Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

vendredi 13 mai 2011

PHAROAH SANDERS AU BIRDLAND

Un Lion au pays des oiseaux.


C'est un quartier afféré. De nuit comme de jour il fonce dans tous les sens et s'énergise d'électriques scintillements. Le jardin du Temps, carrefour de la consommation, du show, de la rationalité. A Time Square, juste à côté, il y avait le "Jazz corner of the world", disait Charlie "Bird" P. La terre des oiseaux dans la jungle de métal ouvrait ses portes une soirée de 1949.

Qu'est devenu le Birdland ? La question restait en suspend. Je voulais me réserver cette réponse pour après. Depuis trois mois, je n'arrivais pas à me décider. Parfois, les choses ne se font pas immédiatement... Il faut prendre le temps. Et puis j'ai vu Kenny Barron et son quartet du 24 au 28 mai. Un peu plus haut, sur le programme, il y a un saxophoniste que je n'avais encore jamais entendu, en vrai. Je me laissais convaincre. Il ne fallut pas bien longtemps.

P. SANDERS QUATRE SOIRS AU BIRDLAND – 20.30. p.m. 11. p.m.

Pharoah vit dans un autre type d'agitation. Ce natif d'Arkansas est pourtant installé à New York depuis 1962. Et alors ? Je ne le voyais pas citadin ce Pharoah. Ce nom déjà : Pharoah. C'était les membres de Sun Râ qui l'avait surnommé comme cela. Farrell le new yorkais, ok. Pharoah, je ne sais pas. J'étais curieux du contraste. Je n'arrivais pas à l'imaginer dans ce lieu smart, aux belles nappes blanches repassées, aux lumières roses pâles tamisées. Il représentait pour moi une autre élégance. Je ne saurais dire exactement pourquoi. Peut être à cause des pochettes de ses disques ? Peut être n'arrivais-je tout simplement pas à l'imaginer, nul part.


Quand je l'écoute – l'après midi, d'une bonne humeur disposée –, c'est toujours pareil / Le début me chahute. Je suis obliger de stopper toute activité. Prends le temps de seulement écouter / La suite m'énergise. J'ai la sensation d'avoir bu 78 cafés en une gorgée. Un cocktail Molotov épicé. Prends le temps de rêver / La fin m'attriste. J'ai le sentiment me trouver dans une autre humanité. Prends la fuite pour me réanimer.

Je me souviens tellement bien, la première fois. KARMA (1969). Des milliers d'issues offertes et je préférais rester là, nus pieds, les cheveux enturbannés, des colliers de bois rouge autour du cou. Le Fender Rhodes évanescent de Lonnie Liston Smith et le saxophone de nuit papillonnent dans les rayons opaques du sémaphore. Car, c'est dans la lueur qu'erre son nomadisme. Coupé de son foyer, il évolue dans la transition qui paraît éterniser la fin. The createur has a master plan, susurre Leon Thomas. Sa voix yodelling Yé yé yé... yé yé yé... 32 minutes de spiritisme, d'amour divin. J'y crois bien.

Yé yé yé... Je me perds dans mes pensées. Assis à l'extrémité du comptoir, juste devant la scène en arrondie, je vis enfin la lourde porte s'ouvrir sur les coulisses en sous sol. Dernier à faire son entrée, Pharoah passe devant moi, je reconnais ses traits. Il a le dos voûté par son instrument qui pèse sur son cou monté d'histoires. Sans esbroufe, il grimpe sur scène, fait trois mouvements de mains, et se lance.


Tout de suite, il y a son son. Un choc. Une image d'insoumission. Roc. Aucun souffle n'a le même accent. Rauque. Immédiatement reconnaissable, il n'a pas bougé d'un poil. Désarticulé, démembré, décadent. Il ne s'agit pas d'un ton de tendresse ou de confidence. Cest une conférence ouverte, un memorial day of what ? Ses attaques puissantes sont harmoniquement riches et en même temps totalement épurées. C'est un expressionniste anarchiste. Il couine juste, pipiatte sans ergoter, crachouille avec classe. Ouille ! Des ongles longs crissent sur le tableau noir... La chair de poule grimpe instantanément - celle de l'instinct, pas celle du cerveau.

Mais la voix de Pharoah, comme une rose piquante et fragile, séduit. Sa corolle ouverte en pétales de soie prend un air de "si je t'aime, prends garde à toi". Ses finitions sont toujours dans la rupture, le travail de l'inabouti. Perçant, son cri prend de bas en haut, il est organique comme un frisson d'avril.


J'aime son énergie de vieux lion. Plus je le regarde plus son allure m’apparaît féline. Sa belle crinière blanche auréolant son visage d'éternel lionceau. Ses vibrisses qui s'émoustillent au son du vent. Son vibrato lent est un grognement serein. Il rugit sans s'énerver, gueule juste et fort. Carnivore, il impose, sans s'agiter inutilement non plus, sa royale présence incarnée. Il a sa patte l'animal. Un grain sauvage qui gronde, gémit, miaule aussi.

Quand il s'est montré, qu'il a finit de parler, il contourne la scène et vient se poser, nonchalant, à la table d'à côté. Délecte son festin en solitaire. Il laisse la musique se dérouler et observe sa féerique poésie continuer le chemin sans lui, accepte qu'elle ne lui appartienne plus. Ronronne. Sur chaque morceau c'est le même scénario. Il amorce le chant, pars dans son coin, puis reviens motiver sa troupe pour que jamais elle ne se sente esseulée. Il garde sa place.

 S'il ne joue pas beaucoup, sa prestation n'en est pas moins exceptionnelle. Il ne parle pas pour ne rien dire, ne gaspille pas sa salive. Joue majestueusement et s'en va. Et voilà.


Bien sur, on le sent, aujourd'hui encore, extrêmement proche des structures musicales "libres", explorées par son mentor Coltrane dans les années 60. Leur première rencontre, c'était en 1965, pour ASCENSION. Il venait juste de sortir son premier album solo. Pharoah suivit John dans sa quête mystique. D'ailleurs, dans le jeu de son fidèle pianiste, Williams Henderson, nous retrouvons les structures harmoniques en quintes – grandes échelles pentatoniques – développées par Mc Coy Tyner. Cette trame sonore permet un jeu plus ouvert pour le soliste qui peut ainsi pleinement s'exprimer dans son langage improvisé.


Un quête, un tourbillon, qui reste à l'écart de la prospérité ambulante du grand swing. Lui qui semble animer et reconduire sans fins, sans faiblesses, les mouvements organiques du jazz. Les touches de son instrument, dans le micro clapotent, chacune en un son particulier. Ses mélodies se balancent entre les octaves, ses chemins ont la trace d'une spiritualité mystérieuse, un animisme empaqueté d'autonomie. En l'écoutant, je pense à Sun Râ, à Don Cherry, à John Hicks et à Kenny Garrett. Son lyrisme Hard fait de lui une icône dans la marge... au lieu où l'on écrit habituellement les annotations. C'est là qu'il évolue.

Son jazz est conscient, spirituel, proche des racines africaines. S'il est free, alors j'aime sa liberté. L'ordre parfait dans l'anarchie.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire