Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

lundi 31 octobre 2011

Boris Vian snob la B.N.F.

Un Automne à Paris.


En trompinette Majeur, Boris Vian est célébré, jusqu'au 15 janvier 2012, à la B.N.F.

Cinquante deux ans après sa mort, le Paris littéraire rend hommage à l'éternelle jeunesse d'une personnalité hors du commun qui fit de l'écriture la musique de son existence. De St-Germain-des-Prés au Collège de Pataphysique, des clubs de jazz aux scènes de théâtre, nous voici conviés à plonger au cœur d’une œuvre riche et atypique, où verve et fantaisie se disputent la gravité d'une identité hallucinée. Certains le connaissent pour les mots, d'autres pour les choses. Les images qu'il en a. On le suit en sifflotant... Bon Vian Boris !

Avec cet homme-là, il faudrait presque rejouer l'histoire à l'envers. Reconnaître le poids de la postérité dans la trop tardive réévaluation d'une œuvre qui demeure aussi vibrante aujourd'hui qu'à l'heure de sa conception. Depuis la mort précoce de Boris, en 1959, le temps n'a cessé de jouer en sa faveur... comme s'il prenait de la bouteille, même vide.

L'an passé, la prestigieuse Pléiade accueillait ses œuvres romanesques complètes, en deux volumes. Un aussi joli - que tardif - pied-de-nez à l'institution littéraire, qui a toujours été mal à l'aise, voir assassine, avec cet insaisissable trublion, jongleur de néologismes fichtrement mélodiques.

Montrer Vian, le visionnaire, dans sa vivacité expiatoire, réparant le crime de sa modestie. L'agencement, à la fois chronologique et thématique, permet d'aborder le legs artistique du personnage par plusieurs entrées : le roman, la chanson, le jazz.De nombreux documents illustrent ce foisonnement créatif, compulsif et entier. Films familiaux, romans, partitions de chansons populaires, pastiches de polars, articles de presse, livrets d'opéra, critique Hot Jazz…

Boris Vian n'établissait pas de hiérarchie entre l' "art respectable" et l'expression populaire. C'est sans doute cela qui l'avait rendu scandaleusement inclassable de son vivant, et qui lui permet aujourd'hui de le demeurer.

" La chanson, disons-le tout de suite, n'a rien d'un genre mineure. Le mineur ne chante pas en travaillant , et Walt Disney l'a bien compris, qui faisait siffler ses nains. Le mineur souffle..."
Boris Vian, En avant la zizique, andante pataphysicoso, p.10.

Le parcours fait pédagogiquement la part belle aux manuscrits, bien sûr, mais aussi à des facettes moins connues de l'artiste improviste. La peinture, notamment. Pour la première fois, les six tableaux peints par Vian en 1946 – dont quatre signés "Bison" – sont exposés. Comme quand il parlait de jazz, sous les sobriquets Michel Delaroche ou Otto Link, et quand il écrivait dans la peau de Vernon Sullivan, Boris empruntait toujours les pseudonymes rieurs de l'anonymat.
Et puis, il y a son quotidien de musicien. Son ancrage à l'hexagone chantant. Ses nuits aux clubs, rive gauche. Ses malles d’objets fantasques. L'étui à trompette qu'il s'était fabriqué dans les années 1930. Il y a la tenue qu'il portait sur scène lors de sa série de concerts de 1955-1956.

C'est cet équilibre entre les disciplines qui marque la réussite de l'accrochage. Le parcours d'un déserteur qui disait vouloir "une vie en forme d'arrête". La plume Boris sonne en écho à des notes intimes, fort nombreuses qui, comme leur auteur, doutent.


Après une série de célébrations ayant marqué le cinquantenaire de sa mort en 2009, on annonce la sortie, au printemps prochain, de l'adaptation de L'Écume des jours par le cinéaste Michel Gondry ; avec Audrey Tautou, Léa Seydoux, Romain Duris et Gad Elmaleh.


Exposition
18 octobre 2011 I 15 janvier 2012


mardi 8 novembre 201118h30-20h00
Lectures et chansons avec le Tentette de Claude Abadie, Nicole Croisille etCarmen Maria Vega.
BnF I François-Mitterrand


Quai François-Mauriac, Paris XIIIe
Galerie François Ier









mardi 25 octobre 2011

Ode au Baryton : du salon à PEPPER ADAMS.

Le fusain fuit la gomme.

Commencer le saxophone enfant est une longue et éprouvante ascension du Mont Blanc. Tout est trop grand, lourd et inconfortable, comme un costume mal taillé. Puis, le corps grandit. La voix de l'instrument épouse la voix qui mue. L'ingrat pipeau géniard, limaçon, métamorphosé soudainement en élégant bijou de jade, se pose, deli-scat, sur le souffle mûr. Désormais, l'instrument aussi pourrait murmurer et gueuler juste.

Le baryton, c'est une toute autre histoire. Il me rappelle La Contrebasse de Sünskind. Une compagne qui se serait laisser aller. Pliée dans sa mallette de déménagement, plus personne ne veux croire au fantasme du gangster et de sa kalashnikov démembrée...
Jusque dans son port de cou, l'instrument est tourmenté. Son bocal, enlacé, se délie sur un large bec noir ou blanc, dodu, qui prend toute la bouche. Il faut se l'enfiler (qu'en disent les intrépides trompettistes aux commissures pincées) ! Selon qu'on l'attrape, timidement sur le bout des lèvres, ou qu'on accepte de l'embrasser à la ligature, sa musique réagit différemment. La grosse anche Z.Z 3.5 est plus râpeuse qu'un verre de Beaujolais. Elle sent l'humus salivaire, le malt distillé et le papier froissé.

Vilain canard ou objet incompris ? D'ailleurs, n'est-il pas autant un phénomène de cirque qu'un joyau de la musique ? Qui pense fanfare ou twist en le voyant ?

Plus complexe, plus lourd, plus grossier, plus gauche. Et pourtant... L'irremplaçable beauté du Baryton quand il renfle et se perd. Un long spasme intérieur. Dans sa voix de violoncelle qui s'enrhume, intensément humaine, il y a la voix d'un homme qui passe. Parfois il se met en colère. Son charisme apprivoise ses mélodies.

Certains véhicules capricieux réagissent en fonction du conducteur. J'aime ce genre d' "objet vivant". Vieille Moto Anglaise, Moulin à Poivre, Tire Bouchon ; Zippo. Le geste, la manière de s'en servir, définissent un mode de vie. Ce sont bien les petits détails qui font les grandes différences.


Ce ne fut pas Gerry Mulligan qui m'appris à aimer Baryton. Pas même ses rouges velours tangos, aux côtés Piazzola, tandis que ses compositions West-Coast faisaient – et feront longtemps encore – école. Pourtant, l'instrument que j'essayais d'apprivoiser révélait l'imprévisible de sa personnalité. Se défaire de son physique. Ni la volupté du jeu de Gerry ni même la profondeur des graves de Serge Chaloff n'arrivaient à me détourner du sens poivré de la mélodie d'Adams.
Il s'était discrètement révélé et ne m'avait plus quitté. La première fois, je l'avais entendu sur CHET. New York City se dorait de Californie. Sur sept titres, perles de minimalisme angélique, je découvrais l'émotion de Pepper Adams. Puis, décidais de tout écouter... tout ce que je pouvais trouver (à bon entendeur...).



C'est ainsi que je compris l'avoir toujours connu. La route... Sur Dakar de Coltrane. Bien sur, il était l'un des Cooker de Lee Morgan. Pour Quincy Jones, il avait contribué à l'incroyable Go West, Man !,  une fresque pour huit saxophones. Puis, Lucky Thompson, Tommy Flanagan, Kenny Burrell, Paul Chambers et Elvin Jones avaient été ses compagnons d'aventures. Il avait longtemps suivit la trompette de Donald Byrd, s'était brillamment illustré dans les orchestres nomades de Benny Goodman, Lionel Hampton, de Stan Keton et de Charles Mingus. Oui, la vulcanienne introduction de Moanin'...



Dans la profession, on l'appelait "the Knife", le couteau qui précisément ciselle – hard-bop – la mélodie en dentelle, des ribambelles de notes poivrées ; celles-ci s'abandonnant dans le grave. Comme s'il jouait aux échecs, Pepper détourne la mélodie en sens contraire, trompe son adversaire qu'il séduit, sans jamais quitter sa stratégie, il termine et signe : mat à la peau blanche. Son son, chaud-volubile-intense, le démarque des autres bopper... de Mulligan.

Dans l'ombre de son pavillon tout s'ébranle. Se lamentent des murs au parquet ciré. Peu à peu le cuivre happe, son écho entrebâille l'interminable porte aux soupirs.









Discographie personnelle
Pepper Adams Quintet (1957) (VSOP)
Critics choice (1957) (World Pacific)
Pure Pepper (1957) (Savoy)
The cool sound of Pepper Adams (1957) (Savoy)
10 to 4 at the Five-Spot [live] (1958) (Riverside/OJC)
Motor city scene (1960) (Bethlehem)
Stardust (1960) (Bethlehem)
Out of this world (1961) (Fresh Sound)
Plays Charlie Mingus (1963) (Fresh Sound)
Encounter! (1968) (Prestige/OJC)
Ephemera (1973) (Spotlite)
Pepper (1975) (Enja)
Julian [live] (1975) (Enja)
Live (1977) (Just Jazz)
Live in Europe - Impro 02 (1977)
Reflectory (1978) (Muse)
The master (1980) (Muse)
Urban dreams (1981) (Palo Alto)
Conjuration: Fat Tuesday's session (1983) (Reservoir)
Generations (1985) (Muse)
Adams effect (1985) (Uptown)

vendredi 14 octobre 2011

JEFF WALL – After "Invisible Man" by Ralph Ellison, The Prologue - 1999/2000

« Je suis invisible, tout simplement parce que les gens refusent de me voir [...] Sans lumière, je suis non seulement invisible, mais également sans forme ».


Trois mois pour rappeler la musique du siècle. C'était au Quai Branly, du 17 mars au 28 juin 2009. La civilisation du jazz y été représentée. Un labyrinthique parcours tissant finement la fibre culturelle du siècle le plus près. Le musée n'est-il pas originellement dédié aux arts premiers ?
De quelle façon les arts plastiques du XXe siècle ont été sensibles à l'effet du jazz des origines, jusque dans la nature de leurs évolutions contemporaines ?


Collections d'affiches art déco sur une rythmique tico-tico ; des photos frénétiques à la Carl Van Vechten ; de Matisse à Mondrian, Leger ; déambulation de pochettes à la Note Bleue, free, des éclaboussures de Pollock drippées ; J'avais vu Man Ray aux baguettes ; l'ombre de Cassavetes qui filmait sans diriger ; des cagettes façon Basquiat à la mode King Zulu ; j'avais vu le Jazz : l'abstraction Hip. A travers cette compilation d'images fondues, je contemplais l'impalpable couleur d'une culture populaire et vindicative, universelle et identitaire. Vermeille d'un art aussi beau majeur que mineur.
L'exposition, riche et délectable, terminait en clin d'oeil passionné : l'écho d'une musique posée sur l'ère contemporaine, la présence du jazz dans l'avenir ?

Après "The Invisible Man" by Ralph Ellison, le Prologue 1999-2000
Light Box - 174 x 250,5 cm
Fondation Emanuel Hoffmann, en prêt permanent à l'Öffentliche Kunstsammlung Basel
photographie Cinématographique.

Rendre Visible l'Homme Invisible.

Inspiré du roman Invisible Man de Ralph Ellison - écrit en 1952 -, ce tableau-photo de Jeff Wall illustre une culture noire, anarchiste et méditative. Après une émeute, sur les bords de Harlem, un homme tombe dans une cave à charbon. Il décide de suspendre 1369 ampoules – raccordées illégalement au réseau électrique de la ville – pour séjourner, seul, à l'écart d'une société blanche qui, de toute façon, ne le vois pas. Sans le savoir, c'est elle qui nous permettra de le voir. Dos à l'objectif, la lumière l'envahit. Il observe, absent, un phonographe marginal ; semble absorbé par une musique profonde... Un air de jazz se visualise. Comme c'est magique. Il s'agit d'une chanson de Louis Armstrong. Je jurerais entendre What did I Do To Be So Black and Blue...

L'homme noir, assis demi-dos, emprunte une attitude introspective. La face A de la galette 380g est terminée. Le diamant tourne maintenant dans le vide. De son sillage, on imagine un long silence remplit de questions, l'oeil comme retourné en dedans. Les mains sont occupées, mécaniquement, a astiquer une ampoule éteinte. Son corps est au centre, mais au loin.

 A vrai dire, le premier regard n'y prêterait pas attention. Une simple intervention humaine, quasi fantomatique. Le lieu inonde le physique pour symboliser – sans visage ni gesticulations – l'esprit. Les turpitudes de l'homme noir se situent dans ce huit-clos. Son linge, sa vaisselle, son embauchoir perdu, ce tapis circulaire et ses canalisations. Toute sa clandestinité dans un 25m².
Avant d'avoir vu la pièce, on entre dans sa musique. Les choses apparaissent nettoyées lorsqu'on réécoute plusieurs fois, la pupille des yeux grande éclairée.

On retrouve ici les thèmes de prédilection du photographe nord américain, l’absorption, la marginalité, l’exclusion et une subtile évocation de l’extraordinaire… Comme pour l'auteur Ellison, le symbole est absolument indissociable de la réalité dans l'oeuvre de Jeff Wall.

Jazzmen de l'objectif.

Peindre la vie moderne. Capturer le mouvement. Le représenter en grand format, sur des supports lumineux, comme des grandes publicités fluorescentes. Jouer avec les perceptions de la réalité. Modeler le visuel. Tel est le Dada de JEFF WALL, artiste conceptuel émergeant au milieu des années 70.

Il substitue le Paris de la fin du XIXe siècle par le Vancouver de la fin du XXe siècle et choisit le support photographique comme outil de représentation.

La démarche conceptuelle de JEFF WALL est aux antipodes de la spontanéité instantanée, de la composition intuitive ou du travail automatique. Ses créations d'espaces sont le résultat de très nombreuses prises qu'il corrige, retravaille et assemble ensuite. Les scènes et les décors sont reconstruits en studio tandis que les personnages sont des acteurs qui prennent la pose, des semaines durant, comme devant un peintre obssessionel. Nombres de photographies sont inspirées d'œuvres d'art classiques, réinterprétées par le prisme photographique. On retrouve Goya, Velasquez, Manet (Un bar aux folies bergères) ou encore Delacroix (La mort de Sardanapale). D'autres font échos à des romans, évoquent des films, des musiques ; mais jamais il ne s'agit de simplement illustrer. chacune de ses mises en scène est minutieusement agencée pour donner une impression finale inscrite dans l'illusoire réalité. Est-on si loin de la photo-documentaire ?

 L'artiste dira lui-même que son travail est de transmettre la représentation de l'évènement, pas de figurer la réalité.

Les mises en scène de la vie quotidienne de Jeff Wall sont des captures d'Histoire qui nient les images glamours et lisses de la télévision. Ces représentations mouvantes s’inscrivent toutes dans un avant et un après. Une histoire de conséquences pourrait-on dire. Il utilise d'ailleurs la vidéo pour personnaliser sa photographie. Encore et toujours, l’obsession du mouvement et de l'instant figé se confrontent au regard illuminé d'un artiste qui compose une mélodie du regard.
Destroyed Room, photo-box, 1978.