C'est au cours d'une promenade dans le Spanish Harlem, dans son quartier, que j'eus la chance de rencontrer Will Galison. Harmoniciste, guitariste, chanteur et compositeur new-yorkais, son univers folk-blues le situe à la croisée des chemins de toutes les musiques ayant contruit l'Amérique, la noire comme la blanche. Le jazz, en trame de fond, une passion, un état d’âme.
J'avoue peu le connaitre au moment de notre discution. Si son nom ne m'est pas inconnu, ce n'est en fait qu'au regard de sa collaboration au côté de la chanteuse Madeleine Peyroux que je remis le timbre sonore de cet artiste généreux.
Immediatement, sa sympathique compagnie et nos nombreuses connivences musicales firent de cet instant un espace intime. Presque sur le ton de la confession, les langues se délièrent sans phase d'observation préambulatoires. Il me reconte son parcours, ses influences, ses nouveaux projets. Le temps d'un entretien, dans une bibliothèque musicale de Harlem, nous fîmes connaissance, grâce au jazz, grâce aux frères Jones (Hank en premier), grâce à Zoot Sims et Paul Desmond aussi.
Faute d'un anglais couramment parlé, mes questions sont courtes et me permettent – peut-être – de toucher plus rapidement des sujets personnels, voir intimes.
Je lui demande tout d'abord comment il en est venu à la musique, quel a été son parcours et ses sources d'inspirations.
" J'ai commencé très jeune à éudier le piano, mais très vite mes goûts musicaux me dirigèrent vers l'apprentissage de la guitare. Comme tous les jeunes de ma génération, je devais avoir un peu moins de dix ans quand ma passion pour les Beatles m'entraina sur la route de la pop musique. J'aimais évidemment leurs mélodies, leur fraicheur ".
Et l'harmonica ?
" C'est venu lorsque j'étudiais à Boston, en 1976 il me semble, au College of Music de Berklee. A cette époque rares étaient les joueurs d'harmonica. En fait, il n'y en avait aucun ; alors que les guitaristes – de talents – grouillaient. C'est en écoutant les hits de Stevie Wonder et surtout la musique de Toots Thielmans que mon goût pour cet instrument "bâtard" commença. J'aime particulièrement le côté pratique de ce petit piano de poche. "
Du coup, ta musique s'est affirmée en fonction de l'instrument ?
" En quelques sortes. Enfin, j'aimais déjà tout l'univers qui gravitait autour de l'harmonica. Le blues, la folk music, la country également. Mais c'était le jazz qui me passionnait le plus et il-y-avait tant à faire pour que le public en vienne a accepter l'harmonica comme un instrument d'improvisation valable et non comme un joujou. C'est pour moi un outil hypnotique et thérapeutique ".
C'est Toots Thielmans qui a tout changé dans l'acceptation de l'harmonica en tant que véritable instrument jazz et soliste. Je bifurque dans mes propos en lui confiant mon amour pour Bill Evans et l'étonnante joie que j'ai à chaque fois que j'écoute le disque Affinity, discours à deux voix entre Toots et Bill. Vous êtes vous rencontrés, lui demandais-je finalement ?
" (Rires). Toots ? Oh oui ! c'est un bon ami et un mentor pour moi. Il m'a beaucoup encouragé dans mon jeu. Nous avons plusieurs fois joués ensemble. Il a fait éclore mon style, différent du sien. Je ne pouvait rivaliser avec le maître, du coup j'ai du trouver ma propre voie ".
J'appris plus tard que Toots Thielmans a dit de Will qu'il était "le plus original et talentueux des harmonicistes de la nouvelle génération". Ayant accompagné de nombreuses têtes d'affiches telles que Sting, Peggy Lee, Astrud Gilberto ou Barbara Streisand, mister Galison joua également dans la fameuse Suite pour harmonica et orchestre composée par Gordon Jacob, et participa à la grande tournée du show musical de Broadway Big River.
Toujours d'une simplicité déconcertante, presque d'un manque de confiance en lui, il me demande : " As-tu vu le film Bagdad Café ? ". Je pouffe de rire en lui répondant que j'adorais ce film et que tout cinéphile (même français) avait connaissance de ce bijou. "C'est moi qui accompagne la voix de Jevetta Steele à l'harmonica".
Repassez-vous le disque si vous voulez entendre la touche musicale de Will.
Quand es-tu revenu sur new-york alors ?
" Au début des années 80. Après Berkley, j'ai étudié longuement dans le Connecticut, à l'université de Wesleyan. Mon retour fut une période riche d'événements pour moi. Comme beaucoup de jeunes artistes essayant de se faire un nom sur la grande scène new yorkaise, je faisais la tournée des clubs sur un rythme soutenu. Le Blue Note, le Village Gate, le Preacher's Café... "
Un souvenir marquant de cette époque ?
" Beaucoup. (un blanc). Peut être ma rencontre avec Jaco Pastorius et Jaki Byard, et les quelques sessions faites à leurs côtés au Lone Star Cafe." Que ce devait être bon, pensais-je.
Parles-moi de Madeleine Peyroux, de votre longue collaboration. Comment s'est faite votre rencontre ? Tu m'as dit avoir passé une année en France, en 1978, est-ce pendant cette période que vous vous êtes rencontrés ?
" Non. C'est tout a fait curieux. Nous étions à la même époque à Paris mais nous ne nous sommes jamais croisés. Par contre, je jouais avec un guitariste avec qui elle aimait jouer à cette époque. La première fois que je l'ai entendu, je m'en rappelle très bien, c'était une année avant de la connaître vraiment. Je l'ai entendu jouer avec Danny, son grand ami venu de France. C'était incroyable parce que je trouvais que sa voix n'allait pas avec son physique. Je suis pourtant immédiatement tombé amoureux des deux.
Elle ne devait certainement pas se souvenir de moi quand je l'ai revu, un an plus tard, jouer et chanter avec sa soeur dans un bar de Bleeker Street. C'était un tout petit café, pas un club réputé ; en 2002. Je ne connaissais presque rien d'elle, alors qu'elle commençait à être connue. Elle avait changé de look. Sa voix n'avait pas bougé mais son image si. Nous nous rendirent très vite compte que nous avions des connaissances en commun. Et voilà..."
Une histoire d'amour musicale a commencé ?
" Pas seulement musicale... Mais ce qui reste de tout ça c'est notre complicité artistique évidemment. Très vite, nous avons commencé à tourner ensemble sur la Côte Est. En trio, puis en quartet. Ca a duré un an et demi environ."
Je sens comme un tremolo dans la gorge du de l'harmoniciste. Je lui demande s'il souhaite parler d'autre chose.
" Non non. Travailler avec Madeleine était fantastique. C'était mon amour de scène. J'aimais vraiment accompagner sa voix. J'y trouvais mon propre épanouissement artistique. "
C'est bien vrai, Madeleine a une voix très spéciale, reconnaissable dès le premier soupir ; une pointe de Billie Holiday dans sa diction. On peut ressentir ce même petit côté désuet (je met du temps à trouver le mot en anglais), mais il y a une fibre beaucoup plus contemporaine. Qu'as-tu ressenti en entendant sa voix ? Dans quelle mesure a t-elle eu une influence sur ta musique ?
" Au début je ne pensais pas à Billie. A force de l'entendre dire, c'est vrai, j'y ai vu des liens dépassant même l'approche musicale. Dans leurs parcours. Dans leurs passions dévorantes pour ce qu'elles font. Quand on écoute l'évolution discographique de Madeleine, on peut voir qu'elle a beaucoup progressée, pas seulement sur le plan technique, mais aussi sur sa propre approche du son, le dévoilement de son âme. Comme si elle avait réussit à trouver sa voie musicale, son identité, la propre musique de son tempéramment. C'est sa face cachée qui fait sa force."
Que reste-t-il de cette période ? La fibre artiste de Madeleine t'as t'elle inspiré dans tes projets actuels ?
" C'était vraiment dans les deux sens. Nous nous sommes nourris mutuellement l'un de l'autre. Je lui ai certainement apporté une ouverture musicale, une confiance en elle peut-être aussi. Elle m'a donné beaucoup également. Une muse reste une muse".
De cette union demeure un témoignage musical profond, une fragilité à deux voix. Un album de sept chansons (dont quatre composées par Will) intitulé Got you on my mind, enregistré en février 2003. Pour ce projet audacieux, l'amoureux transit s'entoura d'une équipe de qualité : pour trois titres de Tony Garnier (bassiste de Bob Dylan) et de Sean Pelton (batteur des célèbres Saturday Night live) ; puis de Conan O'Brien et de James Wormworth (bassiste et batteur de Rod Stewart) pour le reste du disque.
Une version extended sortie quelques mois plus tard créa le chao dans le couple. Dans ce nouvel opus, retiré de la vente, Will chante sur 8 des 11 chansons. Sa voix est comparée à celle de Paul Simon ou de James Taylor.
A l'issu de ce disque tremplin, les jeunes amoureux signièrent tous deux pour la maison de disque Rounder Records (une filière d'Universal). Ce pacte tacite causa leur ruine amoureuse. L'histoire est longue, encore inélucidée. Elle leur appartient. Pour seuls faits, Madeleine Peyroux stoppa abruptement la collaboration et l'union avec Will Galison.
Je me ballade sur les différents sites consacrés à la chanteuse, rien de tout cela n’apparaît. Pas même l'écho de ce disque magnifique. Comme si leur rencontre n'avait jamais existé. Je ressens l'amertume profonde du musicien quand il en vient à évoquer ce contrat fumeux.
" Nous avions enregistré ce disque en 2003, il sortit l'année d'après. Mais les étapes de compositions et de mise en place furent beaucoup plus longues qu'un an. On m'a gracieusement donné 5000$ pour ce disque alors que j'en avais dépensé 20 000. La maison de disque avait tous les droits. Je perdis les miens, sur ma propre musique".
Comment est-ce arrivé ?
"En réalité, les avocats ont menti à la maison de disque, me confie t'il. Leurs contrats étaient en dessous de nos espérances. Madeleine et moi avons beaucoup lutté pour faire accepter ce projet. Il a fallut attendre longtemps, cinq ans en réalité, mais au final c'était un bel album. J'aurais aimé qu'il sorte un peu plus tôt mais il y avait toujours à revoir. Au final, je trouve le projet gracieux et élégant. Je me suis beaucoup battu pour cela. Vraiment. Du temps et de l'argent. Curieusement,le disque est sortit en même temps que Careless love (édité sur le label Rounder). Après huit ans de silence, elle éditait son deuxième disque solo, sur lequel nous avions beaucoup conversé. J'adore ce disque même si je ne peux plus l'écouter... Ce fut d'ailleurs un franc succès."
Pendant plusieurs minutes, nous sortons du cadre musical. Les procès, les affaires de droits juridiques demeurent complexes et aujourd'hui encore irrésolues. Ne voulant pas m'étendre et causer du tord à l'artiste, visiblement très affecté, je lui demande ce qu'il en est de ses créations actuelles. Il me répond qu'il continue sa route en essayant de ne pas se répéter. Qu'il lui a fallut du temps pour digérer cette sinistre histoire mais qu'il est repartit vers de nouveaux projets.
Lors de cet entretien, une véritable complicité s'établit entre nous deux. Sa simplicité, son humour pince sans rire et son émotivité me touchèrent immédiatement. Je les retrouvai plus tard dans sa musique. Avant de nous séparer, il me donna la maquette de son nouveau disque. "Je ne sais pas si cela va te plaire. C'est un peu pop, me dit-il. Mais si tu aimes, je joue lundi à L'Underground Loundge (angle de la 106e rue et de Broadway). Tu peux venir, ce sera un grand plaisir".
Lundi, hier donc, j'allais voir la représentation de Will, heureux de le retrouver. Il débarque en retard, les cheveux en pétard et le look dégingandé ; sa ceinture de cow-boy remplie d'harmonicas de différentes tailles (je reconnais plusieurs Hohners, dont un très grand, magnifiquement cisellé d'arabesques). Le sourire aux lèvres, il s'installe avec son équipe dans l'arrière salle du club et sort de ses poches une multitudes de petites objects musicaux (maracas, castagnettes, cabasa, washboard, tambourin...).
Accompagné d'un quartet de talent, la formation bien huilée mêla aux compositions de l'harmoniciste des standards du jazz, de la pop musique et de la bossa nova. Parmis ses accolites d'un soir nous retrouvons entre autre le pianiste Marc Berman, connu pour ses nombreux shows sur Broadway, et l'exceptionnel guitariste aux doigts de couturier, Steve Benson, accompagnant, de son jeu expressif et de son attaque subtile, le parcours musical de Will depuis le début des années 80 et ayant également porté au sommet les voix de Dee Dee Bridgewater, Nathalie Cole ou Jessica Simpson.
En outre, plusieurs intervenants vinrent chanter ou jouer au côté du band. Comme un père de famille, nous sentons qu'il y a de la place pour chacun dans la musique de monsieur Galison. Il dédia au french guest visitor que je suis une longue version revisitée de Blue Skies. Quel agréable moment.
Thank you Will !
Discographie en soliste :
Overjoyed – 1988 (Polygram)
Midnith Sun – 1997 (Eclipse Collage)
Wake Up With You – 2000 (JVC)
Love Letters, with Janet Seidel – 2001 (La Brava Music)
Got You On My Mind – 2004 (Waking Up Music).
Line Open – 2011 (Waking Up Music)
Pourquoi JASS ?
Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Pour un immigré tu débrouille plutôt bien
RépondreSupprimerPour tes longues nuits blanches la bibliothèque est suffisante .
de la part de Sylvie est ce que le chat t offre de belle musique
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup cet article.
RépondreSupprimerJe te remercie au passage pour le jour où tu m'as fait découvrir Bagdad Café!
Je suis fière, ton blog prend forme... Vraiment!