Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

vendredi 20 avril 2012

RIO Blues - Invitation au voyage.

LEAVING PARIS...

« Le desespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l’appelleront "Bonheur" ».
L. Ferré.


Les grands voyageurs sont des amoureux en exil. Mes musiques de départs ont toujours ces imperceptibles saveurs de l'inexploré.
Perle des notes de pluie sur les hublots aéroplanes. Chante, tout en bas, des vieux airs de Paris. En crêpe de Chine, comme un chagrin d'asphalte, un jazz - dans le noir – cherche sa note perdue. On croirait voir une de ces boules neigeuses pour enfant qu'on aurait oublié de secouer. Dessine des motifs cristallins, mauves aux couleurs fanées... Ô voyages, comme vous fûtes sages de si bien nous consoler. Parce que quitter ce que l'on aime c'est parfois s'en rapprocher ; le toucher de la mémoire, le sublimer. Un peu comme une chanson à rejouer, la longue trace enivrante d'un parfum emprunté. Laisser glisser les souvenirs, les empaqueter de rêves... Sans fuir. Juste partir. "Là, tout n'est qu'ordre et beauté. Luxe, calme et volupté".



ROUGE BRESIL (Cour de langue).



Il est minuit à Rio. Paris s'éveille : il est cinq heure.

Vergonha ! Non, je ne comprends pas grand chose au portugais... ça s'entremêle de lumineuses consonances latines, ça bourdonne, ça chante, ça zigzag tout azimut, ça ne s'arrête jamais.
Le brésilien c'est différent. Il est venu à moi sur la pointe des pieds. M'a enlacé de sucre roux. L'a fait délicieusement cuivrer, en surface, couleur pain d'épice. Puis, lui a donné le goût, la consistance et l'équilibre d'un caramel salé. Cette langue s'adresse à la plus belle part de moi, à la plus sèche, la plus libre. À celle qui ne veut ni bassesse ni ritournelle, mais l'éclat étourdissant de l'Instant.
Le brésilien, je le comprends au delà des mots... Sa musique de vagues liées guide mes sens. Moi, tenant bon sur ma barque, entre pétoles et tempêtes. Je suis le tempo décalé... chavire, m'éloigne, et reviens au galop ternaire des grandes marées. Ses intonations ont des relents spontanés, sans étiquettes, sans fonctions ni visages. Son identité métissée dépasse le simple langage ; j'ai comme l'impression qu'il définit un mode de vie. S'écoute des yeux. Envoute. Je m'en éloigne. Ne veut pas l'apprendre. Puis, sans comprendre pourquoi, me retrouve dans ses bras, alors remplit d'une croyance impie. Demain, Tania Maria me donne un cour... Felicidade !



C'est cette diction qui m’entraîne. Migraine. Je me souviens de ce coup de foudre pour la voix de João. Ses claquements de langue sur le palais, sa respiration tourbillonnante, le renflement nuancé de ses cordes, et ses longs chuchotements psalmodiés. Des images du mythe d'Orphée inscrites dans la vie quotidienne des favelas. Jobim & Moraes. On sort du cinéma pour retourner dans ses rêves. On revoit la couleur orange – au dessus de la baie – chaque fois que l'on ferme les yeux. La Bossa à venir serait une déferlante de jeunesse et de liberté. A Rio, Dieu a même fait construire sa Cité.

Toutes les musiques qui ont servi de fondations, de tremplin ou de planche de salut, on les connait de loin mais ne les écoute plus. Peut être rêvons nous de les oublier pour pouvoir retomber, aussi intensément, amoureux d'elles. Cours camarade, le vieux monde est derrière toi !


L'enfance de l'art est un lever de soleil. Une mélancolie profonde berce les mots de Cartola, de Lucio Alvès ou d'Elis Regina. J'aime tout de cette époque. Dick Farney, Paulinho da Viola, Elizeth Cardoso. Cette même lumière se dépose sur leurs notes en forme de fesses. Un joyau brut inexplorées, sans arrêtes. Vertigineux voyage, tu vagabondes sous la forme d'une pensée sonore. Ne cesse de t'élever, de saturer mon coeur d'une si rugueuse douceur. Tu susurres l'harmonie et le point d'orgue. La beauté du monde à mon esprit révélé. Un lyrisme. Une voie lactée. Mon herbier de sons insuffle, dans chaque soupir, un mot précis sur ce doucereux sentiment. Saudade. Un mot d'orage, aussi minéral que volcanique. Cette musique est le sourire du déluge. Une poussière dans l'oeil. La destruction de l'amour, si tendrement violente.

Et puis, le regard d'un homme blanc qui apprivoise cette sauvage danse samba. "Teus olhos são duas contas pequeninas qual duas pedras preciosas que brilham mais que o luar", lui dit-il de toute sa Bohême désargentée. Rouge Brésil, tu m'as conquis. Ta musique, elle s'attend. Et puis, quand on l'entend. C'est trop fort, comme un alcool au milieu du désert. Ta musique, elle se prend, se déshabille, se baigne, se tâche. Carnavalienne volupté.



Les vents du large poussent vers la Nouvelle-Orléans la cannelle et le piment. C'est sur cette terre, d'où pullule l'espoir, que le jazz vint - aussi - se métisser. Tout guidé qu'il était par ces grands territoires solitaires. Enfante une recette magique. S'installe au soleil. S'harmonise d'une autre cadence de vie. Allez loin c'est s'affranchir. Allez loin c'est revenir, vers la source de l'âme qui coule en eau vive.

Si la musique brésilienne est indissociable de la Bossa... à pleins poumons, je repense aux anciens Carimbos indiens, au joyeux pleurs du petit Chorinho, Lundu et Modinha. J'entends encore ce lointain Rio blues de la baie fleurie et cette folle samba des arrière-cours. Ma nostalgie de cette époque réside sur une carte postale. Quand le temps et le lieu étaient parfaitement unis.

La caresse de la note inédite, du tempo chancelant. Défiant l'impossible, recouvrant la page noire. Ces mélodies de l'extase – palettes jubilatoires – représentent l'irradiation. Icare brûlant ses ailes de papier. Toute la musique du Brésil est une élégante chute vers le haut.

Et demain ? Demain ! Demain...

Q'est-ce ? J'arrête !

Para Gabriella.