UNE POCHETTE SURPRISE...
A l'heure analogique du téléchargement massif et de la consommation artistique tout azimut... on ne sait plus vraiment où donner de la tête. Quand ce titre est-il sortit ? Sur quel album figures-t'il ? Qui sont les musiciens ? T'as un idée de l'illustration de la pochette toi ?
Oui, la musique n'est pas seulement faite pour les oreilles. Si l'on perçoit d'autres émotions quand nous allons voir un artiste sur scène, c'est parce que nous pouvons accéder à des clefs de créativités multiples, comprendre un univers et le fouler, s'insérer dans le plein absolu des sons. L'oeil, certaines fois, entend ce que l'oreille laisse passer. Ceci est vrai pour toutes les musiques. Combien s'attacheront aux mimiques d'un musicien, à l'odeur d'un lieu, à l'énergie d'un batteur, à la résonance des claquements de mains... à tout ce qui n'est pas musique et qui la sert.
Ce sentiment est également valable quand on parle du support. J'aime sélectionner un album dans les bacs de la médiathèque municipale, juste parce que sa pochette évoque une curiosité. C'est comme cela que gamin je découvrais Sweet Smoke, la B.O de Zabriski Point, Bringing it's all back home de Dylan ou Ummagumma des Floyds ; et qu'un peu plus tard je m'initiais à l'album Curried Jazz d'Indo British Ensemble, aux Ohio Players, ou encore One Size fits all de Zappa. Juste à cause de leurs petits carrés 20x20. Quand on passe à la taille supérieure, l'effet est bien entendu décuplé.
De ce beau grand et fragile carton doublé demeure l'imaginaire d'une époque, un travail sur l'esthétisme décomplexé. Aux Etats-Unis, la ferveur du compact disc n'a pas fait long feu. Parfois, nous pouvons trouver, dans un coin, au fond du magasin, quelques CDs poussiéreux, abandonnés, d'occaz'. C'est bien simple, soit les consommateurs veulent un titre, s'en lassent et en téléchargent un autre. Soit ils considèrent la musique comme un bien précieux, un bijou à conserver, alors ils achètent le vinyle et le chouchoute. Puriste va ! Tant pis, l'objet symbolise pour moi l'immatériel.
Dans tous les quartiers de Brooklyn, Manhattan ou du Bronx, les disquaires ne font que de la galette. Moi je les aime bien épaisses, en matefin. C'est un peu la même chose que de déguster un plat de chef avant de porter la fourchette à sa bouche. Tous les sens se mettent en éveil pour essayer de capter l'essence des papilles. Alors on y va avec les dents – oui, il est temps de me confesser ; à peine sur patte, j'ai mangé le Led Zep. 4 de mon père, un régal inoubliable. Le manteau encore sur le dos, on déchire compulsivement le plastique et l'écusson 380g et l'on se dit intérieurement : j'espère que ça va être bon ! Puis, juste avant de poser le diamant sur le sillon de cire, tout un rituel se met en place. Un souffle. La musique prend vie. Ça craquouille un poil, mais c'est bon. Le disque tourne. Dans nos mains, la jaquette vide se pose par intermittence sur les portées. C'est un ensemble. Comme le couteau va dans son fourreau.
UN PIANISTE EN RÉSISTANCE... "T'AS PAS DU MONK ?"
"Si Monk avait construit un pont, il aurait supprimé toutes les pièces qui sont considérées comme essentielles, pour ne plus garder que les éléments décoratifs – mais il aurait su faire absorber par l'ornementation la force des éléments porteurs, si bien que tout aurait été construit autour de ce qui n'était pas là. Ce n'aurait pas du tenir debout, mais ça tenait, et la magie venait de cet air de pouvoir s'écrouler à tout instant."
(Geoff DYER, Jazz impro, 10/18, p.51).
Mon histoire avec l'UNDERGROUND de T. MONK s'est produite ainsi. Je ne connaissais pas l'enregistrement. Mais, plus j'écoutais le barbu à la chapka moins je pouvais m'en passer. Une drôle de drogue qui rendais addicte du vide.
Quand je l'ai vu, au milieu de son intérieur suréaliste, je ne pouvais plus décrocher. Cette pochette était mystique. Il fallait que j'écoute la musique de cette photo. C'est bizarre.
J'apprendrais plus tard que c'était le dernier album du pianiste avec son Monk Quartet Thelonious et le dernier enregistrement aux côtés de son ami saxophoniste Charlie Rouse. J'y découvrirais des enregistrements inédits, de nouvelles compositions. La seule valse de Monk, UGLY BEAUTY, le dissonant RAISE FOUR, son clin d'oeil discret pour sa fille Barbara, l'hommage à Bud Powell...
Mais, bien avant d'écouter, je regardais le tableau et essayais d'en extraire sa sève musicale.
Ce lieu sombre et fantasque est en réalité l’appartement de Monk à Manhattan, transformé pour l'occasion en planque secrète de la résistance. Vous savez, il n'aimait pas beaucoup quitter son chez lui, tout comme ses mots n'aimaient pas bien quitter sa bouche. Il avait lancé la mode be-bop des bérets et des lunettes noires. Sur cette photo gorgée de symbolisme, il les a enlevé, ses lunettes, pour bien nous faire voir toute la gravité de son regard.
Monk ne rigole pas beaucoup et a pourtant un humour décapant. Un vrai pince sans rire. Il mélange le sérieux et la dérision et installe un climat bien à lui. Dans sa musique c'est comme ça ; sur la jaquette aussi. Il est encerclé par ses excentricités, par son appartement, par son silence.
Un peu partout, s'accumulent des objets faisant référence à la Seconde Guerre Mondiale. Des appareils de transmission, le portrait du Général De Gaulle, une kalachnikov en bandoulière, de la dynamite, des grenades, une paire de jumelle, un 45 automatique... Se cacher et résister. Contre le mur : le téléphone souvenir de Normandie. Il lui permet de ne plus sortir. De se faire livrer, directement de France, des fromages diverses, du pain au levain et du bon vin. Il aimait ça le Bordeaux français. Sans argent, il payait en chansons. Il y a juste à observer son pauvre piano.
VIVE LA FRANCE est écrit en gros, au dessus des cartes géographiques de l'exaltant hexagone. Le chant de Monk est une marche de soutien à un pays libre.
Dans le coin, un général nazi est fait prisonnier par un nègre jazzman ; le supplice. Capturé de Nuremberg, son drapeau à la croix cassée est froissé, comme un vieux chiffon inutilisable. Tout son corps est ligoté, seules ses oreilles demeurent libres. Ecoute mon vieux, ça va faire mal !
Regardez juste à côté du vitrail à la rose centrale, dans le fond. La jeune femme aux cheveux longs, avec le béret, la ceinture de cartouches et la mitraillette, c'est Pannonica. Elle et Monk c'est une Vraie rencontre ; celle des contrastes. Née Kathleen Annie Pannonica Rothschild, elle était mariée avec le baron Jules de Koenigswarter, qui avait rejoint l'armée française à l'aube de la seconde guerre mondiale, pour s'engager dans les F.F.L (Forces Françaises Libres). La baronne rallia le même bataillon à Londres, suivra son mari en Afrique équatoriale, sera soldat, chauffeur, commentatrice sur radio Brazzaville... Je l'adore cette Pannonica ; autant que j’exècre l'armée, y'a qu'à voir. Son admiration aveugle pour la musique de Thelonious lui donnait des allures de mécène. Il lui composa son morceau éponyme. Bien plus que dans le jazz, leur entretien était métaphysique.
Et bien, sur la pochette, dans le fond je disais, Pannonica symbolise l'allégorie de la liberté, comme une réminiscence du tableau de Delacroix. Elle est fière et droite, insubmersible lorsque T.M. balance son élixir de musique brisé.
Devant elle, l'intervention surréaliste d'une vache répondant du nom de Jelly Roll. Vous voyez la référence ? J.R Morton, le plus prétentieux de tous les créateurs du jazz ? En tout cas y'a du beefsteak en cas de disette.
C'est tout l’attachement du pianiste à la cause de la Résistance française qui est présenté dans cet ambitieux projet. Le terme « Underground » fait le lien entre la Résistance et l’histoire personnelle de Thelonious Monk, lorsqu’au Minton’s Playhouse il contribua à la naissance du bebop.
L’année de sa sortie, en 1968, cet album a reçu un Grammy Award pour la meilleure pochette de disque.
Je regarde encore la couverture Underground. Les bras écartés de T.MONK posent un accord. J'entend comme un grand murmure, naissant du silence une musique...
Enregistré aux studios Columbia, New York, New York le 14 et 21 Décembre 1967 et Février 14 & 14 Décembre, 1968.
Photographe: Don Hunstein.
Personnel: Thelonious Monk (piano); Jon Hendricks (chant), Charlie Rouse (saxophone ténor), Larry Gales (basse), Ben Riley (batterie).
Pourquoi JASS ?
Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
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superbe
RépondreSupprimerExcusez moi mais votre article est bourré d'erreurs. D'abord, Monk n'a jamais eu d'appartement à Manhattan, il n'a jamais quitté Harlem, et mieux encore, l'appartement de sa mère dans lequel il a grandi, et même après son incendie, où de nombreuses partitions furent perdues à jamais, même lorsqu'il devint connu et riche. Et ça c'est corroboré par des dizaines d'histoires racontées par des musiciens qui lui rendait visite. Donc la pochette de Underground n'est pas une photo de son appartement. L'histoire de son piano tout pourri est fausse, on sait qu'il s'est offert un Steinway au début des années 60, tellement grand qu'il était à la fois dans son salon et dans sa cuisine, sa femme faisait sécher la vaisselle dessus. y'a une anecdote super drôle d'ailleurs, racontée par Bud Powell, qui raconte que Monk lui montre qu'en jouant certains accords, cela fait trembler la vaisselle et que cela produit un son proche de celui des bombardiers B'52... Ensuite, cette pochette est une idée de John Berg, un des directeurs artistique de Columbia chez qui Monk avait signé en 62. A propos de cette pochette il dit “On Thelonious Monk’s Underground, a project with photographers Steve Horn and Norman Griner, the title of the album came from a current jazz movement, which I twisted into a version of the French anti-Nazi underground of World War II. An entire set was built and the scene was full of costumed extras. There was no problem with budgets in those days. I won a Grammy for that cover, by the way.”
RépondreSupprimerJe vous conseille fortement la lecture de cette biographie, la plus complète à mon avis : http://www.actes-sud.fr/catalogue/actes-sud-beaux-arts/blue-monk-portrait-de-thelonious
Cordialement.