Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

vendredi 6 janvier 2012

SPEAK LIKE A CHILD – Herbie Hancock (1968)

"Adieu à l'enfance"


1- RIOT
2- SPEAK LIKE A CHILD
3- FIRST TRIP
4- TOYS
5- GOODBYE TO CHILDHOOD
6- THE SORCERER


Le noctilien tarde. Les immeubles n'ont plus guère de fards aux fenêtres. Par pointillés on peut entendre les gens se coucher.

Sur le plexi opaque de la borne, ruisselle des larmes de swing pailletées. Ce même maillage de perles blanches qui étire sa longue crinière d'hiver, alors que le chahut de l'enfance bruisse les platanes de poils à gratter.

Il sentirait presque une odeur de viennoiserie chaude derrière l'unique soupirail enfumé.

 Deux talons noirs marquent l'asphalte d'un tempo d'après minuit, un battement aortique, calé sur 100 pulsions minute à la noire. Ça raisonne dans le vide. Une nouvelle de Faulkner. Je chavire, oublie le bus et décide de suivre – au pied levé – l’enivrante musique de nuit.

Ici, les notes d'Herbie sont déroutantes. Pleines et justes, sans solos ni impros ; juste une ambiance en voicing, un état d'âme ou une langoureuse déclaration. Il fait sombre dans sa composition, bien qu'elle soit follement lumineuse... C'est, en quelque sorte, tout ce que l'enfance fait mine de nous promettre et finalement nous retire avec acharnement.

Je dois aller tout droit, mais c'est à tribord qu'il me fait prendre. Dans le casque, la stéréo circule d'un tympan à un autre, avec grâce, installe un doux va et vient qui rassure. Une toile de fond brumeuse colle aux aspérités de la Seine tranquille. Scintillent comme des phares bretons flugelhorn, trombone basse et flûte alto, sur les murs cuivrés de la Cité perdue. En fait, il avait raison : sans raccourci c'est par ici qu'il fallait cheminer.

Je ne vois pas de fins dans ses morceaux. J'imagine des tableaux joints ; une grande fresque pleine de vides. Comme dans Maiden Voyage, quelques années plus tôt, le jeune Herbie décrypte des univers lydiens. Une succession d'accords colorés marquent – par pointillés – son chemin.

Ainsi, je passe du Marais à Charonne, ma Bastille faisant le pont. Les thèmes ne sont plus les mêmes d'un quartier à un autre. Pourtant, une cohérence implacable se dessine entre les lieux, le temps et l'ouïe. Sur la route de l'école des grands, à contresens, j'arpente - straight - le rythme de ces toutes petites notes imprévisibles qui perlent mes paupières. Elles saluent l'inconnu(e) ; une matière sonore qui laisse des traces.

L'harmonie d'un lieu dépend de sa musique. Il y a bien des mirages concrets. Par le regard frappe parfois une mélodie nouvelle, les cordes d'un orchestre symphonique ou juste celles d'un piano solitaire. Quand c'est tout gris comme ça, j'entrevois ces longs dimanches soirs, l'innocence froissée d'un revers de mouchoir, mes souvenirs qui glissent à l'unisson sur une luge de verre poli. Puis, un cartoon, une histoire, et les rêves rougissent. Plus de pyjama, seule la peau sur les draps, tout comme la musique d'Herbie, j'ai grandi. L'enfance c'est une chanson toute nue !

Enfin j'arrive. Je pousse la lourde porte codée de mon dortoir et quitte l'ombre. On incante la musique du Sorcier Miles. J'entends maintenant la présence de Gil Evans, dodelinant dans un coin, sur un vieux rock in chair. Bref, ça vibre en balançoire dans l'apart' en osier.

Entre mélancolie et délectation, c'est un perpétuel mouvement de déchirure qui s'installe. Dans la contrebasse de Ron Carter s'ébroue la brise du levant. Un battement de cymbale fait le jour se lever. Il demeure comme un picotement vertigineux dans le ventre ; celui d'un adulte aux yeux d'enfant bien réveillé.

HERBIE HANCOCK - Piano, composition.
THAD JONES - Bugle.
PETER PHILIPS - Trombone.
JERRY DODGION - Flûte alto.
RON CARTER - Contrebasse.
MICKEY ROKER - Batterie.




1 commentaire:

  1. Ce moment d'écriture a la poésie d'un "petit matin" succédant à une nuit blanche..., la tendresse d'un souvenir heureux...la fraîcheur embrumée d'une sortie de "boite de jazz" quand tous les "sets" et toutes les "jams" se sont épuisés...la douceur d'un drap frais ou se glisser après une nuit sans sommeil...

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