FLANONS TOUT LE LONG, TOUT LE LONG DES RUES, DE PARIS...
J'essaye, depuis fort longtemps, de me dépatouiller avec l'anglais. « Vas au plus simple », me dit-on souvent. Très bien ! C'est facile. Mais j'vais être obligé d'griller des feux rouges et d'me faire mettre à l'amande. Ça dépend les sensations recherchées... moi, j'ai toujours préféré les routières aux sportives, le flegme anglais à la tchatche italienne.
Pour des banalités, du barbouillages sans contrastes, j'arrive toujours à me faire comprendre. Quand il s'agit de mettre en relief des idées, de les nuancer... ça devient inconfortable et vite inadapté. Et puis, lorsque je m'exprime en français, je ne cherche pas forcément la simplicité ; j'en conviens. Je ne dis pas que c'est bon ; ça peut irriter. Mais c'est ainsi, je ne sais pas faire autrement. Je n'vais tout d'même pas écrire un rap ? Je s'rais bien l'seul à rigoler.
La longue frustration d'habiter des codes sociaux différents se fait ressentir lorsque la communication est tronquée ou mal interprétée. Oui, le langage est l'un des seuls moyens d'expressions permettant à deux personnes d'échanger un sentiment sur une idée, de défendre un avis et de le confronter. Les langues ont cela de fort. Elle nous relient, nous assimilent et nous identifient.
Il y aurait plus de mots et de verbes dans la langue anglaise que dans le parlé français. C'est un fait. Pourtant, le français est tellement plus contrasté.
Je me repose ainsi la question, et en profite pour vous demander votre avis. Si le plus important dans un échange oral est, sans conteste, d'être compris par son interlocuteur, n'est-il pas également essentiel de faire passer, par le langage, des éléments propres de notre personnalité ?
C'est quand nous commençons à parler couramment une autre langue, que nous assimilons un autre mode de penser. Je m'explique. Il n'y a parfois pas d'équivalences entre les expressions d'une langue et certains mots d'une autre. Mais, plus que cela, l'étude d'une langue permet de comprendre l'étude des comportements culturels. Des règles sémantiques émanant un idiome parlé qui se transpose également à nos façons de penser. Maurice Druon dit à ce sujet : "Notre langage est à notre intellect ce que l'air est à nos poumons".
C'est pourquoi, notre façon de nous exprimer - d'écrire ou de parler - dévoile des vérités comportementales. S'il est parfois difficile de choisir un mot plutôt qu'un autre, l'usage d'un vocabulaire sélectionné – volontairement ou non – peut, dans sa forme, illustrer le fond d'une pensée. Les mots et les choses, m'apprenait Foucault. C'est dans la nuance qu'on interprète. Que choisir ? C'est comme un jeu de l'esprit. A l'oral, c'est une joute sans toucher. « Les mots et les armes c'est pareil », dit Ferré.
Des mots m'irritent ; je ne veux pas les employer. D'autres me font jubiler. J'aime leur musicalité. "L'image la plus exacte de l'esprit français est la langue française elle-même", dira Désiré Nisard. Je peux que corroborer.
Et quand nous chantons ?
De cette même idée, il se dégage du français, un parcours musical singulier. C’est également une langue qui contient une pluralité de temps et de modes. Nous pouvons dire que sa richesse est à la fois une arme une faiblesse quand on désir la chanter. En effet, si cette langue se prête particulièrement aux jeux de mots, aux traits d'esprits, aux devinettes et autres contrepèteries, combien est-il difficile de la faire swinguer ?
Toute langue possède, naturellement, son rythme propre, son accentuation, sa phonétique, ses attaques. Avant même de penser à la mélodie, chaque culture linguistique détient une musicalité incarnée. On confond, d'ailleurs trop souvent, l'étude du chant avec celle de la voix. La culture vocale est bien sûr indispensable au chant, mais elle ne suffit pas. Il n'est pas rare d'entendre des voix sublimes dont on se prend à regretter qu'elles aient à s'encombrer d'un texte ! Car en plus d'être un instrument, la voix véhicule un discours.
La prononciation constitue, en quelque sorte, l'armature du chant, le squelette sans lequel il ne serait qu'une suite de sons, peut-être mélodieuse mais en tous les cas informe. Elle est une composante essentielle du « style », la première des clefs.
A la question : le français est-il musical ? Je réponds oui, mais...
La chanson française a une place singulière dans le paysage de la musique. Combien de chanteurs francophones ont essayé de traduire des airs du patrimoine américain ou anglais ? Combien, dans cette entreprise, ce sont magistralement vautrés ? Je ne veux rien imposer, c'est juste ma façon de penser.
Pour autant, les textes chantés en français ont une identité. Il y a la poésie en musique ; Ferré-Brel-Brassens font école. Une certaine idée du rock n'roll ? Bashung, Arno, Cantat, Higelin et quelques autres ont donné des réponses. Mais, encore une fois, en empruntant des chemins détournés, une sorte d'altération du langage qui a dû s'adapter.
Le français trouve sa force en marge du folklore afro-américain et en est, paradoxalement, profondément inspiré. A la croisés des chemins, nous retrouvons Serge Gainsbourg, unifiant tous les styles musicaux avec son propre langage, « l'autre » français.
Concernant le jazz, c'est tout aussi compliqué. Certains y sont tout de même arrivés à le faire swinguer, notre vieux français. Je prends pour exemple les mathématiques en musique enseignés par Boby Lapointe, les vocales gymnastiques de Bernard Lubat, la diction de Nougaro, ou encore la suave voix de Jonasz ; sans oublier Boris Vian, la plus jazzy des plumes françaises.
JAZZ FRANCAIS : CHANSON SWINGUEE ?
« La langue anglaise est un fusil à plombs : le tir est dispersé. La langue française est un fusil qui tire à balle, de façon précise. »
Otto Von Hasburg.
En 1957 apparaît sur la scène musicale américaine un trio vocal, le L.H.R (Dave Lambert, Jon Hendricks, Annie Ross). Ce groupe innovateur reconstitue vocalement les arrangements et les improvisations des thèmes de la formation de l'orchestre de Count Basie.
De gauche à droite : Louis Aldebert, Eddy Louiss, Jean-Claude Briodin Mimi Perrin, Monique Guerin, |
L'originalité de leur démarche musicale – tout comme celle du L.H.R – s'appuie finement sur la synchronisation d'un langage joué, seulement animé par des objets, avec la voix humaine, instrument originel, qui, lui seul, peut déposer ses notes sur des portées de mots. Le texte dans le son. La musique d'un langage. Mais plus encore, la formation se fait remarquer par l'audacieuse association de deux codes culturels que tout suppose à séparer, antipodes réunifiés, en une seule et unique volonté : faire swinguer les thèmes du jazz USA avec les mots du français, inaccoutumé.
Cette langue, Mimi et sa formation vont s'employer à la modifier, à la plier par de nouvelles accentuations aux besoins de la phrase musicale. Elle se heurte à la rigidité du français, réputée inadéquate à ce style, car moins onomatopéique que l'anglais. Mais, parvient toutefois à créer des textes poétiques complètement adaptés aux solos du bebop et du swing.
Quatre chanteurs et deux chanteuses s'amusent à reproduire la texture des sons, les attaques, les phrasés, d'un grand orchestre de jazz, étrangement reconstitué. Un pari fou que complique l'utilisation de la langue française.
De surcroît, chaque membre du groupe est chargé de deux voix, afin de reproduire en studio les douze instruments à vent dont dispose généralement un Big Band classique. Par l'usage habile du re-recording (réenregistrement qui donne l'impression d'entendre douze voix alors qu'ils ne sont que six), l’appellation double six fut alors toute trouvée.
Auparavant, dans les années 50, Mimi se fit connaître comme la seule femme pianiste acceptée dans les caves du célèbre St Germain des Près. Elle côtoie alors tous les grands musiciens de l'époque. Elle travaille également comme choriste pour les maisons de disques, derrière les vedettes de variété et les yéyés. Après, elle fit ses gammes dans le groupe vocal des Blue Stars, dirigé par Blossom Dearie.
Il y a, dans le chant de Mimi, la clarté des paroles distinctement nuancées, le poids des mots chantés. Il y a surtout l'énergie du sens musicale, décrivant ses pensées si humoristiquement contrôlées. C'est une déclamation théâtrale, un opéra des temps moderne, l'imaginaire sans frontière. Chaque mot est associé à une idée mélodique qui swing. Ce sentiment sonore est subtilement doublé de poésie. Ce n'est pas assez pour Mimi que de prononcer les paroles justement, il faut encore pouvoir leur rendre la force de leur sens. En écoutant les DOUBLE SIX, toujours, j'ouvre ce livre mystérieux qui me transpose dans une époque 60's. J'me met au lit et le lis, l’œil loin, l'ouïe littéralement l'écrit.
Dans l'acte qui consiste à donner une existence sonore à quelques signes graphiques, le lecteur, en plus de transmettre un texte brut, le charge inconsciemment de connotations, parfois sans rapports avec son contenu. Son appartenance sociale, voir sa personnalité sont révélées, au delà du texte en lui-même. C'est pour cette raison que j'ai toujours préféré la poésie quand on me la récitait.
C'est la même chose quand j'écoute les Double Six. L'expressivité des voix, imbriqués dans les thèmes, témoigne l'acquisition d'un code épuré, une riche palette articulée, dont le contrôle permet à l'auditeur, lui aussi, d'orner un texte, de multiples façons, d'interpréter.
ECOUTEZ MON HISTOIRE, D'IL Y A FORT LONGTEMPS, DU TEMPS OU Y'AVAIS DES TAS D'INDIENS, IL Y A FORT LONGTEMPS D'CA, OH OUI BIEN LONGTEMPS...
Les chanteurs vocalisent à la manière des instruments, restituant, sans onomatopées, les brillantes improvisations des sax, trompettes ou trombones relevés sur les disques sacrés.
DODLINANT, DODLINANT, DODLINANT...(à la tierce) DODLINANT, DODLINANT.
Ça sonne comme l'original, dans la texture, l'articulation et le phrasé. Six choristes font glisser l'archer du souffle sur les cordes vocales, toutes engorgées de jazz, bien embouchées. Ils jouent avec les thèmes de Count Basie, Dizzy Gilespie, reprennent les partitions de Miles Davis ou de Coltrane, chantent les grands chorus de Charlie Parker et de Stan Getz. Mais leurs acrobatiques vocalises ne sacrifient jamais l'expression poétique.
Et puis il y a le travail de proximité avec le jeune arrangeur de talent : Quincy Jones, à l'époque directeur artistique chez Barclay. Ce dernier, en les découvrant, fut littéralement séduit. S'il n'était pas coutumier de langue française, l'utilisation des formules vocales lui rappelait conformément le sens des mélopées. Une vraie stylisation, une « vue orientée », reprenant dans son fonctionnement les fondations même du jazz improvisé. Ils enregistrent leur premier disque, basé sur des compositions du trompettiste, intitulé The Double Six of Paris, qui sort chez Capitol en 1961.
Puis, ils enregistrent un second disque à partir de standards de Count Basie, de Gerry Mulligan, du chef d'orchestre Woody Herman, de Miles Davis, de Charlie Parker et de John Coltrane. The Double Six of Paris : Swingin' Singin' sort chez Philips en 1962.
Naima fait : "QUEEEE VEUX TU VOIR ? PRENANT MON REGARD. TIENS, VEUX-TU VOIR, PLEURER-L'HEURE, DU DEPART".
Pour l'anecdote, Mimi Perrin, qui cherchait désespérément un chanteur pour compléter son groupe, fit la rencontre fortuite d'Eddy Louiss. Bien que ne disposant que de deux semaines pour répéter, Eddy fit tout de suite l'affaire et participa ainsi à la formidable épopée de ces funambules du jazz vocal "en français". Avec les Double-Six, Eddy parcourt le monde. Coup de foudre, à l'occasion d'une tournée au Canada, il découvre au fond d'un cabaret un orgue Hammond dont il ne pourra plus se séparer.
Night in Tunisia... PARAIT-QU'ON PEUT VOIR EN ARABIE, PARAIT-QU'ON PEUT VOIR LA, PAR LES DRAPS... DES MILLIERS D'TAPIS VOLANTS.
En 1963, ils collaborent avec Dizzy Gillespie et enregistrent avec lui un troisième disque chez Philips, Dizzy Gillespie & The Double Six of Paris, consacré aux thèmes du trompettiste, où figure également le pianiste Bud Powell dans l'une de ses dernières apparitions (il décède en 1966).
En 1964 sort leur dernier disque,The Double Six of Paris Sing Ray Charles, chez Philips.
Cette formation, pourtant unique dans son genre, n'eut pas une très longue vie. Suite aux problèmes de santé de Mimi Perrin, les Double Six cessent d'exister en 1966. Ils n'auront enregistré que quatre disques entre 1959 et 1964.
Cher Zoe,
RépondreSupprimerTout d'abord merci pour ton message. C'est toujours touchant de savoir qu'on est suivit par quelqu'un qu'on ne connait pas. Nous sommes lies par l'impalpable.
Plusieurs choses nous relient. La mode, oui. Le Bresil, surtout. Le monde est petit chez les grands...
N'hesite pas a me transmettre tes remarques.
A bientot, sur un blog ou lors d'un voyage.
lois.