Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

mercredi 25 janvier 2012

La révélation vocale : Gregory PORTER, le prêcheur.

Il était venu présenter son premier disque à l'automne 2011. Si son titre phare, 1960 WHAT ?, était devenu ma musique de chevet, je ne l'avais encore point vu chanter.

Déjà, poignes serrées, regards croisés, ce doux géant m'avais littéralement captivé. Je le voyais tout droit sortit d'un conte moderne : sa cagoule noire et sa grosse barbe hirsute, lui grignotant les trois quart du visage ; des mirettes rondes et profondes, empaquetées d'émotions, surmontant un sourire franc et généreux ; puis, cette grande bouche qui cause peu, mais toujours avec justesse. Méthodiquement disposée, une casquette rétro, lissée sur sa tête, coiffe la cicatrice d'un acide accident démoniaque.

De toute part, sa diction révèle une bonté élégante. L'ombre smart de Gregory prenait reflet sur le haut du rideau blanc-cassé ; lui donnait contrastes et vie. En le voyant miroiter, du plancher au balcon, j'observais sa désarmante sincérité. Aussi discrète qu'imposante était sa présence.

Une stature de colosse, dans une voix de porcelaine, contraste l’abrupte musique qui, aussi atemporelle qu'éblouissante, figure l'évidente réalité de la performance. La rythmique ferme ne se perd pas dans son tumulte. Elle corse la rondeur d'une voix de crooner révolté. Il rugit, swing, change de tempérament, gonfle les voiles d'un souffle profond. A l'unisson, nous recevons une sensibilité "nouvelle", sans même ce soucier du temps.


L'eau de ta source fait des vagues harmonieuses, mouvementées et berçantes. Elle s'est perdue dans ma poitrine. On dirait que tes lèvres ont encore besoin d'enfance. Polisseur d'âmes abruptes, cataplasme des soirs solitaires, qui que tu sois, ta voix microsillonne - sur mon phono – l'imprévisible bleu.

Un tintement de cymbales emmailloché et, soudain,  tout ce déchaîne. L'ouragan Black Nile raisonne fort en dedans. Ta version de Skykark a plus l'envergure d'un condor que d'une alouette. C'est cette tendre puissance d'oiseau terrien, de divinité vulnérable, qui m'attendris chez toi. Par tes chansons nous recevons non seulement des émotions universelles - épidermiques -, bien plus encore, des instantanées de toi, l'amoureux libertaire ; donc de nous.

L'altiste James Spaulding joue un rôle majeur dans ce premier disque. Quant à Kamau Kenyatta, il symbolise l'ombre de Gregory. En plus d'être son "meilleur ami", il est également producteur, saxophoniste, pianiste et compositeur dans ce projet.

Peut importe qu'il s'agisse d'un titre original ou d'une reprise, Gregory à la sincérité de ne ressembler qu'à lui.

Notre rencontre me fait comprendre que le chant est sa faille perceptible, l'identité de son âme. On pourrait y voir un blues, touché par la grâce enfouie des temps modernes. La douceur et la niaque, la beauté et la rédemption, inexorablement s'imbriquent dans chaque respiration, contretemps ou silences.
Les mélodies laissent une trace, comme ces rêves brumeux dont on voudrait se rappeler, au petit matin, encore tout enveloppé de songes. Leurs palettes de couleurs sont pigmentées de souvenirs mélancoliques et de joies impénétrables. Parce-qu'autour de Gregory, s'harmonise des touches musicales entêtantes. On pourrait les dires spirituelles, quand à moi, elles m'évoquent - irrémédiablement - l'être humain, et sa lumineuse condition.

Intemporel. Pourtant, défile dans son style, les chocs musicaux de sa vie : King Cole, du blues au gospel ; Donny Hataway, Bill Withers ou Joe Williams... Comme tout le monde. Visiblement non. Comme si chez lui, l'apprentissage des standards lui avait révélé le secret de sa propre voie.

Une fois, il avait une veste cuivrée – impeccablement taillée, un gilet gris au col rabattu, un pantalon velours grosse côte et cravate à pois. Une autre, c'était tout en noir, cache-col rouge vif, que je le saluais. Ses goûts vestimentaires témoignent la partie émergée de son élégance. Au New Morning, After midnight, le 12 décembre dernier, nous avons célébré les artistes ayant fait l'année (thanks TSF). En private, comme le veut la tradition, ils étaient tous venus taper le boeuf, comme pour ne pas nous quitter. Gregory chantait haut, entre un piano antillais et des congas afros.

Be Good. Sortie le 14 février 2012.
Son tout prochain album, BE GOOD confirme le talent du gamin de L.A. Ce même chanteur de Brooklyn ayant fréquemment résidé au St Nick's Pub des chaudes rues de Harlem. Devenu l'invité de luxe du prestigieux Jazz At Lincoln Center Orchestra, de représentations en représentations, il séduit New York City, puis l'Europe, la Russie, l'Ukraine et l'Afrique du Sud... Domicilié du monde ? Sans illusion, c'est là sa véritable définition.













Gregory Porter au Duc des Lombards par ducdeslombards

vendredi 6 janvier 2012

SPEAK LIKE A CHILD – Herbie Hancock (1968)

"Adieu à l'enfance"


1- RIOT
2- SPEAK LIKE A CHILD
3- FIRST TRIP
4- TOYS
5- GOODBYE TO CHILDHOOD
6- THE SORCERER


Le noctilien tarde. Les immeubles n'ont plus guère de fards aux fenêtres. Par pointillés on peut entendre les gens se coucher.

Sur le plexi opaque de la borne, ruisselle des larmes de swing pailletées. Ce même maillage de perles blanches qui étire sa longue crinière d'hiver, alors que le chahut de l'enfance bruisse les platanes de poils à gratter.

Il sentirait presque une odeur de viennoiserie chaude derrière l'unique soupirail enfumé.

 Deux talons noirs marquent l'asphalte d'un tempo d'après minuit, un battement aortique, calé sur 100 pulsions minute à la noire. Ça raisonne dans le vide. Une nouvelle de Faulkner. Je chavire, oublie le bus et décide de suivre – au pied levé – l’enivrante musique de nuit.

Ici, les notes d'Herbie sont déroutantes. Pleines et justes, sans solos ni impros ; juste une ambiance en voicing, un état d'âme ou une langoureuse déclaration. Il fait sombre dans sa composition, bien qu'elle soit follement lumineuse... C'est, en quelque sorte, tout ce que l'enfance fait mine de nous promettre et finalement nous retire avec acharnement.

Je dois aller tout droit, mais c'est à tribord qu'il me fait prendre. Dans le casque, la stéréo circule d'un tympan à un autre, avec grâce, installe un doux va et vient qui rassure. Une toile de fond brumeuse colle aux aspérités de la Seine tranquille. Scintillent comme des phares bretons flugelhorn, trombone basse et flûte alto, sur les murs cuivrés de la Cité perdue. En fait, il avait raison : sans raccourci c'est par ici qu'il fallait cheminer.

Je ne vois pas de fins dans ses morceaux. J'imagine des tableaux joints ; une grande fresque pleine de vides. Comme dans Maiden Voyage, quelques années plus tôt, le jeune Herbie décrypte des univers lydiens. Une succession d'accords colorés marquent – par pointillés – son chemin.

Ainsi, je passe du Marais à Charonne, ma Bastille faisant le pont. Les thèmes ne sont plus les mêmes d'un quartier à un autre. Pourtant, une cohérence implacable se dessine entre les lieux, le temps et l'ouïe. Sur la route de l'école des grands, à contresens, j'arpente - straight - le rythme de ces toutes petites notes imprévisibles qui perlent mes paupières. Elles saluent l'inconnu(e) ; une matière sonore qui laisse des traces.

L'harmonie d'un lieu dépend de sa musique. Il y a bien des mirages concrets. Par le regard frappe parfois une mélodie nouvelle, les cordes d'un orchestre symphonique ou juste celles d'un piano solitaire. Quand c'est tout gris comme ça, j'entrevois ces longs dimanches soirs, l'innocence froissée d'un revers de mouchoir, mes souvenirs qui glissent à l'unisson sur une luge de verre poli. Puis, un cartoon, une histoire, et les rêves rougissent. Plus de pyjama, seule la peau sur les draps, tout comme la musique d'Herbie, j'ai grandi. L'enfance c'est une chanson toute nue !

Enfin j'arrive. Je pousse la lourde porte codée de mon dortoir et quitte l'ombre. On incante la musique du Sorcier Miles. J'entends maintenant la présence de Gil Evans, dodelinant dans un coin, sur un vieux rock in chair. Bref, ça vibre en balançoire dans l'apart' en osier.

Entre mélancolie et délectation, c'est un perpétuel mouvement de déchirure qui s'installe. Dans la contrebasse de Ron Carter s'ébroue la brise du levant. Un battement de cymbale fait le jour se lever. Il demeure comme un picotement vertigineux dans le ventre ; celui d'un adulte aux yeux d'enfant bien réveillé.

HERBIE HANCOCK - Piano, composition.
THAD JONES - Bugle.
PETER PHILIPS - Trombone.
JERRY DODGION - Flûte alto.
RON CARTER - Contrebasse.
MICKEY ROKER - Batterie.