Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

mercredi 14 décembre 2011

CHARLIE CHRISTIAN – la naissance d'une guitare : Swing to Bop.

L'enfance de l'art est un lever de soleil.



Et puis le jazz devint un art urbain. C'est entre les murs enfumés des clubs, dans ces dancehalls suffoquants des nocturnes de Harlem, que le swing vit le jour.

Le Minton's Playhouse ouvre ses portes en 1938. A cette époque, Charlie Christian a dix-huit ans. A cette époque le jeune Charlie expérimente un matériel nouveau et une façon de jouer toute aussi bleue. On ne dira pas Bop ; encore moins Rock. Le son de l'instrument n'a pourtant pas la marque de son époque. Car l’effilement minutieux de ses demi-tons, la façon d'augmenter, puis de diminuer ses accords, de les attaquer comme du poivre au moulin, laissent entendre le sirop salé d'une musique qui ensorcelle. Un autre feeling. Amplifié. La découverte d'un son, d'un nouvel instrument aux possibles infinis.

C'est sur une contrebasse qu'il s'initie. Ses premières notes dans l'orchestre d'Alphonso Trent, en 1934, sont déjà de lointains souvenirs quand il entre, cinq ans plus tard, dans le sextet de Benny Goodman, une Gibson ES-150 à la main – semble t-il originellement inventée par Eddie Durham, tromboniste dans l'orchestre de Jimmie Lunceford.

Première photo d'un protoype de guitare électrique. Archives Gibson, 1924.
Après avoir été une attraction régionale du côté d'Oklahoma City, le génie de Charlie s'épanouit au volant de sa Ferrari, d'août 1939 à juin 1941, auprès d'un des plus populaires jazz band de l'époque. Benny Goodman est sublimé par le jeu de Charlie. En quelques jours, Christian est passé de 2,50 $ la nuit à 150 $ par semaine. Il va rapidement hisser la guitare à niveau égal de la contrebasse ou de la batterie dans l'importance de l'accompagnement et, profitant de la considération des musiciens de l'époque, va développer des solos qui donneront à la guitare ses nouvelles lettres de noblesse.

"Rose Room" et "Stardust" en 1939, "Breakfast Feud" en 1940, "I Found A New Baby" et surtout "Solo Flight" en 1941 (véritable concerto pour sa guitare arrangé par Jimmy Mundy pour le big band de Goodman) firent ses belles heures de gloire.




After Hours à Harlem


Revenons au Minton's. Dans cette cour de récréation du soir pouvait jouer, délivrée de toutes discriminations, une nouvelle vague d'artistes au style vif et précis. Au virage des années quarante, Henri Minton attribua la programmation du club au chef d'orchestre Teddy Hill.
 T. Monk résidait au piano, Kenny Clarke aux baguettes. L'autre Charlie, Bird Parker, avait quatre années de moins et déjà se profilait en lui l'envol migratoire du new jazz. Le laboratoire du BeBop était en place. Un nouveau public de boulimiques venait s'empiffrer de caviar (quasi) gratuit ! Les chaudes soirées s'emmitouflaient, pour la nuit, dans une tornades d'improvisations, sur des structures modernes auparavant inexplorées.

En mai 1941, c'est lors d'une jam session d'anthologie que Charlie et Dizzy s'échangent d'improvistes mélodies en escalier, glissantes sans tomber, elles feront immédiatement école. Kerouac s'en inspirera pour concevoir l'écriture automatique. Des générations de musiciens – tous instruments confondus – s'inspireront de ses élégantes techniques stylisées.

Associé à l'époque swing, le vocabulaire musical de C.C a néanmoins été étudié et imité par les premiers boppers. De Tiny Grimes à Barney Kessel, d'Herb Ellis à Wes Montgomery. Plus encore, on comparait, déjà en son temps, la tenue de ses solos à celle d'un vent. Le grand Lester Young observait attentivement ses prises de risques contrôlées, ses solos sans bouche aux longues notes tenues puis, fuyantes à toute vitesse comme la brise. Il semblait être un saxophone dans la dextérité de son style, dans le prolongement câblé de son souffle électrique et de tout son velours cuivré.

Jamais on n'avait entendu gratter ainsi. Ses deux micros, c'était son secret. Ils produisaient un champ magnétique enveloppant ; le ronronnement parfait. C'est souple et animal ; un coup de pouce rond, un phrasé sans ongles. Barré dans des futurs fastes, on perçoit le génie de Charlie dans la courbure de ses doigts aux longs crescendos fiévreux, dans son style tout en tension et en relâchements soudains. Charlie Christian incarne indéniablement un virage dans l'histoire de la grande musique moderne ; celle qui vient du Blues et de Bach...

Il disparut prématurément à vingt cinq ans de la tuberculose. Bien qu'il n'eu pas le temps d'enregistrer professionnellement en tant que leader, les compilations sur bandes de ses sessions en tant que sideman - où il est souvent le principal soliste - suffisent à témoigner la touche d'un pionnier. Il resterait le premier à avoir fait découvrir l'ancien instrument électrifié, tandis qu'au même moment, à Paris, Django le manouche peaufinait un tout autre genre de swing...






Enregistrements :
Lady be good (au Carnegie Hall, 1939)
Star dust (avec Benny Goodman, 1939)
Seven come eleven (avec Goodman, 1939)
Six Appeal (avec Goodman, 1940)
Waitin' for Benny (jam session, 1941)
Breakfast feud (avec Goodman, 1941)
Solo Flight (avec Goodman, 1941)
Stompin' at the Savoy (jam session au Minton's, 1941)