Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

samedi 9 juillet 2011

L'anatomie de la sensation pour FRANCIS BACON.

Curiosité.


En ce moment, et jusqu’au 15 juillet, l’Opéra Bastille met en affiche L'ANATOMIE DE LA SENSATION; ballet contemporain, minutieusement chorégraphié par le britannique Wayne McGregor. Le temps d'un clip, éclairant l'underground et épileptique chanson de Radiohead, Lotus Flower, les présentations avaient été bien faites. Sa fluidité créative s’inspire aujourd'hui des tableaux de Francis Bacon pour mener une danse moderne-jazz complexe et épurée. L'illustration musicale, écrite sur mesure par Mark Anthony Turnage, vient ponctuer cette troublante performance par d'élégantes compositions bigarrées.



Dans son atelier étriqué et vaporeux, cet immense dépotoir à merveilles, Francis Bacon, statique, peignait le mouvement. Quelques photographies usées de Muybridge, sur les murs décrépis, décomposent en instantanés le geste et ses variations. Cette obsession du corps qui se déplace, éclabousse les toiles de Bacon dans leurs témoignages de distorsions... Sous son pinceau, ses personnages ont quelque chose de douloureusement dansant. Car, dans l'abstraction, le peintre anglais figure l'énergie furieuse d'une sensation instinctive, voir animal. Le corps et sa matière. La putréfaction qui marque son temps.

Autoportrait, 1978.
Le temps et l'humain imbriqués, et fatalement unis, sont au coeur de cette performance. Quel rythme pourraient coller à la peinture de Bacon ? D'où émanerait sa danse ? Il y a t'il jamais eu en lui une musique qui étonne, avant qu'un instrument le pense ?

Wayne McGregor a souhaité travailler, dans cette audacieuse aventure, avec le Ballet de l'Opéra de Paris. L'Anatomie de la sensation s'ouvre par un fabuleux pas de deux, interprété par Jérémie Bélingard et Mathias Heymann : duo-duel, étreintes, morsures, défis, identités chaotiques sur un palette fuyante. Suit un solo pour Marie-Agnès Gillot, qui possède, un temps suspendu, la sensualité de l'éveil du Faune de Nijinski.


Interrogeant les possibilités physiques de ses interprètes, qu’il pousse à l’extrême, il trouve dans les oeuvres du peintre une résonance à sa propre recherche chorégraphique. Wayne Mc Gregor puise autant dans les formes, les couleurs et les textures des tableaux de Bacon que dans les styles musicaux de l'époque moderne, pour explorer, au-delà de l'image, les potentialités physiques et expressives du corps humain. Sa force brute, sensiblement sexuée. Pourtant, nous ne serions dire, d'un premier regard, si ces androgynes délicats, aux faciès gominés, sont F. ou M. Seul dans leurs anatomies se dévoile une grâce personnifiée.


"Bacon laisse ses fonds vides" ? Pas vraiment... Plein de dénuement ? Certainement.
John Pawson, artiste minimaliste anglais, employé ici comme scénographe, place deux grands parallélépipèdes blancs devant un immense rectangle, lui-aussi, blanc. Sobre. Les couleurs se dégénèrent, unis et pleines. Le bleu nuit, le rouge vermillon et le mauve synthétique rappellent les grandes étendues lumineuses de la palette du peintre. Une pointe de noir, au bon endroit, rend lumineux l'opacité du décor orangé. J'entends pour la première fois Man with dog de Bacon. Les grands fauves, les rapaces dans les cieux et les insectes du microcosmos se mêlent aux identités des corps humains.


Le goût pimenté de l'accident – bel incident – est le liant entre la musique jazz et la peinture de Bacon. Si Mc Gregor a choisi Paris, c'est avant tout parce que le peintre anglais adorait l'énergie qui s'y échappait, celle gravitant autour de ses clubs de jazz, au coeur de ses rondes de nuits alcoolisées. Dans cette ville lumière, Bacon avait découvert les toiles de Picasso; une révélation picturale dont il ne pourrait se défaire. Le Grand Palais lui avait offert sa première grande rétrospective en 1972 et permis une reconnaissance certaine en France. C'est également à Paris, la veille du vernissage, que son amant George Dyer s'était suicidé.

Blood on the floor, 1986.
« L'odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux », confiera l'artiste dans son atelier. McGregor dirige alors sa fresque musicale en s'inspirant majoritairement d'un tableau tardif de Bacon :  Blood on the Floor .
La trame sonore a l’âpreté frémissante d'un trip hors-saison. À la fois contemplatives et torturées, les compositions de Mark-Anthony Turnage, lui-même hanté par le suicide de son frère, ont en dedans des accents d'éternité.

  L'anatomie de la sensation n'a pourtant rien de morbide. Comme à l'intérieur des toiles torturées de l'artiste, l'expérience visuelle et musicale ramène constamment à la condition humaine, cette pathologique beauté de l'éphémère. Nous plongeons dans le cheminement sinueux de la vie. Les couches huilées s’amoncellent. Pour les révéler, il faut les gratter.

Emploi de paradoxes, le compositeur anglais n’a pas hésité à faire appel à un quartet de jazz pour son exécution. La musique de Turnage oscille ainsi entre l’écriture contemporaine, la fusion, ou le jazz pûr. Considéré comme l'un des compositeurs les plus doués de sa génération, Mark-Anthony utilise son goût pour les arts visuels et littéraires en donnant à sa musique une singulière identité.


Peter Rundel dirige l'orchestre dans cette suite de neuf tableaux expressifs. Les solistes se font immédiatement remarqués. Peter Erskine (batterie) et Michel Benita (basse) posent les fondations rythmiques de structures musicales décomposées. Marton Robertson clame au saxophone ses tumultueuses improvisations. Quant au toucher du guitariste John Parricelli, il renvoie indéniablement à l'univers scofieldien d'un jazz libéré, prolixe et inspiré.


La plasticité des corps est en évolution dans les interstices musicaux ; troublant ! Cette pièce est une vision personnalisée, traduisant le fort attachement, l'admiration de Wayne McGregor pour le travail de Francis Bacon, ce merveilleux laboratoire de curiosité.

Prochaines représentations :
5, 6, 8, 9, 11, 12, 15 juillet à 20h.
14 juillet à 14h30, représentation gratuite.


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