Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

mardi 10 mai 2011

ANDY BEY – Tuesday in Chinatown.

Un mardi dans le quartier chinois.

Il y avait la voix de Mickael mcDo' avec les Doobie Brothers. Il y avait Joe Jackson. Et puis Peter Gabriel, les yeux maquillés de LSD, qui s'y perdait, dans The lamb lies down of Broadway...

Chinatown, quel drôle de quartier. Paraît-il, les new yorkais ne l'aime pas. Les "autres", parce que ces chinois là sont bien plus new yorkais que moi. Ils grignotent la petite, la toute little Italy. La fourmilière besogneuse sort de terre, en silence. De partout ; à New York, c'est pareille.

C'est une fête pour les sens, un exotisme on the corner. J'aime y aller pour ces dim sum – "coeurs à petites touches"  – de Pell Street ; pour ces fruits bizarres, des mangues hérissons écarlates, des kakis bien mûres, sur des chariotes en bois délavé. Il y a des cochons grillés suspendus à des crocs de boucher, des canards laqués que je ne voudrais pas manger. Et puis, je me perds dans les odeurs des paniers remplis d'Orient - aux mille noms inconnus, ces retours de poisson frais, d'encens et d'essences parfumées. Il y a des voyants médiums dans des cahutes improvisées, des bonimenteurs qui vendent de fausses-vraies montres, des pantoufles de soie rose, un sac Prada, ou des lanternes en papier... A Chinatown, j'y suis un peu comme à Harlem : chez moi touriste.


Je pense alors à Andy Bey. Sa voix m’obsède. Lors d'une chanson, il se perdait, lui aussi, un mardi, dans Chinatown. Je n'ai pas ma musique sur moi et je pense à lui. Les ballades new yorkaises sont mélancoliques quand on veut bien s'y perdre. Elles ont un souffle, en-dedans, qui souffle qu'on peut disparaître, un mardi, où ailleurs. Ce mardi ci, je le partage avec Andy, l' "autre", pas W. Mais B. S'ils ont des similitudes ce n'est certainement pas dans la couleur de leurs voix qu'ils se ressemblent. Avez-vous déjà connu des hommes, lorsqu'ils commencent à parler, vous ne pouvez qu'écouter, tant leur voix profonde vous berce, vous rassure, vous en voulez encore ?

ANDY BEY n'est pas new yorkais – moi non plus. Il est né en 1939 de l'autre côté, l'atrophique New-Jersey – moi, encore plus loin. Prodige du piano, il commence timidement avec ses soeurs Salome et Geraldine par la chanson. RCA les immortalise. Ils enregistrent à Paris avec Kenny Clarke et Kenny Dorham. Andy retient alors l'attention d'Horace Silver et de Gary Bartz. Max Roach, Stanley Clarke, Sonny Rollins et Mc Coy Tyner font aussi appelle à lui.
Puis, il enregistre EXPRERIENCE AND JUGEMENT, en 1974. Un album effrontément épuré et groovy, avec Celestial Blues en forme d'OVNI, bijou de jazz-funky. La tête dans Saturne, la voix satellite, météore, gravite autour d'une ligne de basse épaisse et vaporeuse. Il aime faire des expériences de sa voix : haut/bas-Lumière/obscurité. C'est celui qui me présenta pour la première fois le grand Andy, l' "autre". Il partit en Autriche enseigner, je crois. Je ne sait pas grand chose d'autre.
Pendant vingt ans il ne sort aucun disque c'est sûr. Il ne revient qu'en 1996, avec le premier volet d'une trilogie qui marque. On est parfois reconnu bien tard.
 Qui est donc monsieur Bey ?

Un vrai New-Yorkais – comme moi, demain. Il y a construit ses premiers textes, leurs a donné – soufflés des rues – leurs mélodies.


(Son) Tuesday in Chinatown est le troisième volet d'un triptyque musicale ayant commencé avec Ballads, Blues & Bey et continué, en 1998, avec Shades of Bey. L'ensemble explore un répertoire éclectique, permettant à l'hydre de velours de présenter son univers, de placer sa magnifique – si profonde et aérienne – voix. Ses racines jazz sont bien ancrées dans cette trilogie musicale.
Ce présent opus contient des standards revisités, tels que I'll Remember April, Invitation, Little Blue Girl et Just Friends. L'un des plus ambitieux morceau, In the Mist, composition de Bix Beiderbecke, est interprété sans paroles. C'est la brume dans le quartier chinois, juste un murmure éclaire les lèvres closes. On prend le temps de rester dans ce block parce qu'on ne voit pas le suivant. C'est le soir ; et on pense à Jack Nicholson pour Polanski. Ça pègre et ça pagode.

C'est bon de continuer l'exploration. De toute façon les plats cuisinés rendent malade et personne n'attend personne. Fragile. Andy est fragile. La chanson de Sting nous pique au coeur. Sa version au tuba et guitare sèche étale son baume du Tigre. L'autre ami bucolique, Nick Drake, écrivait River Man. Andy se met à le chanter et s'éprend de son mâle. Comme une bossa nova, il était toujours triste et amoureux. C'est un Nick Drake noir.

Au cour de sa promenade il chante seul dans la rue au poisson plat et à la crevette grise. Il marche doucement, s'invente un piano est commence, Feelin' Lowdown, un bon blues bleu. Enivrante musicalité narrative, bien balancée, qui nous fait ralentir le pas, stopper,  respirer.

Ninou, ninou ninou ninou ninou.. nianianianiania !!! Je ne sais pas...

Pourtant, s'il aime se perdre dans Chinatown, ce qu'il préfère, par dessus tout, c'est voyager. Son goût pour les mélodies solaires, délicatement enrobées de miel, le conduit au Brésil. Il dévoile son amour pour le pays de Villa Lobos à travers deux magnifiques reprises de Milton Nascimento : Bridges et E Saidas Bandeiras (chanté en portugais, avec l'accent carioca).


Unique est la voix d'ANDY BEY. Elle est d'une rondeur orangée. Une saveur sucrée et un zeste de fêlure nostalgique. C'est un martini blanc. Il a le timbre mature et profond d'une voix de père. Il a la fragilité, celle qui part de la tête, d'un enfant sensible. Les oiseaux ont aussi le vertige. Se gorge de rouge la pudeur du cerveau qui chante chaud, dans la poitrine, il devient Hêtre souverain.

Andy peut tout aussi bien passer d'un registre de baryton à celui d'un ténor. Il joue sur les contrastes entre graves et médiums, s'appuie sur les tessitures de la voix humaine pour donner corps à ses mots. Ses chagrins ont des couleurs androgynes. Il trouve les subtilités harmoniques que certains chercherons sans fin.

Et puis, il y a son swing si spécial, au bord de la falaise, un pied dans le vide. Un des seuls chanteurs capable d'être juste en avance, juste en retard, mais toujours juste. Comme trame de fond, son impeccable feeling, le placement de son souffle pleure dans les branches des grands saules. S'il emploie les dissonances c'est pour contraster avec sa rondeur. Il aime marcher lentement, ouvrir les yeux grands en même temps ; des ballades balançoires en demie-lune.

J'ai autant envie d'entendre ANDY bien tard le soir, que d'être accompagné par BEY, en plein midi, dans un jardin d'hiver ensoleillé. Nous pouvons retrouver l'approche mélodique de Jimmy Scott, le sens de la rondeur de Terry Callier ou de Johnny Hartman, la souplesse de Leon Thomas... mais je m'arrête là. Sa diction, l'après souffle, fait qu'il ne pourrait être classable – à mes yeux – qu'avec lui seul.


Ma promenade est finie. Je rentre à Harlem. A mi parcours, sur la ligne 2 (Columbus Circle, je crois), la voix d'Andy revient à l'intérieur de moi. Je ne veux pas qu'elle parte... "Andy, dis moi OUI !". Alors, pour la première fois, je m'accorde le droit de la partager et m'essaye, par mes petits mots, à la faire chanter.


Tuesday in Chinatown

FORMATION : Andy Bey (chant, piano), Andy Stein, Laura Seaton (violon), Barry Finclair (alto), Peter Sanders (violoncelle), Paul Meyers (guitare), Marty Ehrlich (flûte alto, clarinette, clarinette basse), John Sneider, Earl Gardner (bugle), Peter Washington (contrebasse), Victor Lewis (batterie).

Avec Ron Carter / Steve Turre / Mino Cinelu.

Aucun extrait de Tuesday in Cinatown n'est en ecoute. Voici un petit apercu de la voix d'Andy...



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