Trois mois pour rappeler la musique du siècle. C'était au Quai Branly, du 17 mars au 28 juin 2009. La civilisation du jazz y été représentée. Un labyrinthique parcours tissant finement la fibre culturelle du siècle le plus près. Le musée n'est-il pas originellement dédié aux arts premiers ?
De quelle façon les arts plastiques du XXe siècle ont été sensibles à l'effet du jazz des origines, jusque dans la nature de leurs évolutions contemporaines ?
Collections d'affiches art déco sur une rythmique tico-tico ; des photos frénétiques à la Carl Van Vechten ; de Matisse à Mondrian, Leger ; déambulation de pochettes à la Note Bleue, free, des éclaboussures de Pollock drippées ; J'avais vu Man Ray aux baguettes ; l'ombre de Cassavetes qui filmait sans diriger ; des cagettes façon Basquiat à la mode King Zulu ; j'avais vu le Jazz : l'abstraction Hip. A travers cette compilation d'images fondues, je contemplais l'impalpable couleur d'une culture populaire et vindicative, universelle et identitaire. Vermeille d'un art aussi beau majeur que mineur.
L'exposition, riche et délectable, terminait en clin d'oeil passionné : l'écho d'une musique posée sur l'ère contemporaine, la présence du jazz dans l'avenir ?
Rendre Visible l'Homme Invisible.
Inspiré du roman Invisible Man de Ralph Ellison - écrit en 1952 -, ce tableau-photo de Jeff Wall illustre une culture noire, anarchiste et méditative. Après une émeute, sur les bords de Harlem, un homme tombe dans une cave à charbon. Il décide de suspendre 1369 ampoules – raccordées illégalement au réseau électrique de la ville – pour séjourner, seul, à l'écart d'une société blanche qui, de toute façon, ne le vois pas. Sans le savoir, c'est elle qui nous permettra de le voir. Dos à l'objectif, la lumière l'envahit. Il observe, absent, un phonographe marginal ; semble absorbé par une musique profonde... Un air de jazz se visualise. Comme c'est magique. Il s'agit d'une chanson de Louis Armstrong. Je jurerais entendre What did I Do To Be So Black and Blue...
L'homme noir, assis demi-dos, emprunte une attitude introspective. La face A de la galette 380g est terminée. Le diamant tourne maintenant dans le vide. De son sillage, on imagine un long silence remplit de questions, l'oeil comme retourné en dedans. Les mains sont occupées, mécaniquement, a astiquer une ampoule éteinte. Son corps est au centre, mais au loin.
A vrai dire, le premier regard n'y prêterait pas attention. Une simple intervention humaine, quasi fantomatique. Le lieu inonde le physique pour symboliser – sans visage ni gesticulations – l'esprit. Les turpitudes de l'homme noir se situent dans ce huit-clos. Son linge, sa vaisselle, son embauchoir perdu, ce tapis circulaire et ses canalisations. Toute sa clandestinité dans un 25m².
Avant d'avoir vu la pièce, on entre dans sa musique. Les choses apparaissent nettoyées lorsqu'on réécoute plusieurs fois, la pupille des yeux grande éclairée.
On retrouve ici les thèmes de prédilection du photographe nord américain, l’absorption, la marginalité, l’exclusion et une subtile évocation de l’extraordinaire… Comme pour l'auteur Ellison, le symbole est absolument indissociable de la réalité dans l'oeuvre de Jeff Wall.
Jazzmen de l'objectif.
Peindre la vie moderne. Capturer le mouvement. Le représenter en grand format, sur des supports lumineux, comme des grandes publicités fluorescentes. Jouer avec les perceptions de la réalité. Modeler le visuel. Tel est le Dada de JEFF WALL, artiste conceptuel émergeant au milieu des années 70.
Il substitue le Paris de la fin du XIXe siècle par le Vancouver de la fin du XXe siècle et choisit le support photographique comme outil de représentation.
La démarche conceptuelle de JEFF WALL est aux antipodes de la spontanéité instantanée, de la composition intuitive ou du travail automatique. Ses créations d'espaces sont le résultat de très nombreuses prises qu'il corrige, retravaille et assemble ensuite. Les scènes et les décors sont reconstruits en studio tandis que les personnages sont des acteurs qui prennent la pose, des semaines durant, comme devant un peintre obssessionel. Nombres de photographies sont inspirées d'œuvres d'art classiques, réinterprétées par le prisme photographique. On retrouve Goya, Velasquez, Manet (Un bar aux folies bergères) ou encore Delacroix (La mort de Sardanapale). D'autres font échos à des romans, évoquent des films, des musiques ; mais jamais il ne s'agit de simplement illustrer. chacune de ses mises en scène est minutieusement agencée pour donner une impression finale inscrite dans l'illusoire réalité. Est-on si loin de la photo-documentaire ?
L'artiste dira lui-même que son travail est de transmettre la représentation de l'évènement, pas de figurer la réalité.
Les mises en scène de la vie quotidienne de Jeff Wall sont des captures d'Histoire qui nient les images glamours et lisses de la télévision. Ces représentations mouvantes s’inscrivent toutes dans un avant et un après. Une histoire de conséquences pourrait-on dire. Il utilise d'ailleurs la vidéo pour personnaliser sa photographie. Encore et toujours, l’obsession du mouvement et de l'instant figé se confrontent au regard illuminé d'un artiste qui compose une mélodie du regard.
Destroyed Room, photo-box, 1978. |
Merci, très utile pour mon devoir d'analyse sur cette photographie !
RépondreSupprimer