongeons dans les mélancoliques abîmes du midnight blues.

La réverbération des couleurs du ciel miroite dans la mer agitée son flow constellé d’embruns kaléidoscopiques. L’odeur du limon vient harmonieusement chatouiller nos narines, ballottées par ce grain sonore poivré. La folie en vergue, nous cheminons sur les routes océaniennes du Stalker. Nous suivons le sillage d’une corne de brume tournoyante et mélancolique. Le chant des sirènes nous réchauffe au loin de sa troublante féminité. Et c'est le cri d’un peuple galérien qui prend possession d’un navire à la dérive. Écoutez les bastingages crissant, les pâles voilures gorgées au vent. Bercé par le clapotis des vagues sur la coque de noix, la soudaine inspiration fait surface, claire et voluptueuse. D’apparence transparente et paisible, nous pénétrons sans protection dans une danse mystique au groove sous-marin, dans le swing du monde minéral.

En prenant l’allure d’un véritable accomplissement personnel, toutes les ambitions du batteur soliste, son émancipation musicale et sa fougue, se cristallisent en 32 minutes d’enregistrement, seulement. Le rapport à la composition pour un batteur est chose particulière. Trahison de style avec son père, Ed. nouait en silence une admiration infinie pour "Philly" Joe Jones, Kenny Clarke et leurs incessantes prises de liberté. « Le rythme vient d’en bas » disait-il. Il remonte comme la sève et circule dans chaque parcelle de notre corps jusqu’à notre cerveau, qui le régénère jusqu’à ses racines.

Body and Soul laissent s’échapper les bruits de son activité. Raucité, growls, souffles, cris, fortes respirations et soupirs. Suaves frémissements de balais. Affectueuses caresses sur les peaux animales qui, détendues, sont soudainement rouées de coups de baguettes, de coudes et de mains. Chimérique atmosphère si tristement enjouée. Un curieux sentiment de perte de contrôle… Le corps fuyant, l’esprit en résistance, entre les deux un lien palpable : le souffle d’un battement d’aile.

Cette si particulière jouissance corporelle n’est à aucun moment gaspillée. Elle n’est dépensée que dans l’objet d’une énergie créatrice, introspective et physique. « La musique offre aux passions le moyen de jouir d’elles-mêmes » disait Nietzsche.
L’intervention du corps est mise au service du rendu sonore, de la surprise du son de jouvence. Il réside dans cette musique quelque chose d’organique qui tient à nombres d’éléments, notamment à la sonorité des instruments et à l’éventail des possibilités déployées. En effet, tout le potentiel expressif est développé au cours de cette tumultueuse croisière.

Nous assistons à un discours prolixe entre cymbales et tomes. Tous les moyens sont bons pour donner vie à ces compositions expressionnistes. Baguettes mailloches mains nues. Grondements des profondeurs océanes. Coups de pieds. De coude. Syncope. Suspension. Brisure. Battements. Caresses. Bonds et rebonds du swing en ses multiples rapports de tension et de détente ; de ralentis et d’accélérés dont l’effet peut aller de la régularité métronomique à celui de la secousse, de l’ébranlement, voir du séisme du corps et du discours.

C’est au cours d’une tournée en Italie, en 1965, qu’Ed. découvrit un tambour, manufacturé par les ateliers Miazzi, dont la peau était dépressible à l’aide d’une pédale. Ce nouvel élément lui permettait non seulement de s’accorder mais également de faire varier le son d’un tome au cours d’un morceau et de changer ainsi de tonalité, comme sur une timbale. Son langage devient alors tout aussi rythmique que mélodique. Temps du spasme, de la crise d’asthme. Puis délicieuse délivrance d’une respiration libérée. Calme plat. Quiétude d’une mer huilée de Géricault.

Le nuage se dissipe. Toujours présente, en son origine diluée, une « Afrique Fantôme » cartographiée par Leiris. Son noir bleuté danse et résonne, gémit et rit, dans les tréfonds de la mélodie. On pourrait parler d’une beauté tribale convulsive. Notre corps référent se balance ou titube. Le tohu-bohu de son cœur nous transmet une pulsation affolante, chamanique, profondément vivante.
Entraînés dans la courbure sonore des drums, chaque instrument trouve une place pour servir le discours. On ne parle pas pour ne rien dire. On échange. Converse en communion. Par pincées.

Première personne appelée : Clark Terry. Son goût pour l’aventure et sa capacité à réagir en se nourrissant de l’instant, firent de lui un des piliers de ce voyage sonore. A la trompette, au bugle, à la voix ou à l’embouchure seule, la fibre respiratoire humanise la rythmique et lui donne parole. Mise en abîme de l’abstraction sonore, ELBOW AND MOUTH forment un couple hallucinatoire. Clark Terry, le goéland dans la tempête, se sert de son embouchure seule pour donner un climat vaporeux contrastant avec la profondeur abyssale du jeu de batterie.
Par ailleurs, Ed souhaitait enregistrer à nouveau avec Kenny Burrell. Ils s’étaient rencontrés quelques années auparavant, lors de l’enregistrement de la gracieuse chanteuse et pianiste Blossom Dearie : Sings Comden and Green (Universal, Music Jazz). La fine broderie, minutieusement tissée par le magicien volubile aux doigts de velours crée un équilibre et apporte une touche de rondeur.
Puis, c’est le producteur Creed Taylor qui proposa d’appeler Herbie Hancock et Ron Carter pour soutenir l'équipage en goguette. La corde sensible de la voix de Clarke en apesanteur et l'effleurement des grelins du piano d’Herbie s'entremêlent. Le manche entenaillé à sa contrebasse, Ron Carter fouille ses écoutes comme s'il s'agissait de ses propres tripes. La respiration lourde, dégoulinant sur le plancher, il écoute les boucles suaves et les nœuds liquoreux des filins de la guitare... Tout n’est cordes et beauté.

Out of the storm, l’O.M.N.I (Objet Musical Non Identifié), est-il l'un de ces mystagogues révélateur de l'âme, celui qui accompagne les hommes vers leurs chemins illuminés ? Prenons la mesure du temps. Regardons-le progressivement se colorer comme une fresque vivante !

Loïs Ognar.

mercredi 16 février 2011

Lullaby (bye) of Birdland.

La musique pleure la disparition de son Lord anglais, Sir George Shearing, ce lundi 14 février. Sur sa route, l’homme avait été immortalisé par la plume de Kérouac, figure divine de l’écriture improvisée. Dans la froideur polaire de New-York, une incandescente berceuse, agile et pétillante, plane en suspend.

91 années de vie, plus de 300 compositions (« 295 restent ignorées », disait-il avec humour).
Aveugle de naissance, sa musique était, par contraste, singulièrement visionnaire, palpable et descriptive. Son inspiration entièrement au service de la « simple » clarté musicale …
Sa patte c’était son toucher ; au cœur de ses compositions : la délicatesse. Il avait été inspiré par Fats Wallers et Teddy Wilson. Il aimait aussi le cuivre de la trompette courbée de Dizzy. Et par-dessus tout, les successions de claquements d’hanches de l’orchestre de Glenn Miller. Sa célèbre technique du « block chord » viendra sûrement de là. J’écoute ses amoureuses dissonances se superposer si mélodiquement. Guitare, piano en accord tendu, et vibraphone, tous trois conversant au même moment, sans discorde, comme dans une toccata de Bach. Ses compositions conjuguaient avec harmonie les empreintes du swing, du bebop avec celles des pianistes-compositeurs européens, russes, du début de siècle.

Né dans une famille ouvrière de Londres, il débuta le piano dès l’âge de 3 ans. Ses dispositions auditives et son inspiration mélodique furent tout de suite décelées. Il joua alors dans les pubs du quartier avant d'entrer, dans les années 1930, dans un orchestre d'aveugles, puis de toucher un public plus large par la radio.
De 1935 à 1943 il avait joué avec Stéphane Grappelli et Django, à Londres, en Europe. Puis il avait émigré aux Etats-Unis en 1947, pour ne plus partir. Très vite, il y avait monté un célèbre quintet, comprenant notamment vibraphone, basse et guitare. Son premier succès. La reprise de September in the rain.
L'écriture musicale lui est facile. C’est en l’espace de dix minutes que son imaginaire transposa en musique une vision de « la terre des oiseaux ». Un standard chanté, joué, sifflé… par tous. Lullaby of Birdland. 1952… Un accident – un de plus ! – de l’histoire du jazz. Expérimentés ou novices, quel musicien ne s’est pas, un soir, amusé avec cette swinguante mélopée. Ella la faisait tellement bien, comme si la chanson était dans sa nature depuis toujours !

« Dans les années 50, George Shearing a ouvert une voie nouvelle pour moi comme pour d'autres, je pense notamment au Modern Jazz Quartet. Même les pianistes d'aujourd'hui ont une dette envers lui » confie Dave Brubeck. En effet, le George Shearing Quintet imposa un son nouveau, qui fut l'annonciateur visionnaire du Modern Jazz Quartet, entre autre. Cette manière cool de prolonger la fièvre du bebop sera sublimée dans le phrasé de Bill Evans.

Ce n'est qu'en 1978 qu'il se résolut à dissoudre son Quintet (qui garda ce nom malgré l'ajout d'un percussionniste), près de trente ans après ses débuts. Au cours des trois dernières décennies, il s'illustra particulièrement dans des duos piano-contrebasse et des faces à faces piano-piano (entre autre avec le regretté Hank Jones).
Avant de voir sa santé trébucher, il était revenu en 2004 avec une autobiographie de qualité : Lullabies of Birdland, bande son d'une vie d'artiste.

Sa musique si délicate avait séduite Frank Sinatra, Peggy Lee, Mel Tormé, Nancy Wilson, ou Carmen McRae. Ils s’étaient tous essayés à déchiffrer son certain regard du jazz. Je pense à cette beautiful friendship enregistrée en 1961. La voluptueuse voix de Nat King Cole enrobe l’appétissant piano au sucre cristallin. Sa recette idéale pour être un bon musicien était « un bon public, un bon piano, un bon feeling, ce qui n'est pas tous les jours le lot de tout un chacun ».

Loïs Ognar.









ON THE ROAD.


“[…]The place was deserted, we were the first customers, ten o’clock.
Shearing came out, blind, led by the hand to his keyboard. He was a
distinguished looking Englishman with a stiff white collar, slightly beefy,
blond, with a delicate English summer’s night air about him that came out
in the first rippling sweet number he played as the bass player leaned to
him reverently and thrummed the beat. The drummer, Denzel Best, sat
motionlessly except for his wrists snapping the brushes. And Shearing began
to rock; a smile broke over his ecstatic face; he began to rock in the
piano seat, back and forth, slowly at first, then the beat went up, he
began rocking fast, his left foot jumped up with every beat, his neck began
to rock crookedly, he brought his face down to the keys, he pushed his hair
back, his combed hair dissolved, he began to sweat. The music picked up.
The bass player hunched over and socked it in, faster and faster. It seemed
faster and faster, that’s all. Shearing began to play his chords; they
rolled out of the piano in great rich showers, you’d think the man wouldn’t
have time to line them up. It rolled and rolled like the sea. Folks yelled
for him to “Go!” Neal was sweating; the sweat poured down his collar.”There
he is! That’s him! Old God! Old God Shearing! Yes! Yes! Yes!” And Shearing
was conscious of the madman behind him, he could hear every one of Neal’s
gasps and imprecations, he could sense it though he couldn’t see. “That’s
right” Neal said. “Yes!” Shearing smile ; he rocked. Shearing rose from the
piano dripping with sweat ; those were his great days before he became cool
and commercial. When he was gone, Neal pointed to the empty piano seat.
“God’s empty chair” he said. On the piano a horn sat; its golden shadow
made a strange reflection along the desert caravan painted on the wall
behind the drums. God was gone; it was the silence of his departure… ».

Jack Kerouac.

vendredi 11 février 2011

HOME IS WHERE MUSIC IS - STAN GETZ

"The story goes that one day God announced he wished to play a
musical instrument and so he choose the tenor saxophone because to
him, it sounded closest to the sound of an angelic voice.
An angel nearby hearing God suggested he listen to a Stan Getz
recording which God did. After listening to a tune or two God
declared that he had decided to choose another instrument. When the
angel asked God why he had changed his mind God paused, smiled
broadly, and answered...”Because I have heard the voice of
perfection”."
R.I.P. Stan


Michael J. Simonetti, May 15th 2009, Guest Book Comment.


« Aquarius » Stan Getz 02-02-1927 se fit offrir un saxophone alto de 35 $ le 16-02-1940.
A Philadelphie, l’enfant de Février ouvrit « THE VOICE ».
Atlantique – Pacifique. L’appel d’un son blanc « kool » au menthol. Woody Herman & The brothers, Zoot, Herbie, Serge.
Stupéfiant souffle suédois éveillant les frémissements de l’orme. Nomade aux saxophoniques substances sonores.
Saudade. Rio. Douce cadence. La susurrante diction de João lui fait goûter le fruit de l’amour. Rouge et fiévreuse Guarana-Getz. Juste trop sucré pour qu’on en ait toujours envie. Une Nouvelle Vague fait gonfler l’océan cotonné de son chant feutré. L’amour des femmes, sa solitude. La déchirure peut-elle être aussi douce ?

Abandon
Kenny Baron.
Ardent désir de l’inouï
Jimmy Rowles.
Transcendance des chemins nouveaux
Bill Evans.
Croire à nouveau en la première fois
Et effacer les mots les notes à l’éponge.

D’une villa de Malibu plane la douce complainte époumonée… Plus de vie sans souffle. Le saxophone boit la tasse et noie son désespoir dans l’improvisation inspirée d’une vie mélodieuse.

Ses cendres dispersées au vent, avec son ami – l’oiseau de métal – au milieu du Pacifique. Je les imagine. Les éléments les emportant, poussières d’azur. Le cygne cuivré, bec et hanche liés, et le Rimbaud du jazz, plongent dans les abysses d’une muse océane. Tant de fois ils se sont embrassés. En voyage, son âme fantomatique au ciel bleu prisonnière, susurre dans son tournoiement l’affable mélancolie d’une vie raffinée. The Sound devenu peacock au souffle ouaté, laisse les traces d’une émotion infinie.


FOCUS



En 1961, de retour aux Etats-Unis, à 34 ans, Stan Getz s’affirme dans la quête de son expressivité. D’un son déterminé et volubile, il enregistre au Webster Hall NYC un projet marqué qui n’a de pareil dans l’histoire de la musique contemporaine. FOCUS. Le point d’attraction, son centre de gravitation : le saxophone. Soliste émérite, Stan Getz attire dans son « chant magnétique » un orchestre à corde, composé de dix violons, deux altos, deux violoncelles, d’une contrebasse et d’une harpe. Roy, « The Royal of Haynes », suit les partitions et y dépose sa touche si légendaire sur le premier titre I’m late, I’m late (l’effervescence urbaine en carte et ses tumultueux chemins de traverses).

FOCUS se construisit en deux temps, sur une double technique de composition. Le canevas, écrit et arrangé par Eddie Sauter, fut enregistré, en studio, une année avant la session définitive. Longtemps en friche dans l’esprit du compositeur et arrangeur swing, ce n’est seulement qu’à 46 ans qu’il mena à bout l’écriture de ces sept tableaux sonores. Dans le souci du détail et du raffinement, le travail de composition est une œuvre maîtrisée de bout en bout. Eddie Sauter, coloriste du genre humain, avait à l’esprit une œuvre à l’âme moderne, révélant l’évolution des codes musicaux à travers les bouleversements sociétaux. Comme un témoignage auditif de fin de millénaire, la notion de temporalité est matrice de cette création.
Après avoir pris connaissance de la mélodie orchestrale, Stan demanda à Eddie s’il pouvait essayer d’improviser sur sa musique. Pas une note n’avait été écrite pour servir un instrument soliste. Cette musique n’avait pas – encore – vocation à accompagner. Condition sine qua non du compositeur : ne pas revenir sur son écriture ; ne pas dénaturer le sens mélodique.

Il ne donna au saxophoniste émérite qu’un conseil, avant le premier enregistrement improvisé : « Essaye de faire ce que tu ressens de bon, au bon moment ». C’est ainsi que Stan Getz partit de ce travail, écrit, pour trouver son intervalle de discussion. Telle est la richesse de ce projet ; chaque thème est une clef permettant d’ouvrir des bow-windows sur des espaces de lyrisme colorés.

Brodé de méticuleux silences, S.G se lance et parvient à s’oublier. Son timbre pur et velouté laisse entendre la voix d’un sage. Il est de ceux que l’on reconnaît dès la première inspiration. Impressionniste des courbes mélodiques, il se déploie de spontanéité. Le souffle tournoyant prend si soudainement de l’amplitude et de l’ardeur que, lorsqu’il flirte avec les silences, nous pouvons entendre grésiller son bec ; grelotter ses clefs.

L’épreuve du geste et du hasard est partie prenante de cet ambitieux projet où l’intarissable notion de Temps est omniprésente. Mis à l’épreuve, sans cesse, le tempo et la durée se divisent et s’entrechoquent. Le musicien, improviste de l’instant, repousse la nature du temps et de sa durée. Nous aussi, auditeurs, nous sentons chahuter notre en-dedans. Les renflements de cordes en decrescendo, les abruptes nappes rythmiques, les ostinato, instaurent une atmosphère palpable, une certaine idée du swing. Bonds et rebonds, en ces multiples rapports de tension et de détente, il me semble percevoir l’ébranlement du corps et du discours. Tout accélère dans une poussée convulsive nette qui, subrepticement, nous enveloppe dans un imaginaire debussien. Alléger le don de la musique par la vitesse. La purifier dans la lenteur. Patience et impatience d’un discours à deux voix qui se superposent sans jamais s’annuler. La focale nette, Getz repense chaque morceau sur le vif. Il en contrarie le déroulement, leur donne de l’amplitude. Contre les cordes, comme oiseau sous la pluie, il éclaire la partition de son souffle diaphane et lui confère une mystérieuse splendeur.

Focus ébloui. Comme un instantané Cartier-Bresson, sa libre beauté irradie de toute son élégance. La soul ondoyante de ce ballet sonore prend sa source à la fontaine de Falla. On pense au printemps sacré, à Béla Bartók et aux allégoriques tableaux Moussorskiens. Par sa fluidité lyrique, son sens de l’écoute et de l’adaptation, "The Sound" insuffle cette magique symbiose entre la musique écrite, vieille de plus de trois siècles, et celle du folklore noir américain, devenue en l’espace de 50 ans la moelle épinière de toutes les musiques modernes.

Des contraintes naissent les inventions…