Une interview poivre et sel, à consommer lento.
Tout juste âgé de 25 ans, Scott Tixier n'a pas perdu de temps pour savoir que la musique serait le mode d'expression de sa sensibilité. A fleur de peau, véritable butineur d'émotion, il parvient à faire valoir ses choix musicaux et son originalité. Martiniquais mélomane de Montreuil, il provoqua des réactions d'émois dans l'académisme classique et succita des étonnements contemplatifs dans le monde du jazz. Il continue, opiniâtre travailleur, à tracer un parcours qui, le temps d'une soirée en apesanteur, succita tout l'object de mon attention.
Le personnage me donna envie de connaître sa musique. L'écoute de sa musique me fit comprendre un peu mieux le personnage.
UN PARISIEN EN AMERIQUE
C'est le beau quartier de Prospect Park, à Brooklyn, qui donna lieu de rendez-vous. Sans tergiverser au téléphone (quel soulagement !) , Scott me convia à discuter chez lui, un soir de la semaine. Je commençais à connaitre et à apprécier ce quartier et ces alentours, il m'en dressa un tableau surprenant. Aux abords de ce grand enclos tout vert, une belle pépinière de créativité y fleurissait. Entres ces blocks métissés, Scott s'est construit son quotidien depuis maintenant trois ans.
" Le pianiste Jesse Elder est mon voisin de pallier, pleins d'autres jeunes jazzmen sont dans le coin : Massimo Biolcati, Camen Staaf, John Ellis, Marco Panascia, Reuben Rogers...". Chez Scott, ou dans un des aparts' d'à côté, les jams y vont bon train. "Les jams dans les apartements ont un goût différents", me dis-tu en m'installant dans ton salon odeur d'encens. Les acteurs deviennent propres spectateurs de leur création, ce dois être exaltant, pensais-je. "C'est cela mes soirées. Mais je suis plutôt quelqu'un de posé. Je fais très peu la fête ; travail beaucoup", me dis-tu avant que je puisse supputer quelconques déviances noctambuliennes. "Je connais cette fatigue", répondis-je au degré qu'il voulut bien comprendre.
Un grand piano jonché de piles de partitions. Contre le murs, des disques. Des tableaux – non accrochés – et une belle chaîne HI-FI qui trône. Voici l'univers de Scott. C'est bien vrai, entrer chez les gens fait percevoir tant de choses... Et j'en oubliais presque ses deux gros chats de gouttières, bien poilus et magnifiquement allergisants !
Il me propose d'écouter un peu de musique. Comment refuser ? Le son du saxophone de Wayne Shorter me remplit instantanément de joie. LE DEVIN, comment a-t'il su ?
SOUVENIRS...
Etant d'une même génération, je m'étonnais de confronter nos deux expériences du conservatoire à des souvenirs grisants. Je lui rappelle ces deux cartables, nos premières classes à horaires aménagés au collège ("CHAM") ; j'évoque la fermeture d'esprit dont souffraient certains enseignants obtus. Les concours. Les simples auditions... Tout cela Scott le vécut comme un dépassement de lui-même, au même moment où il m'enfermait dans un mutisme silencieux. De cette différence marquante entre moi, l'interviewer et lui, l'artiste découle pourtant une arborescence de similitudes.
IL A BIEN FALLUT TUER GRAPPELLI !
Quand on parle de jazz et de violon Grappelli revient toujours. Mais si la question est peu originale, sa réponse l'a véritablement été. Dans le cas de Scott, et dans à peu près tous les sujets abordés, les choses sont particulièrement ressenties. Une espèce de jusqu'au boutisme qui étonne et touche.
A quinze ans, ton moteur, ta force, était de te retrouver dans ce musicien incroyable. Tu n'étais pas le seul, c'est évident. Mais, tu parvenais à apprendre vite, de mémoire, à reproduire des effets de styles, travailler une touche appelée feeling ..... "Grappelli était avec moi, sa musique me portait".
Tu parles qu'il a marqué ce Grappelli ! Elek Bacsik ou Florin Niculescu pourront l'expliquer mieux que moi.
Je ne pu m'empêcher de te demander si à un moment donné, tu n'en étais pas venu à détester ce pauvre Grappelli ; si tu n'avais pas voulu tuer le personnage ZIGGY SWING ?
" Au bout d'un moment, je n'en pouvais plus. A une période, je faisais des soirées manouches tous les jeudi soirs. Même quand j'arrivais dans des jams, avec mon violon, tout le monde me parlait de GRAPELLI, avant que je joue. J'eu la soudaine impression d'avoir les cheveux blancs, que je portais ses chemises à fleurs. C'est là où j'ai compris qu'il fallait que je me remette en question par rapport à mon égo. Car tout est une question d'égo à cet âge. "
" Le jeu était-il pipé d'avance ? [...] Et si je te passais un p'tit Grapelli là, tout de suite, ça te ferais quoi ?", lui demandais-je. "Par exemple : FLAMINGO, son dernier enregistrement, mais aussi un des derniers disques de Pettrucciani, tu le vivrais bien ?"
" Ca oui ! c'était mon frère et moi ce disque. Nous essayions de reproduire les jeux de ces deux icônes". Oui. La rencontre improbable de deux écoles, celle du Hot Club de France et celle de la nouvelle scène new yorkaise. Nous évoquons quelques minutes durant les deux parcours, rappelons l'originalité de leurs parcours respectifs.
TIXIER'S BROTHER & CO.
D'une façon un peu maladroite, je te demande abruptement : "Est-ce que ça te dérange si je te parle de ton frère, de votre proximité et de vos différences par rapport à la musique ?"
Un peu surpris, tu marques un temps d'arrêt, comme étonné. Puis, sourit et me réponds que Tony demeure ton plus proche parent musical et que tu en est fier. Tu me fais savoir qu'il arrivait dans la semaine sur New York et que sa venue t'enchantais. On y verrait presque une réciproque stimulation dans votre relation, non une compétition.
Gamins, si les deux frères essayaient de jouer ensemble, c'était le dilemme. Minor Swing ou Watermelon Man ? En effet, quand Scott s'identifiait en une réincarnation de Stephane Grappelli, Tony ne pensait qu'à Herbie. Scott aimait les volutes, les histoires à trois temps, le rétro (Ré Majeur !!!!) Tony était barré dans le futur, il croquait à pleines dents dans l'Adam's Apple Album, découvrait la magie des structures modales, le lyrisme de Speak like a child et la richesse de l'Harmonie. D'ailleurs Scott rajoutera : "Quand j'écoute Herbie, je vois le père spirituel de mon frère ; c'est pour ça que j'adore sa musique".
Curieusement, Tony continua plus longtemps le conservatoire, alors que Scott changeait de direction – après son diplôme de fin d'études. Il décidait alors, encore adolescent, d'enfiler un autre costume, de goûter à de nouvelles couleurs musicales.
Mais quelque chose de très curieux artistiquement semble relier les deux frangins : un goût prononcé pour l'acoustique. L'origine du son d'un instrument. Scott, tout comme Tony n'ont pas souvent électrifié leur cordes, ils les ont laissé résonner naturellement.
LE RENDEZ-VOUS MANQUE AVEC D.L.
Après Grappelli, vers 16 ans, tu as eu un autre maître. Tu le dis toi même : "A ce moment je vivais dans l'univers de Didier Lockwood. J'eu la chance d'avoir mon propre studio. Mon premier "chez moi". Je commençais à jouer très intensemment du violon, chaque jour, parfois tard. Je n'étais plus à l'école. Dès qu'un disque de Lockwood sortait je l'analysais minutieusement, jouais dessus, essayais d'extraire l'originalité de son jeu."
Je te demande ironiquement si tu écoutait autre chose dans ces périodes de cures omnubilatoires. Tu me répondit : "évidemment que oui". Mais tu pouvais passer quatre ou cinq heures par jour à étudier son jeu. Ses débuts, surtout, t'on beaucoup marqués. "Il ne le sais pas, et ne l'a jamais su, mais c'était vraiment un professeur pour moi. "
Nous reparlons de son excellent New-York Rendez-Vous et de son disque studio Storyboard. Mais, je sentis dans l'expression de Scott une irrépressible rancœur. Je me dis que Didier avait, lui aussi, contribué d'une certaine manière, à l'affirmation ton style musical - d'un moment. Tu es finalement parti explorer d'autres planètes sonores et n'a plus jamais voulu devenir comme D.L. Il faut certaines fois briser ses idoles pour se rencontrer soi-même.
VIOLENT VIOLONS.
L'imaginaire des mélomanes est souvent réducteur quand on évoque le violon dans l'usage des musiques modernes. Utilisé de maintes façons, en marge de la musique écrite, cet instrument était aussi un outil de folklore, un peu partout dans le monde. Il était Bluegrass, Tzigane, Bretton ou Letton. Modifié, adapté, transformé, électrifié, son authenticité n'a pu être voilée. Le violon marginal ou académique à un sacré CV. JOE VENUTI, STEPHANE GRAPPELLI ont ouverts une voie, en montrant l'adaptation de l'instrument aux formes modernes.
J'étais désireux de connaître le sentiment de Scott sur son instrument "royal". Quelle identité musicale était permise avec le violon ?
" Le violon c'est du pûr hasard ". Il se marre. Lard ou cochon ? Il laisse courir un blanc et enchaîne : "Ça aurait très bien pu être un autre instrument". Je décide d'opter pour le premier degré et valide ses dires comme un trait particulier de sa personne. Je lui fais savoir que le choix de mon instrument avait certainement eu un impact sur mon identité musicale. Gamin, je m’intéressais plus à Coltrane qu'à Hendrix, par assimilation sonore avec ce que j'essayais d'apprendre. Puis, j'ajoute que ceci devait simplement être lié au souffle – dans mon cas – au lien indefectible entre respiration et son... Concernant le violon, je voulais savoir. Quelles subtilités existent dans ton instrument pour lui donner une personnalité ; si ce n'est le souffle, est-ce simplement le toucher ?
Il fait une cabriole, pars de très loin, pour m'amener finalement à l'élément de réponse attendu (un trait de caractère bien à lui, surprenant et efficace).
"La musique classique m'a stoppé pendant longtemps, sur beaucoup de plans. Les violonistes m'ont bloqué plus exactement. C'était curieux. Quand je jouais avec des saxophonistes, tout de suite, je me sentais à l'aise ".
Et pourtant le classique a eu une incidence, on le ressent quand tu joues ?
" J'aime la musique tout court. Je ne suis pas necessairement un jazzman. Ce qui me relie au Bop, au Hard Bop, à l'expérimental ou à toutes autres formes de musiques dîtes "jazz", c'est mon goût pour l'improvisation. J'aime quand un musicien improvise avec ses tripes [...] J'aime jouer de mon violon comme s'il s'agissait d'un saxophone".
"... Ton souffle tiens dans tes mains alors ?"
Wayne Shorter déroule sa parade inspirée en arrière fond. Flou net. Une bande sonore incroyablement riche. Tony Williams martèle comme personne.
"Je n'ai jamais fait d'école de jazz. Mon apprentissage s'est fait (se fait) à l'oreille surtout. J'ai un rapport instinctif avec la musique improvisée. C'est intime ce que l'on met là dedans et c'est particulier d'en parler avec des mots. Quelque chose me gène dans l'apprentissage du jazz enseigné dans les écoles. Le côté académique peut avoir de l'insupportable. On ne peut pas se dire : je choisis, comme quand on va faire ses courses. Je prends ceci et celà. Ou, je veux apprendre à jouer comme Chris Potter...".
Ou essayé d'avoir le toucher de Monk alors quand on est blanc, français et né dans les années 80, par exemple ? Si l'écoute peut permettre de percevoir des chemins d'expressions, c'est parfois peine perdue que de s'omnubilier à jouer "à la façon de...". N'est-ce pas Scott ?
Tu réponds : " Quand tu apprends le jazz tu apprends à être toi-même. La plupart du temps les professeurs essayent de t'apprendre ce qu'il cherche eux. Trouver une voie. Mon apprentissage de concervatoire m'a permis d'avoir des clefs qui m'ont, par la suite, ouvert des portes sur ma propre conception musicale. Il y a une tradition ancrée dans l'initiation artistique du conservatoire. Le fait d'apprendre la technique de l'instrument, sa théorie. C'est une chose primordiale ".
Pour le reste, débrouilles-toi, c'est ça ? Alors qu'à tu fais pour progresser ? Avec qui et comment as-tu travaillé ?
" Comme je te le disais, je n'ai pas fait d'école de jazz à proprement parlé. J'ai suivit des cours avec un grand maître, qui a d'ailleurs aidé à plusieurs reprises Pettruciani dont on parlait à l'instant : MALO VALLOIS, je ne sais pas si tu connais ? "
"Je vois tout à fait". Le guitariste Malo Vallois : un sacré penseur de la musique, un vrai compositeur et surtout un guide qui inspira toute une famille musicale.
"Les gens ont aussi oublié que c'est un grand musicien. C'était également le professeur de Pierrick Pedron, de Magic Malik... de beaucoup de gars de ma génération. Il se produisait moins à l'époque où il m'a donné des cours. En tout cas, il était très dur. C'était, paradoxelement, un grand pédagogue. Je pense que j'étais le premier violoniste qu'il eu en temps qu'élève. Du coup, c'était particulier. Il me faisait écouter Kenny Garrett, Coltrane...".
"Cétait un vrai théoricien, c'est cela ?"
"Ce n'était pas des cours de jazz. C'était des ateliers. Il était fan de Wayne Shorter, nous passait ces disques, puis éteingnait et nous disait : «et bien maintenant on va jouer». Ca ne sortait pas du REAL BOOK, nous n'avions pas de partitions et devions faire fonctionner notre mémoire auditive pour ensuite improviser à partir d'un modèle. Il nous cassait, mais avait en même temps ce côté patriarche qui nous faisait nous taire".
Tu rigoles et te remémores de caustiques souvenirs de cette époque. Il t'a certainement permis de te détacher de tes convictions. Un bel apprentissage. Peut-être ta connivence sonore avec les saxophonistes vient-elle de cette studieuse époque ?
Et Wayne Shorter continue foisonnant discours. Je lache le fil de l'interview pour me plonger, quelques brefs instants, dans la musique du sorcier. Complètement envoutant, ce sinueux labyrinthe sonore trouvait à cet instant précis, la porte de sortie d'une Valse Triste de Sibelus.
JEAN-LUC PONTY... ENTRE CHIEN ET LOUP
"Il est très consistant, Il a déjà " Son" style, très bon phrasé bebop, excellente mise en place." (J.L. PONTY en parlant de Scott).
Jean-luc Ponty conserve dans tes mots une place particulière, presque éloignée. J'eu ce sentiment d'un respect tout à fait profond, pudique, pour cet artiste qui, sans que tu l'exprimes verbalement, semble succiter encore aujourd'hui une admiration profonde.
Dans tout l'entretien, tu n'évoques uniquement que son album H.L.P , magnifique trio formé en 1966 aux côtés d'Eddy Louiss et de Daniel Humain. "Ponty jouait beaucoup au Caméléon, à Montparnasse, à cette époque". C'est quand tu jouais à l'Odeon que tu croisas, sur ton chemin, ce lieu qui avait marqué ton oreille. En entrant, tu te rendis compte que ce n'était plus le club d'antant. Mais, en haut du comptoir, était resté la photographie vieillie du jeune Ponty. Tu as demandé de te rendre dans la salle, en sous-sol. Même changée, de la voir te procura une sensation de bonheur.
Quand je partirais de chez toi, je verrais, près du grand écran, un DVD de Ponty au côté d'Al Di Meola et de Stanley Clark. Je t'en parle, plus tard, et tu me réponds : "tu n'aimes pas ?" comme si cela allait changer le cours de l'humanité.
"Si, j'aime. Ce n'est pas la période que je préfère. J'aime beaucoup la musique de Mahavishnu Orchestra, j'adore l'album Rite of Strings aussi [avec la même formation mais 10 ans avant Montreux]".
" Tu veux vraiment que je sois dégouté du violon ?"
Nous rions. C'est cela ton rapport avec l'artiste : une affection chargée de sentiments. Tu n'as pas évoqué avoir voulu ressembler à Ponty. Peut-être étais-tu, à ce moment, loin des autres violonistes ?
L'ENVOL
Pas si loin... Les premières représentations avec ton propre groupe se firent, étrangement, dans le même Caméléon, ayant entre temps réouvert ses portes. Après avoir participé activement aux jams, tu fis, de ce lieux à l'imaginaire chargé, ta première salle de concert pour ton propre groupe. Au culot, tu pars coller tes affiches, les musiciens et le public te suivirent. Les plus expérimentés, ceux que tu admirais, étaient maintenant à tes côtés. Comme beaucoup, ce sont les jams sessions qui t'on formé.
Tu me reparles de tes premières scènes. De ton trac. Des premiers cachets gagnés en jouant.
" Je me souviendrais toujours de mon premier concert payé. Un bassiste m'a appelé pour jouer à la Mezzanine à Pierrelaye. Je ne comprenais pas ce qu'il voulait vraiment. Il dit qu'il me ferait un cheque de 90 euros. Ca m'a flatté et en même temps impressionné. Je lui dit qu'on ne m'avait jamais payé pour jouer. Je n'arrivais pas à croire que j'étais payé pour jouer de la musique. Il m'a répondu qu'il fallait bien commencer un jour. La semaine d'après un autre type m'a appelé, de la même manière. J'ai eu plusieurs gique comme cela.[littéralement "mémoire de maîtrise", c'est à dire un jeu en imersion qui n'est pas forcément une jam] Et voilà. "
C'est ainsi que Scott débuta son métier de musicien. Comme s'il avait toujours mis de côté le fait qu'on puisse gagner sa vie avec la musique. Ce n'était certainement pas cela son moteur. Précoce, c'est à 19 ans qu'il fit ses premiers cachets, aux côtés de musiciens chevronnés, et qu'il affirma son propre style...
"J'ai rapidement arrêté l'accompagnement. J'avais envie de construire mes propres projets. J'ai monté mon premier groupe avec le trompétiste Nicolas Genest [venant lui aussi de Monteuil]. Je m'entendais extrêmement bien avec lui. Ca été mon professeur [un autre personnage important]. On été voisin. Je le connaissais depuis mes 14 ans".
Après cette riche expérience, tu te présentes, à 20 ans, au Trophée du Sunside. Tu étais le seul qui ne sortait pas d'une école de jazz à proprement parler. Vous remporter ce prestigieux concours. L'écho de ta jeune expérience avait déjà une patte bien personnelle. Peut-être est-ce le fait d'avoir été le seul violoniste, au milieu de cette floppée de sax, qui avait fait la différence ?
PASCAL ANQUETIL a dit à ce sujet : "Il a remporté les trophées du Sunside 2007, qui est la plus prestigieuse récompense du jazz parisien pour un jeune artiste talentueux. Ce succès confirme avec éclat que son jeu dépasse et de loin ce que nous avons l’habitude d’entendre en violon jazz. Ce style nouveau qu’il développe encore tous les jours risque fort d’être un repère important pour le futur."
CLAUDE CARRIERE a ajouté sur France Musique : "C'est le Coltrane du violon". Ces remarques te toucherèrent à un moment où tu avais besoin de cette reconnaissance pour justifier ton style.
Tu essayes d'apporter un timbre nouveau au son du violon, une couleur mauve. Ce même mauve de l'invective que Gauguin, a un moment de doute, créa en mélangeant ses pigments. Tu me dis utiliser le jeu en chromatiques pour qu'il se dégage dans ta musique la texture originelle de l'instrument. De grands glissando expressifs coulant sur les âmes. Je te fais savoir que la fluidité du violon permet un autre rapport à l'attaque, moins frontale, plus en courbes, que pourrait être celle d'un vent. Tu me dis ressentir parfois cela en écoutant une trompette. Nous en venons à admettre que l'instrument est tributaire de l'instrumentiste qui le fais vivre. Si la trompette, instrument militaire d'artillerie perçante, peut arracher le grain velour de Miles, pourquoi la violon ne pourrait pas sonner comme un sax ?
LES PROJETS ET UN PREMIER DISQUE SOLO EN SEPTEMBRE
"Alors c'est vrai ? ", lui demandais-je, "Tu as joué des partitions inédites d' Ornette Coleman ? On parle beaucoup de ces trésors cachés en ce moment !".
"Je n'ai jamais eu autant le trac de ma vie je crois. Il n'y avait que des pointures du jazz. Roy Haynes entre autre. J'avais beaucoup travaillé mais, comme tu peux le voir, les enchainements sont vraiments périlleux." Il me montre les partitions... glourps... "vraiment impressionnant". L'écriture de Coleman y est parfaitement milimètrée. Très détaillée. On pourrait croire une partition de Monk ou du Duke. Il faudrait redéfinir l'idée du free, briser les idées reçues... Ornette Coleman, qui n'avait pas de réelle technique du violon, l'utilisait en fait comme un moyen d'instabilité. De façon bruitiste, seul cet instrument pouvait permettre ces longs glissandos sauvages...
" C'était juste incroyable. La musique est partie loin... Une de mes plus marquantes expériences. Ornette était là. J'étais super crispé avant la première répétition. Puis, quand ce fut mon tour, les choses prirent leurs places. J'aimais beaucoup les thèmes."
Chaque samedi soir tu te produis au DUANE PARK dans un show burlesque détonnant (cf. article mars 2011 – le burlesque !). Un univers qui te vas comme un gant. Tu as déjà réalisé des musiques de films et te produit dans des formations très diverses. Au moment de notre rencontre, tu recevais un coup de fil de JOEL HOLME, le pianiste de Roy Hargrove, qui te proposais une tournée à Paris et en Suisse. J'attends de voir ça avec impatience !
En plus, tu donnes des cours plusieurs fois par semaine. Certainement une manière de trouver un deuxième souffle, une énergie. "Ca me fait beaucoup de bien. J'aime cet exercice. Il y a, en plus, une relation particulière qui se crée à chaque fois, peut être à cause de mon âge. Je vais donner, chaque semaine, des cours à trois enfants de 4-6 ans. Il y a aussi une colombienne vient apprendre l'improvisation le vendredi. J'ai également mis en place des cours sur SKYPE, en Californie, en Argentine, au Japon et à Taiwan." Ca parait irréel, mais quand Scott vous explique le principe, ça coule de source. "J'utilise le piano, je leur montre les accords... zoom sur leurs doigts, observe."
[...] Le disque de Wayne Shorter vient de s'arrêter.
Il sort son violon, pour m'offrir un petit récital privé, pendant que je lui parle de son projet d'album : STRING THEORY. N'ayant pu écouter tes propres compositions, j'attends donc avec impatience la sortie de ce disque qui, à coup sûr, marquera un tournant dans ta vie d'artiste.
"J'ai déjà tous les musiciens, les jours de studio, les compositions, bien sur. J'ai découvert ce studio lors d'un enregistrement, il y a peu de temps, avec James Weidman (le pianiste de Joe Lovano). Il y avait Sofia Laiti au chant".
J'apprend que l'ingénieur du studio s'appelle Dae et qu'il est le fils de TONY BENNETT.
"On s'est tout de suite bien entendu avec Dae. C'est drôle, j'avais joué devant son père au Lincoln Center le 8 décembre dernier. Le saxophoniste Logan Richardson devait se faire remplacer. Ils ont préféré prendre un violoniste plutôt qu'un autre sax."
Contre toutes attentes, le fait de nous retrouver dans cette ville foisonnante n'a pas été un socle à notre discussion. Pourtant, l'imposante hégémonie new-yokaise en terme de jazz et de productions musicales fut le dénominateur commun indéniable de notre rencontre.
Epicurien dans l'âme, tu me proposes de finir notre discussion dans un petit restaurant Thaï, du quartier de Prospect Park. Tu m'emmenas ensuite au TEA LOUNGE, une chaleureuse salle, un lieu de détente, où chaque soir, plusieurs musiciens se produisent gratuitement. Ce périple scella une belle complicité.
Faire un travail sur Scott TIXIER a été une expérience tout à fait particulière. L'humour à certainement pu décloisonner une pudeur mutuelle, qui n'appartenait pas à de l'appréhension mais plus à un sentiment de curiosité. Quel individu se cache derrière l'instrument ?
Une grande ouverture d'esprit lui permet de traduire l'expressivité d'une passion, à travers un tempérament bien trempé. Une assurance et un volontarisme incroyable émane ce jeune français ; une ligne directrice rigoureuse qui le porte dans ses choix avec audace. Rempli de paradoxes, il laisse aussi entrevoir une montagne de doutes, des remises en questions permanentes qu'il réussit magiquement à sublimer en une force créatrice. Une interview qui n'en était pas. Je ne saurais pas expliquer autrement cette rencontre... Générationnelle, culturelle, éducationnelle, mystique ? Peut-être tout en même temps.
Pourquoi JASS ?
Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Dieu qu'il est beau!
RépondreSupprimerOui je sais c'est plus le plaisir des oreilles que tu recherches, mais quand même!
Oui, une belle personne, tout court.
RépondreSupprimerLoi-ss