Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

mercredi 29 juin 2011

PINK GRAPPELLI



La musique réserve parfois - souvent - d'improbables rencontres. Le métissage est l'essence de l’arborescence sonore, de ses bourgeonnements pullulants, de sa phosphorescente inspiration. Nous en avons de fabuleux instantanés ; parfois, ils sont invraisemblablement parfaits. Les passerelles se déploient en viaducs et convergent - indirectement - au même point de création. Sans étendards, le souffle régénérant d'une même et grande famille dépose l'emprunte de l'échange.

Si Paco de Lucia joue avec Wynton Marsalis, que Montserrat Cabballe chante avec Freddie Mercury ; si Gainsbourg enregistre à Kingston avec Peter Tosh et quelques Wailers pendant que l'anglais Joe Cocker fait ses débuts avec John Lee Hooker dans Free, Beer & Chicken ; si Ferré dirige Ravel, et si Peter Gabriel fait chanter Papa Wemba, tandis qu'Ornette Coleman invite Jerry Garcia alors, Stephane Grappelli pourrait tout à fait accompagner le groupe de rock psychédélique des Pink Floyd !


Le Guardian du 10 mai 2011 nous annonce la sortie prochaine d'une pléiade d'inédits du mythique groupe British. Plus de quatre décennies après qu'ils aient sorti leur premier album The Piper at the Gates of Dawn, des enregistrements des Pink Floyd, précédemment non dévoilés, devraient sortir à la fin de l'été en un coffret comportant cinq disques de rarities.
Après plusieurs conflits opposants le groupe et leur maison de disque EMI, Roger Waters, David Gilmour et Nick Mason – les trois membres restants – obtinrent finalement gain de cause en interdisant la vente d'inédits de façon individuelle via des sites comme iTunes.

Parmi les titres cachés, une version étonnante de Wish You Where Here, accompagnée par une longue improvisation du violoniste de jazz français Stephane Grappelli.

Ils s'étaient simplement rencontrés aux studios d'Abbey Road, à Londres, où ils enregistraient au même moment, cloisons contre cloisons. A cette époque Stephane et Yehudi Menuhin se retrouvaient dans leur projet Jealousy. A cette époque les Pink Floyd s'éclipsaient du côté obscur de la lune pour s'irradier dans la poésie d'un morceau fleuve, un planant hommage à Sid Barrett leur ami déchu, pour l'occasion présent en studio, chauve, obèse et tourmenté. Shine on you crazy diamond, ode acoustique de 26 minutes minutieusement découpée en deux parties, développe la thématique de l'absence. L'ouverture sonore, insufflée par la présence de Stephane Grappelli, témoigne toute l'originalité de cet enregistrement et l'étendue des possibles, justement déployés par la "machine" floydienne au milieu des années 70.  


Nick Mason raconte que les membres du groupe sont allés saluer les deux géants du violon dans le studio, qu'ils ont proposé de jouer un morceau ensemble et, qu'immédiatement, Grappelli a participé aux sessions d'enregistrement du disque. Yehudi, qui n'était pas un improvisateur, est resté à l'écart, étonné par la mélodie de ce grand vacarme. Il a fallut restaurer entièrement cette session à la prise de son médiocre pour pouvoir l'offrir aux passionnés de musique. Pour Stéphane, coeur éternellement grand ouvert, ce fut une belle promenade initiatique... Une nouvelle corde psychédélique s'ajoutait à son archet de satin, au lieu de rencontre des langages, là où bruissent les possibles du partage.

mercredi 22 juin 2011

MIKE BLOOMFIELD, l'ange noir du blues blanc.

Portrait d'un discret génie.


Le blues joué à Chicago, au milieu des 50's fut le berceau musical dans lequel grandit Michael Bernard BLOOMFIELD. Le roi Elvis et Scotty Moore, ses idoles, lui donnèrent envie de prendre une guitare. N'ayant manqué de rien durant son enfance, Mike reçoit son premier instrument lors de sa bar mitzvah. Immédiatement, il s'emploie, avec assiduité, à son apprentissage le plus poussé.

Il a treize ans et découvre une autre sorte de musique : la tinte inégalable de l'électrique blues, made in Chicago. L'enfant prodige explore, avec son ami Roy Ruby, la grande ville et sa belle musique. Véritablement captivé par les racines noires de la guitare, Mike se met à écumer les bars de la ville, en majeure partie ceux du South Side. Il fait le mur pour écouter Muddy Waters, Otis Spann, Howling Wolf et Magic Sam. Du Mississippi, beaucoup venaient à l'époque s'enluminer de Chicago Blues.

Pourtant très réservé, vivant dans une bulle de marginalité, Bloomfield prend toujours sa guitare quand il se déplace, essaye par tous les moyens de jouer. Comme s'il ne pouvait exister - ou plutôt  s'animer - qu'à ses côtés. Sa Gibson devint une femme dont il ne pourrait jamais plus se défaire. Alors, Mike grimpe sur scène sans rien demander, commence à jouer des riffs particuliers. L'étonnement général du public grimpe crescendo. Jamais Mike ne laisse un auditoire indifférent à son inspiration. Dans le South Side, le public choisit – avant les patrons – qui peut jouer ou non.
Tout de suite, il voulut Mike, peut importait s'il était blanc. Comme le Cygne, Bloomfield avait en lui une doublure de noir brillant. Il devint l'ange noir du "nouveau" blues blanc.

Quelques parias du quartier se découvrent des vues similaires, un simple désir d'accomplissement musical. Paul Butterfield, Nick Gravenites et Elvin Bishop font tous appel au jeu délicat de Mike qui vint tinter leur musique d'une goutte de jamais bu.

Au Pickle Fickle, le mardi soir, des bluesmen réputés animent les chaudes soirées. Sa rencontre avec l'harmoniciste Charlie Musselwhite accentue ses valeurs musicales, le recentre aussi sur l'étude des origines. La source, Son House, devient une icône inspiratrice. Mike se met ainsi à la recherche des musiciens oubliés... ceux qui ont forgé son oreille, ont guidé ses doigts. C'est comme cela qu'il se retrouve à jouer aux côtés de Sleepy John Eses, Yank Rachell, Little Brother Montgomery et qu'il enregistre avec Big Joe Williams, avec qui il immortalise PICK A PICKLE (au Pickle Fickle).

Lors d'une riche expérience à New-York City, Bloomfield ouvre son spectre artistique à la musique folk, faisant à l'époque sensation. Il enregistre ses premières sessions en 1964 et commence à se forger une élégante réputation East Coast. C'est à ce moment que Mike rencontre Bob Dylan, qui le considère immédiatement – et encore aujourd'hui – comme " le plus talentueux et sensible des guitaristes de tous les temps ". Highway 61 Revisited marque un tournant pour Bob ; pour Mike aussi. En 1965, sa résonance au Newport Folk Festival s'affirme comme un des évènements majeurs dans la carrière du folk singer, et de la musique moderne en générale. Le son, crûment électrifié, fait gémir les cordes torturées de Mike. Ils s'accompagnent, neufs et inspirés (le son pourrit, il est vrai) sous les huées féroces d'un publique de folkeux trahis.


Immédiatement, quand ses tympans rencontrent Bloomfield, John Haamond Sr. – légendaire producteur de CBS – décide de signer un contrat d'enregistrement avec le jeune prodige. Cependant, plusieurs pressages ne peuvent être publiés, le label ne sachant pas vraiment comment promouvoir un guitariste de blues blanc...

Michael ne tardait jamais trop loin de Chicago. C'est peu de temps après son retour de New York que Paul Rotchild, producteur du Paul Butterfield Blues Band, recrute Mike pour jouer de la guitare slide sur les enregistrements du tout début (Lost Elektra Sessions). Paul et Mike s'éveillent l'un l'autre. Leurs musicalités fusionnent et s'inspirent.
Toujours discret mais plus du tout anonyme, le jeu de Mike est d'une singularité inimitable. Il compose EST-OUEST, une fresque psychédélique, rehaussée de limpides improvisations, qui inaugure le deuxième album du Paul Butterfield blues band. Les initiés se passent le mot.

Une nouvelle façon d'envisager le Blues des origines prend forme. Lui aussi doit être métissé. Loin de constituer un pillage, le blues blanc de Chicago est un hommage fidèle à la musique des racines et, en même temps, compose son arborescente continuité. La musique des 60's à pour force première de s'émanciper des styles. L'éclosion se fait dans une époque de bourgeonnement musical et d'ivresse culturelle.

The Electric Flag Band

En quête d'espace et de créativité, Bloomfield quitte le groupe au début de l'année 1967. Il fonde alors THE ELECTRIC FLAG, avec ses deux amis de Chicago : l'organiste Barry Goldberg et le chanteur-compositeur Nick Gravenites. Le batteur Buddy Miles vient apporter son punch west coast et ses vocaux chaleureux. Une dimension soul est ajoutée au jeu de Bloomfield, qui synthétise dans ses cordes l'univers d'une époque cuivrée : le blues joyeux et sa résonnante continuité.

 Les années hippies. La vie en communauté. San Francisco, Summer of Love et sa grande famille hallucinée. Le groupe sort l'album A Long Time Comin' en 1968.

Leur première représentation, au Festival de Monterey, fait belle impression. Le style psychédélique, rockabilly et rhythm'n 'blues mêlés, est construit sur mesure pour l'attaque vengeresse de Bloomfield, toujours aussi minutieusement placée. Pourtant, la formation n'arrive pas à tenir. La gestion s'étiole. Des problèmes d’ego, de drogues, provoquent l'effilochage du "drapeau électrique".



Après avoir écumé de long en large le pays, Mike Bloomfield décide de mettre fin à ses fatigantes insomnies. Il s'installe à San Francisco et exécute plusieurs sessions en studios. C'est alors qu'il retrouve Al-Kooper (leader des Blood, Sweat & Tears) qui lui avait été présenté par Dylan, quelques années auparavant.

En 1968, ils enregistrent ensemble SUPER SESSION, aux côtés du chanteur-guitariste Stephen Stills (alors leader de Buffalo Springfield, puis membre de C.S.N.Y et de pilier de Manassas Band). L'album reçoit instantanément d'excellentes critiques et devient un disque de référence chez les amateurs de blues. Super Session est le résultat d'une jam enflammée, s'étant déroulée sur plus de neuf heures, sans discontinuer !
Seront extraits des bandes du magnéto, les cinq premiers titres du disque. Cet ambitieux concept est l'oeuvre du multi-instrumentiste Al Kooper, alors producteur chez Columbia.

De son côté, Bloomfield ne quitte plus sa GISBSON - une Les Paul Sunburst 59, rouge. Elle lui confère, dans un même temps, une énergie voluptueuse et vive. Le caractère improvisé de l'enregistrement apporte cette dose de prise de risques, cette attaque mordante, une tension dans le relâchement. Nous ressentons, par la proximité du recording, une connectivité instantanée qui s'établit entre les trois musiciens blanc, rejouant sur une autre ton la longue diaspora du Blues.

Le premier titre, Albert's Shuffle, donne le ton. Cette fresque psychée, composée par Bloomfield (tout comme His Holy Modal Majesty et Really), prend des allures de paradis enfumés. Cristal Kooper apporte une basse soutenue aux deux sons de guitares aériens de Stills et de Bloomfield. Harvey Brooke agrémente le swing de riffs cuivrés, si précisément rebondis.

Mike occupe une place de premier ordre sur la Face A. La deuxième partie est marquée par le jeu de Stills. En proie à des problèmes de santé diverses – en partie dues à une forte consommation de drogues –, Mike n'aurait pas pu finir l'enregistrement le jour même. Dans une face B plus pop, Stephen laisse parler librement son style.

Live Filmore West.
Le succès de cet album se prolonge, la même année, sur deux enregistrements live : The Live Adventures of Mike Bloomfield & Al Kooper, au Filmore West de San Francisco et The lost concert tapes 12/13/68, au Filmore East à N.Y.C. Il y a les soirs et les grands soirs. Ces deux concerts appartiennent à la seconde catégorie.





Quelques mois après Super Session, Mike Bloomfield renoue avec son ami de longue date, Nick Gravenites signant, sous son nom, MY LABORS. Certainement son aboutissement artistique, si l'on considère l'impeccable tenue de sa voix de gravillon, justement placée sur ses arrangements soigneusement composés. Le jeu de Mike Bloomfield double les vocalises de Nick. Il naît de cette union une musicalité épurée, d'une souplesse contorsionniste. Toute la magie du Blues d'où émane ce sentiment si particuliers, ce simple état de l'esprit qui existe avant de jouer. Cinq notes, parfois moins. De longues tenues jubilatoires. Des rugissements de lions affamés de villes et de femmes. Mike, guitare sous le menton, s'applique à regarder ses doigts filer la broderie sur frets argentés.




Au milieu des années soixante-dix, Bloomfield enregistre, sur de petits labels, un certain nombre d'albums de "blues traditionnels". Il conçoit également une méthode d'enseignement des divers styles du blues pour le magazine Guitar Player.

Malheureusement jamais bien dans sa peau, Mike manque des concerts, se replie sur lui-même, joue sans rien attendre... À l'été 1980, il fait une tournée en Italie avec le guitariste classique Woody Harris et le violoncelliste Maggie Edmondson. Le 15 Novembre 1980, Bloomfield rejoint Bob Dylan sur la scène du Théâtre Warfield (à San Francisco) où ils rejouent Like A Rolling Stone. La chanson, huée 15 ans plus tôt, emballe le publique dans un frémissement mélancolique.

Michael Bloomfield a été retrouvé mort dans sa voiture d'une surdose de drogue à San Francisco, en Californie, le 15 Février, 1981.



Discographie partielle


The Original Lost Elektra Sessions - The Paul Butterfield Blues Band (1964)
The Paul Butterfield Blues Band - The Paul Butterfield Blues Band (1965)
Highway 61 Revisited - Bob Dylan 1965
East-West - The Paul Butterfield Blues Band (1966)
A Long Time Comin' - The Electric Flag (1968)
Super Session - Bloomfield, Kooper and Stills (1968)
The Live Adventures of Mike Bloomfield and Al Kooper - Mike Bloomfield & Al Kooper (1969)
Fillmore East: The Lost Concert Tapes 12/13/68 - Mike Bloomfield & Al Kooper (1968, sorti en 2003)
Live At Bill Graham's Fillmore West - Mike Bloomfield (1969)
My Labors - Nick Gravenites (1969)
If You Love These Blues, Play 'Em As You Please - Mike Bloomfield (1976)
Live at the Old Waldorf (1977, sorti en 1998)
Analine (1977)
Mike Bloomfield (1978)
Between the hard place and the ground (1979)
Cruisin' for a bruisin' (1980)
A true soul brother (compilation de 2 disques) : if you love these blues, play'em as you please et M. B; / Woody Harris.
Don't say I ain't your man compilation des années 1964 à 1969, avec des inédits du P.B.B.B.

samedi 18 juin 2011

Harlem story - Outro.

Le séjour à Harlem est définitivement clos. Dans le rétro, à plusieurs centaines de miles, j'entends BILL WITHERS... qui dépeint et dépeigne MON beau quartier en briques. Le mien aussi, oui ! Car, le coeur ouvert, il ne suffit que d'une poignée de nuits pour clamer haut et fort : HARLEM, mon nid farouche ; je t'adore !

vendredi 17 juin 2011

UN SOIR AU CLUB - Christian Gailly

C'est arrivé. Cette histoire ne sera plus jamais comme celle que je pourrais – pour quelques instants seulement – encore vous conter. Je vais forcément tout oublier. Et pourtant, j'aurais voulu l'écrire ce récit. Je l'ai seulement imaginée.
En appuyant sur play, les visages vont se dévoiler. La musique va parler autrement. C'est irréversible. Le charme de l'imaginaire est en érosion. Pourvu que My romance ne soit pas désenchantée...

J'y repense souvent à Simon NARDIS. Avant de l'avoir rencontré, je connaissais déjà sa musique. Celle qui le définissait sans qu'il eut besoin de jouer. C'était avant les années 50. Du moins, du temps où il buvait.

Si Christian Gailly avait modelé Simon NARDIS en divaguant sur sa musique, si son livre ne durait que le temps d'une ballade bleue, si ses silences donnaient naissance aux lendemains pluvieux.

Qui a écrit NARDIS ? ... C'est une imprudence collective. Il y a du Miles en dedans. En anagramme NARDIS ça fait SIDRAN, comme Ben, du même nom. Miles aimait bien les jeu de piste.
Il y a du Bill Evans tout autour. Mais nous – vous et Christian – on dit juste Bill, comme on ne dirait que Miles. On comprend. On dit : BILL-SCOTT-PAUL. Ça suffit.

Le hasard de Simon Nardis fut de vivre sa chanson en vrai. Chacun de nous a une musicalité. Le hasard fut d'aller les écouter tous les trois, BILL-SCOTT-PAUL, au Dauphin vert, un tout autre genre de Village. Sa musique l'appelait. Et Simon Nardis reprit vie. Il avait tout oublié, et le voici patauger dans son passé. Un Soir au Club a suffit. Dans son intention, il reconnait la sienne. Un style. L'un des plus éblouissants trio qu'il soit. Ces arabesques modales, en accroche-coeurs, qui dansent sur les volutes gitanes. Si Simon s'attendait à cela !

 "Son train, dit-il, était à 22h58. Quand les musiciens ont fait la pause, il était 22h40. Il nous restait 18 minutes. Ça allait, la gare est à côté, sauf que j'ai perdu au moins cinq minutes pour dégager la voiture. Alors on s'est levé, lui et moi, mais lui, tiens-toi bien, au lieu de me suivre vers la sortie, il m'a tourné le dos, il est allé s'asseoir devant le piano. [...] Simon a commencé à jouer. Pas tout de suite. Il avait attendu dix ans et dix minutes. Il dut attendre quelques minutes de plus. Deux ou trois peut-être. Le temps de vaincre le tremblement de ses mains. Il faut imaginer ses mains, au-dessus du clavier, qui tremblent, et Simon qui, toutes les quinze secondes environ, les cache derrière son dos, puis les montre à nouveau, les offre au piano, les lui propose, l'air de lui dire : je t'ai abandonné mais je reviens."

Ch. Gailly, Un soir au Club, Les Editions de Minuit, Paris, p.46.

Un retour au pays imaginaire, le doux tintement des verres, éméchés, pèle-mêle, aux couleurs zébrées des cymbales Motian. Ses doigts, à Simon, sur la table cirée, se délient. De cette magie phosphorescente, suspendue sur le temps, Simon swing. Son exutoire doré vibre dans une lumière familière. Rien de tout cela ne ce serait passé, si seulement était-il rentré... Chez lui, Simon n'y est pas, mais il s'y sent tout comme. Un Soir au Club il retrouve le goût savoureux de sa madeleine oubliée. Plus il en mange, plus il a faim. Jamais rance, sa musique ne connait ce biologique effet de satiété.

Simon c'est Bill. Plus vieux. Un reflet de sa personnalité dans l'après. Simon se regarde jouer quand il était jeune. Bill ne sait pas encore qu'il deviendrait Simon.
Le film pourra t'il laisser deviner cette étrange rencontre ? Celle d'un homme face à son reflet. Dans le noir du piano, mains contre mains, les deux créations se jumellent.

Il y a, dans l'écriture de Gailly, ce qu'il y a dans la musique de Bill. L'histoire d'un rythme. Des silences. Une danse de vides et de pleins liés. Elle parle de murmures nostalgiques. De la fin d'été.

La nature reprend souvent le dessus. Le souvenir d'une cigarette qui n'attend plus qu'une allumette. C'est Debbie qui a tout fait changer. La Debbie de la valse oui. Simon se laisse entraîner. Quand elle chante, elle tournoie cette Debbie. Pleine de grâce c'est une îcone ternaire. J'y vois une muse de la musique incarnée. Son allégorique visage, je ne veux pas l'imaginer. L'attitude, la voix que je lui ai créé, suffisent à expliquer sa personnalité. Existe t'elle vraiment, ou n'est-ce que l'imagination de Simon, qui pianote ses pensées ?

Il faut dire qu'avant cette soirée, il n'avait pas bu depuis tant d'années. Il ne jouait plus. Il mourrait dans son attente. Quand on perd la voix, à quoi bon gesticuler. L'enfance ne doit pas vieillir, jamais. L'amnésie artistique ça ne tue pas, ça rend heureux paraît-il. Alors.
Bon mari, bon père, bon ouvrier. Sa mémoire avait effacé le jazz dont il s'était – enfin – sevré. Simon n'écoutait que du Classique. "A défaut de swing, il se gavait de beauté".

Éveillé, une nuit dans une journée, pour retrouver le bonheur de la liberté. La résurrection d'une passion se fait sentir. Une femme, la musique, une musique de femme. Des émotions musicales chevauchent les harmonies sentimentales et existentielles de ce personnage sensible. Son jeu s'est tout de même un peu rouillé. C'est cette patine du temps qui me plait. Les imperfections qui trahissent une identité. La maladresse du geste qu'on ne peut gommer.

La musique de Simon Nardis naît sur la brèche. Dans le frisson. Là où les autres tombent, il tient en lévitation. Comme Bill. Il est à l'orée de sa mémoire. Funambule bucolique, il fait chavirer ses notes comme des tonnelles de papier mâché. Penche d'un côté, se reprend, penche de l'autre. Se couche sur le clavier ; anéanti. Cherche la faille dans le silence. Puis, prend son envol et tournoie au firmament. Je la perçois si clairement la musique de Simon. Dans le souffle, un frémissement. J'entends NARDIS. Doucement. Comme si je n'avais jamais entendu que cela. Fait patienter le son suivant. Je la connais mieux que celle de Bill. C'est mon imagination qui l'a composé.

Les mots de Christian : une vapeur condensée de l'esprit. Sa partition est rédigée de lettres légères, solitaires, électriques. J'y vois des filons de mémoire, une poche souterraine que je croyais condamnée.
Il s'échappe de l'écriture de Gailly une musicalité. Effacer les mots, les notes à l'éponge. Un swing du verbe, une syncope dans la syntaxe, un changement incessant de tempo. Il y a un saxo qui parle dans son stylo.
Interjections lancées comme des notes solitaires égarées, interrogations suspendues, apostrophes complices, respirations délivrantes, toute la joute haletante d'une pensée, sur le qui-vive. Une improvisation étincelante, tenue de bout en bout par une mélodie dictée de passion. Sa ponctuation rappelle Schönberg dans la NUIT TRANSFIGUREE. Dans ce livre, la musique d'Un Soir au Club est pudiquement dénudée.

Les notes retenues parlent plus que mes mots. Toute la magie de cette histoire tient sur un confetti. La pudeur des mains de Bill Evans dicte la beauté d'une relation amoureuse. Elle l’empaquette de satin rouge. Un ruban sur le clavier. Machine à écrire ou piano, le tempo de l'idylle vient du coeur mécanisée. Celui de Simon, de Bill. Le notre.
 Chut !
Le film est dans le lecteur. Jean Achache met en image la mélodieuse écriture de Christian. Michel Benita à la composition. Elise Caron chante. J'espère seulement ne pas trop entendre l'image parler. Je me demande si je ne devrais pas, tout simplement, m’accommoder du souvenir de mon émotion, la laisser mourir de sa belle mort. Me contenter de sa beauté non-imagée.

Adieu My Romance. Je suis trop curieux, j'appuie sur play.

mardi 14 juin 2011

Tremé, la série New-Orleans qui innonde les écrans.


Après avoir brillamment dépeint les bas-fonds de Baltimore dans « The Wire », le scénariste américain David Simon crée « TREME », une incursion sociale et musicale dans la Nouvelle-Orléans post-Katrina.

"J'espère que tu reviens à la Nouvelle Orléans,
Tu sais que c'est vraiment le pays des rêves abondants,
Il n'y a pas d'autre ville comme New-Orleans,
Je savais que je ne pourrais pas m'exiler,
Je suis donc rentré, je vais rester,
Pour reconstruire ma vie, ici, en New-Orleans."

UN REGARD SUR KATRINA.

Bon nombres d'idées reçues font que l'actuelle New-Orleans, bastion culturel irremplaçable des Etats-Unis, n'est – pas même en son pays – véritablement connu. Son identité, abandonnée au sort des médias, est comme désincarnée. On aime enclaver ce gigantesque patchwork culturel dans un passé enfouis (qui arrange), plutôt que d'écouter ses vérités qui effraient.


A la suite du passage de l'Ouragan Katrina, le 29 août 2005, la population fut temporairement évacuée vers des villes de Louisiane (majoritairement à Bâton-Rouge), du Texas et d'autres états de la fédération américaine. 80% de la Nouvelle-Orléans fut inondée. La catastrophe fut aggravée par la fêlure des digues sensées protéger la ville.

Le 1er septembre 2005 au soir, des unités de la Garde nationale de l'US Army arrivent sur les lieux pour empêcher les pillages, qui se sont généralisés, avec ordre de tirer pour tuer. Le chef de la police annonce sa démission le 27 septembre. 250 policiers, sur un effectif de 1700, font face à des sanctions disciplinaires pour manquement à leurs devoirs ; durant et après le passage de Katrina.
 Une onde de choc. Le maire annonce le licenciement de 3 000 employés de la ville, pour motifs budgétaires. Le président George W. Bush est toujours violemment accusé de ne pas avoir réagit face aux évènements.


Catastrophe naturelle ? catastrophe humaine ?

Tout doucement, certains habitants firent leur retour dans la ville dévastée, alors que d'autres ne revinrent jamais plus. Fin janvier 2006, selon le Louisiana Weekly, le centre de la ville comptait 144 000 habitants. Ce chiffre est à comparer aux presque 500 000, enregistrés avant l'ouragan. Katrina est partout. Ses frères et soeurs n'ont pas fait autant de mal, pourquoi ?

UNE SÉRIE ENGAGÉE.

Le trailer débute trois mois après le cataclysme. C'est au coeur d'une ville dévastée que l'action de TREME  palpite ses enregistreurs. Le quartier, bien vivant, nous met face aux contradictions d'un pays qui accuse. La caméra se place du côté des habitants, de leur nouveau quotidien.

Les protagonistes ont pour seul point commun de vivre dans cette ville, de l'aimer ; son identité, ses racines, sa nourriture, et puis sa musique. Nous suivons - en temps réels - le quotidien de simples habitants.

Davis-  Programmateur de radio fauché. Musicien. Mélomane Feu-Follet/ fait tourner en boucle la musique de ceux qui l'on fait rester ! A noter : jam sessions endiablées à l'apart'. Son amie (on ne sait pas vraiment), est une chef cuisinière  : créative. Sauve son resto. Essuie les galères sans se démonter. Garante du patrimoine culinaire de la ville. On se bat pour ses beignet., Po'boy, ses tendres Muffaletta. Flambeuse d'écrevisses ; On se damnerait pour son jambalaya. Gumbo créoles en blonde 

Le fil rouge : Baptiste - joueur de trombone fauché et tout son passé. Anciennement marié à la belle du bistrot de quartier :
LaDonna : la seule de la famille restée. Doit trouver Daymo.
Tony : Brillante avocate, s'occupe des disparus... Il y a en a tant. 
 Où est Daymo ?


Le mari de Tony s'engage à perte dans la reconstruction de la ville. Creighton Bernette, truculent professeur de l'Université de Tulane (interprété par John Goodman) rabroue les ignorants. Justicier raté. Ecrivain en stand-by , il décortique Katrina dans une romance tragique qui occupe toutes ses pensées.

" Il faut maintenir la culture. La ville est toujours en guerre contre les Indiens, les musiciens, le bruit, le couvre-feu, les autorisations. On pourrait penser qu'en perdant presque tout, ils apprécieraient ce qui reste. Mais non"

J'aime ce couple de musiciens des rues. Cette étonnante violoniste new-yorkaise et son partenaire multi-instrumentiste Leur rêve s'appelait Vivre en New-Orleans. NOLA les inspire, les fait chanter et manger... et après ?


Quant à Albert Lambreaux, il essaye de ramener les membres de sa communauté. Big chief, Black Indian , réunit sa White Feather Nation pour reconstruire son quartier. 


On s'attache au flic désabusé, à tous ces représentants de l'identité de NOLA, cette belle cité noyée. Ils se croisent, se connaissent, les petites histoires dans la grande, intelligemment imbriquées. 

UN TREME NOMME DESIR. « Le bon temps roulé ».


La Mecque des musiques noires-américaines, léguée, au début du XIXe siècle, par l'état français pour une poignée de dollars, devint, à cette même époque, un bastion de culture créole. Ces habitants, en majeure partie venue d'Haïti, double la population de la ville alors déclarée capitale de la Louisiane jusqu'en 1880.

Une culture syncrétique, altérée de musiques, se développe. TREME, au coeur de Storyville, est l'un des plus anciens quartiers de la Nouvelle-Orléans. C'était, à l'origine, le lieu des gens de couleurs libres.

Peut-on employer le mot authenticité ? Pas vraiment, pourtant Tremé a belle et bien son identité. D'avant et d'aujourd'hui. Celle qui prend du temps pour se voir. Les polars de Truman Capote jonchent les rues.

TOUT POUR LA MUSIQUE : LA BANDE SON DE TREME.



Pour ouvrir, il y a ce générique : Tremé, par John Boutté. Il vient ponctuer chaque épisode. Sa soul d'un concentré énergisante, un tube qui tourne rond dans les têtes (même l'écran éteint).

L'épisode 1 donne le ton.
Dans le coin, il y a Louis et Sidney. Mahalia Jackson, professor Longhair, et James Booker étaient leurs aînés. Ce sont les bandes sons de TREME. Les rifs de jazz des Marsalis, le blues de Dr. Johns, Christian Scott aussi. Il y a Buddy Bolden, Roy Brown, Fats Domino et tous les nouveaux...


Toutes les identités faisant l'histoire de cette ville magique sont naturellement présentées, au grès des concerts improvisés, comme si nous y étions, nous aussi, dans ce magnifique merdier. Le pilier des Brass Band, Lionel Baptiste, est central dans la préservation des traditions musicales. Ce tromboniste noctambule sillone les rues, les bars, les clubs restants, à la recherche de gigs. Il retrouve son vieux pote Kermit Ruffins, qui dirige les Barbecue Swingers, tous les jeudi au Vaughan's Lounge. Trombone Shorty vient taper le boeuf avec lui, un délicieux mélange de gumbo du ghetto. Et Donald Harrison souffle dans son alto la tristesse de sa ville détruite.

 Dans le petit studio de la célèbre radio locale, WWOZ, le métis choctaw et cajun, Coco Robicheaux, vient pousser la chansonnette derrière sa guitare swamp blues. Le voodoo child s'adonne à un sacrifice de poulet en direct (pas seulement drôle !).


BOURBON STREET a changé !

Allen Toussaint fait un enregistrement studio dans un épisode où Elvis Costello lui donne joyeusement la réplique.

Le "Roi de Tremé", c'est Powell Shannon. Il y a aussi Alex Chilton, décédé l'an passé. Ils n'ont jamais voulu quitter le quartier. On entend les METERS, les deuxièmes lignes du Rebirth Brass Band, Louis Prima, le rock cajun, Linda Hopkins, le hip hop et la funk music aussi. L'ensemble rieur mêlé aux blues des habitants qui s'agrippent. Les Neville Brothers se retrouvent dans un bar, la veille de Mardi Gras.

MARDI-GRAS, DU VOODOO AU CARNAVAL





" Triste mais beau comme la Nouvelle-Orléans. J'ai horreur de la voir dérailler. Le carnaval est terminé. Adieu à la chair au pays des rêves [...] Là bas, le paradis sur terre s'appelait Nouvelle-Orléans. On y vit désormais comme dans un rêve, où tout semble identique tout en étant différent. Connu mais dépaysant. Troubant, sans qu'on puisse pourtant l'identifier. La Nouvelle-Orléans était une bulle de savon. Une bulle portée par le zéphyr. Et elle a fait un sacré voyage. À présent, tout est fini. Quoi qu'il arrive désormais, ce ne pourra être que l'image des souvenirs passés."



mercredi 8 juin 2011

SIR ROLAND HANNA, l'oublié du piano solo.

Le piano solo – périlleux exercice stylisé – transmet, depuis les origines du jazz, des énergies identitaires. 10 doigts et 88 notes : des galaxies de possibilités pour définir une touche. De Jelly Roll Morton à Jason Moran, plusieurs générations de pianistes ont conceptualisé des musiques aux parcours solitaires, en studio comme en live.

JAZZ MAG-MAN (n°626-juin 2011) présente un dossier complet sur Les aventuriers du piano solo. Je ne reviendrais pas sur la nature de leur sélection subjective ; elles font, de toute manière, toujours appel à des sensibilités, et tant mieux !

 Avec plaisir, je retrouve Dollard Brand d'Abdullah Ibrahim, Solitaire d'Erroll Garner, The Genuis of Bud Powell. Les sons sans mots de Fred Hersh, le premier Solal Solo, dispersés - pèle-mêle -  avec 84 autres merveilles.

La plupart des disques choisis sont des studios. Mais l'exercice prend également son sens profond en public. Le solo live est divin. Parmi la sélection, je réécoute volontiers le concert au Japon de Brad Mahldau, Monk alone in San Francisco, ou encore Cologne et Scala, par Keith Jarrett. L’intense union du Savoir et de l'Instant, saupoudré aux tympans d'une salle qui crée, en résonance.

Deux albums, deux styles, ponctuant le génie de Bill Evans, sont aussi présentés dans le dossier. Il y a Alone Again et New Conversations. L'expérience de la solitude, celle d'un piano errant jamais perdu, commence par Alone vol.1. Il susurre Debussy, Stravinsky, Bartók même, avec du swing en dedans. J'ai cru entendre, un soir, son ami Glenn Gould...


Il faut toujours rappeler les oubliés... A un moment donné, on doit choisir, c'est vrai. Alors, je prends le relais pour parler de ROLAND HANNA, étonnant pianiste américain, en 2002 décédé.
Son expérience musicale (composition, piano, violoncelle) fit de l'humanitaire Sir Roland un moteur dynamique pour le développement des structures "jazz".

Je l'ai, pour la première fois, entendu dans l' "autre" version hommage au Concierto d'Aranjuez. Celle du guitariste Jim Hall, entouré pour l'occasion de Chet Baker, Paul Desmond, de Ron Carter et de Steve Gadd... Bill Evans, grand compagnon de Jim, n'était pas là. Jim fit appelle à Roland Hanna. Ceci explique cela.

J'appris, peu de temps après, à comprendre le parcours de ce lumineux musicien de l'ombre. Diplômé de la Eastman School, puis de Julliard, il eut joué, quelques temps, dans l'orchestre de Benny Goodman. Sarah Vaughan fit, à cette époque, appelle à ses services, puis Carmen Mc Rae, avant qu'il ne s'illustre aux côtés de Charlie Mingus, à la Half Note, c'était en 1959.

Il avait, durant les années 60, parcouru le monde avec de grands orchestres, dans ses propres formations. C'est ainsi, qu'en 1970 il partit en Afrique et qu'il fut anobli et promu chevalier par le président libérien, William Tubman.

Finalement, c'est après avoir travaillé avec le New-York Jazz Quartet qu'il décida de se produire en leader, et en soliste. Il aurait écrit plus de 400 morceaux, pour orchestre, petites formations et piano solo.






PIANO SOLO.




Les treize tableaux, de cette oeuvre en solo, furent enregistrées en France, lors d'une session privée de l'année 1974. Le répertoire se compose de huit standards, dont une extraordinaire reprise de Stompin' at Savoy, effrontément juste et novatrice dans son interprétation audacieuse.

Les deux compositions originales Perugia et Anone, magnifiques peintures impressionnistes, rappellent les Helvetia de Vincent d'Indy, la barque sur l'océan de Ravel. Désespérément bucoliques, les larmes d'ivoires roulent le papier buvard, moyenâgeux, l'inquiétante quiétude du soir. Tout son dévouement pour la mélodie improvisée révèle cette énergique primauté des ruptures et du remodelage.

Son habile dissociation encéphalique lui permettait de jouer, au même moment, deux structures rythmiques contrariées. La précision désaxée de son tempo est une marque singulière. Ses brisures ne sont pas celles de Monk ou de Bill Evans. Sir Roland a sa propre conception du swing, juste entre les deux. Tantôt extrêmement épurées, tantôt prolixes, les avancées claires des sonorités, leurs nettes articulations, sont entièrement disposées à la narration mélodique.

Assimilées à un amour profond pour la grande musique européenne, les interprétations disposent notre conscience dans une bulle contemplative. De discrets sentiments de mélancolie, si justement dévoués à l'expression du ressenti. C'est peut être cela qui lui confère cette allure surannée. Je le comprends ainsi.


Il composait avec un zeste de magie et de l'indiscutable bon goût. Il disait : "La musique classique a toujours été une force motrice dans mon travail. Mais le jazz me vient naturellement. Mon but serait l'effacement des frontières musicales. Pour moi, la musique est nourriture, je n'aime pas dire : ça vient des pommes ou des poires, mais simplement, ça a bon goût".

On ne sait dans quelle mesure commence véritablement l'improvisation dans la musique de Sir Rolland. Les harmonies luxuriantes ne sont pourtant pas en trompe l'oeil. Qu'il est bon d'entendre le savoir parler en retenu. Il prend la mesure de ne pas jouer, de poser la juste note, au juste moment. C'est classe.

Sir Roland Hanna maîtrisait l'art du solo. C'est un styliste qui modèle l'éternel aux allures de ragtime démembré, de prélude sans suite. Classique-Bop en introspection, le copain Flanagan Tommy, avec lui, partageait le soucis d'une beauté aboutie et raffinée (que du premier degrés). Si vous écoutiez.






SIR ROLAND HANNA – SOLO PIANO.


1 - When or when
2 - I got it bad
3 – Stompin' at Savoy
4 – Perugia
5 – Prelude to a kiss
6 – Emaline
7 – Don't blame me
8 – Anone
9 – Indiana
10 – Bye bye blackbird
11 – Willow weep for me
12 – Isn't it a pity
13 – All the things you are


A écouter également


Easy To Love (The Piano of), 1963
Glove, 1977
Plays The Music Of Alec Wilder (Helen Merrill Presents), 1978
Impressions, 1979
Swing Me No Waltzes, 1979
Romanesque, 1982
Duke Ellington Piano Solos, 1990
After a Dream, 2002.

lundi 6 juin 2011

L’hexagone en festival, un Paris sur la Défense du Jazz.

C'est désormais une tradition dans le paysage du jazz, une histoire de clubs déplafonnés d'étoiles.
Chaque année, de part et d'autre de l'Atlantique, les programmations des festivals d'étés font des impatients et des curieux. C'est un tour de Gaule, d'une dense diversité, qui dessine la carte des musiques en goguette. Elle est, dans cette configuration, la particularité du jazz en Europe et en France : en plein air.


Oui, ça jasait bien sous les pommiers de Coutance. Pourtant, encore et toujours, l'on aime se balader, dans la pinède de Juan, là où, toujours en suspend, cricket song d'Ella donne le souvenir du ton. Keith Jarrett trio le 16 juillet.

Il y a Sète, l’amphithéâtre, face ciel-face mer, pic planté sur la falaise. Cassandra Wilson ouvre les portes, alors que Lagrene&Luc les fermeront, avec Dédé aux balais. Entre temps, Return to Forever, Joshua Redman et Brad Mehldau gorgeront la pierre érodée de précieux minéraux.

Jazz à Porquerolles
Il y a les puces, des manouches voyageurs qui grattent à St ouens. Il y a Crest l'audacieuse, peinte de bleu, sa vieille tour fusain chante. Le Jazz dans le bocage s'installe en Auvergne. Les tombées de la nuit sont belles en Bretagne. Et puis, retrouvons les Flâneries musicales de Reims, Samois pour notre Django, et les musiques improvisées en Franche-Conté. Charlot ! Si 24 heures de swing à Monségur, je dis qu'en seulement deux, Steffano Bollani incarne Buster Keaton sur un pianoà Porquero.

Montreux de l'autre côté de la rive, 45 années galactiques soutenues sotto vocce, des stars pour certains, des stars pour d'autres.

J'ai gratuitement entendu, sous un panier de pluie, oui, Archie Shepp à Corbeil, son saxo froid et son irradiante musique sans prix. l’Essonne accueille, jusqu'au 27 juin, l'exposition Guy Le Querrec, un des plus talentueux photographe français du jazz. Il y aura Christian Escoudé, Richard Galliano... d'autres talents de choix pour compléter. 

Entre temps, le grand Prince déparque le Stade de France. Je ne pourrais, c'est la règle, n'en parler qu'après le 30 juin. Un Paris qui fait du bien.

Dans la fin juillet, la bousole sud-ouest, au Midi-Pyrénée, est bloquée sur Marciac. L'an passé, maestro Chucho Valdès m'avait enfiévré de douceur. S'y arrêterons cette année John Scofield, Joshua Redman, Yun Su Nah, Enrico Rava, l'habitué Wynton Marsalis et, le même soir : l'ancien Ahmad et le jeune Tigran...

J'en oublie. Je n'ai plus d'encre.

JAZZMAG-MAN a choisi JAZZ A VIENNE FESTIVAL. Son complément de l'été, rend à l'éternel Miles, l'hommage éclectique du jazz décomplexé. "Le Roi de l'Arêne" surplombe le Rhône. Dans ses représentations, il souffle le Blues. Vienne radieuse. Ton couché de soleil Vienne, ça va chauffer. On m'a largement ratissé. Quel temps il fera ? Ombrella ou pas ? "Rassembler sans Exclure" est la formule 31 du menu viennois.



La carte (de la France) et le territoire (du jazz). Quelle belle identité géographique, qu'un public fleurisse - crescendo - d'une éclosion mélodique.
Au final, un peu plus chaque année, le succès appel la surenchère. Le sédentaire sélectionne les programmations de la région, l'aventurier détourne le regard pour se laisser guider par les sons. La musique devient, à ciel ouvert, union.

Des régions qui – au demeurant – n'entrevoient que des visiteurs pressés, deviennent, lors de quinzaines ensoleillées, les lieux de rendez-vous des amateurs de zizique(s).

Cette année, je serais peut-être des sédentaires. J'aime le petit Paris et ses grandes Banlieues bleues. Il y a de quoi faire. J'irais certainement du côté de la Défense. Redescendre, doucement sur l'hexagone et continuer à m’apaiser dans les rares couloirs verticaux, avant de pouvoir, enfin, m'enrouler d'un chant d'horizon.


JAZZ A LA DÉFENSE - 18 au 26 juin

Photo : Niels Stoltenberg

Je ne me rends pas assez à la Défense. Attaquons l'immobilité. Pour mon retour, c'est l'excuse et le chien réunis. Chaque mois de juin, depuis trente quatre ans, le département des Hauts de Scène organise, sur la traditionnelle esplanade centrale, une pléiade de concerts gratuits, du soir et désormais du midi.

Ce quartier est spécial. Le dimanche, il n'y a personne, le soir pareil, c'est calme. Tout est arrêté, figé dans les glaces célestes. Il y a toutes les formes. Il faut pénétrer dans la jungle de verre, chevaucher les cascades et les lacs, sauter d'électriques moutons, s'exiler dans le futur. C'est juste après la grande pelouse au carré, celle verte pomme acidulée, à l'aube du précipice de béton, à l'ombre des constructions Mécano pour grands.

Dans cette clairière urbaine – seule véritable folie architecturale du Paris Musée (Jean Nouvel... c'est vrai !) – je me délecte d'une programmation chaque année plus alléchante. Gratuit, c'est bien aussi.

Photo : Niels Stoltenborg

MANU KATCHE, maître de cérémonie cette année, ouvrira le festival avec une soirée "carte blanche". Pour cette occasion, SLY JOHNSON et FINLEY QUAYE seront les invités d'honneurs de l'ancien batteur de Peter Gabriel. Son troisième round n'avait pas mis K.O. On attend sagement la claque.

"Très très fort !!!", le STAFF BENDA BILILI m'avais ému – et fait rire – avec son film-reportage, présenté à la quinzaine de Cannes, l'an dernier. Vivant dans les rues de Kinshasa, le groupe de chanteurs-guitaristes paraplégiques, circule un message universel, plein d'espoir, qu'il pilote en s'aidant d'incroyables véhicules customisés. Rien d'un mélodrame. Juste la beauté des beat afros, entraînés par la poésie d'une bande d'estropiés ; la magie d'une kora faîte d'une ficelle et d'une boite de conserve. Des culs de jattes nous apprennent à danser. Il seront tous présents le 20 juin.

Puis, se succéderont le jeudi 23, à partir de 12 heures, deux jeunes avant-gardistes du jazz contemporain : le trompettiste new yorkais AMBROSE AKINMUSIRE présentera son nouvel album When the heart emerges glistenning. Puis, le guitariste MANU CODJIA, coloriste passionnant et grand improvisateur, mêlera ses sonorités electros avec ses mélodies enjazzées. Pour les connaître, les deux, il ne faut pas les rater.

Nouveauté de la saison 2011 : un spécial événement fête de la musique, le soir du 21 juin à partir de 18h avec Hindi Zahra – prix Constantin et Victoire de la Musique – précédée de la voix de diva de Patricia Bonner.

Le samedi 25 juin, EMIR KUSTURICA et son No smoking Orchestra éveillera le jazz des antipodes : du punk de l'Est, un big band arrosé de voldka.

KEZIAH JONES apportera son légendaire slap bluesy sur sa guitare nigérienne, en solo. Ensuite, le bassiste de James Brown au dred locks et lunettes étoilées, le grand déjeanté de la funk music, GEORGES CLINTON et le Parliement Funkadelic se produira le dimanche 26 juin.

Dans ce prochain festival, se retrouveront légendes et nouveaux venants des musiques libres. Ils joueront dans ce cadre futuriste. Pas besoin de lunette 3D. Gratuit pour tous. L'annonce de l'été.


Photo : Niels Stoltenberg

Programme.


lundi 20 juin : Staff Benda Bilili (Congo) - rumba
> mardi 21 juin : Ebo Taylor (Ghana) - afro beat / Dennis Coffey (USA) - funk
> mercredi 22 juin : Grand Pianoramax (Suisse/USA) - groove hip hop / Blitz The Ambassador (Gwana) - hip hop jazz
> jeudi 23 juin : Manu Codjia (France) - jazz / Ambrose Akinmusire (USA) - jazz
> vendredi 24 juin : Sébastien LLado Quartet (France) jazz / Dead Jazz (France) – jazz


4 soirées exceptionnelles


> samedi 18 juin : (20h) Carte blanche à MANU KATCHE (France) - jazz groove avec entre autres Sly Johnson et Finley Quaye 
mardi 21 juin : (18h) Fête de la Musique avec Patricia Bonner (France) - jazz
HINDI ZAHRA (Maroc) - soul folk
> samedi 25 juin : (20h) Clinton Fearon solo (Jamaïque) - reggae et EMIR KUSTURICA & THE NO SMOKING ORCHESTRA (Serbie) - folk rock
> dimanche 26 juin : (20h) KEZIAH JONES solo acoustic (Nigéria) - afro funk etGEORGE CLINTON & PARLIAMENT FUNKADELIC (USA) – funk