BALLADE DANS WEST VILLAGE
Les rues Sakura embaument la renaissance. Nous fleurissons aussi nos habits de grisaille et nous laissons aller à flâner dans un halo d'innocence.
A cet endroit, la portée quadrillée de Manhattan fout le camp. C'est dans le labyrinthe en brique de West Village que l'on essaye de se frayer un chemin de traverse. Les oreilles aux aguets, nous recherchons où pourrait bien se trouver les portes d'entrées de nos sorties nocturnes. Si l'on aime l'inconnu qui jazz, une multitude de possibilités sont offertes dans ce quartier animé.
J'emprunte la 7e avenue, passe devant le GARAGE au n°99. La salle est très grande. L'entrée gratuite, la musique douce. Trop douce pour une fin de semaine ? J'ai aujourd'hui des envies trépidantes. Je commence à faire mon difficile, c'est vrai. Et alors ? Il y a le choix. Je prolonge un bloc plus haut, sur Chritopher Street, la rue du cuir et des chaînes. Le FAT CAT est là. C'est le petit frère du SMALLS. On paye 10$ et l'on reste tant que l'on veut. Les jams y sont sympa en fin de soirée. Il n'est alors que 22h. J'hésite. C'est que je suis attendu dans une demie heure moi. Une musique bluesy me fait les yeux doux. Elle vient d'à côté. Je me laisse séduire sans trop mégoter.
Juste accolé au gros chat, le célèbre ARTHUR'S TAVERN fait toujours salle comble. On y joue du bon blues, de la funk, des musiques rythmées, excellentes pommades pour les âmes en goguette. La petite scène dans le fond, encerclée d'un comptoir de bar brun, est vraiment atypique. Bon, les murs résonnent, les touristes prennent un peu le bulbe... Toutefois, boire une Bud bien fraîche et s’accouder sur une cymbale, ça a son charme.
C'est l'heure.
THE SMALLS – Une petite semaine, deux grands pianistes.
Ça dépend de la saison. En général, le samedi, au Smalls, on attend quand même longtemps ; longtemps avant d'y rentrer. Il faut parfois réserver sa place pour le set suivant. L'opération se fait à la sauvette, puisqu'en théorie on ne prend pas de réservations. Vous glissez un billet au portier, il vous donne un jeton. Et vous pensiez vraiment que le tour était joué ?
Ce sous-sol, retapé en 1993 par l'impressario de jazz Mitch Borden, par le fils d'un propriétaire d'une galerie d'art et par une ancienne infirmière passionnée de musique, devint, en l'espace de quelques années, un repère de noctambules décontractés. Si les nuits sont longues c'est que la programmation y est riche. Chaque soir, trois concerts sont donnés. Chaque soir, on finit par des jams sessions de grandes qualités, qui durent, durent, jusqu'à ce que notre horloge interne sonne le glas d'une longue journée.
Le lieu est pourtant en proie à des difficultés financières, dix ans après sa création. Contraint de fermer temporairement ses portes, l'espace changea mains. Sans rester longtemps inactif, la popularité du club ne s'est pas dissipée. Finalement, c'est en février 2007 que les musiciens Lee Wilner et Kostrinsky, en partenariat avec Mitch Borden, reprirent le lieu pour lui redonné son atmosphère bohème originelle.
Ce n'est qu'un début. Quand on a enfin franchit le petit porche en bois de récup', on cherche une place, un bout de comptoir, un semblant de tabouret, un angle de banc. Oh, et puis debout c'est bien aussi ! Dans l'escalier ? Ok.
Parce que le Smalls c'est grand.
J'attends donc sur ces marches froides qu'un membre de l'assistance ait une envie de tabac, une femme à retrouver ou les oreilles mal embouchées. Pas besoin d'être à l'intérieur de la salle pour sentir les effluves musicales. C'est comme quand on revient, après une longue période, au bord de l'océan. Quelques kilomètres avant de le voir, on le sent. Cette odeur a un goût délectable. D'ici, le cristallin du piano emmitouflé me parvient comme des embruns marins. Cette fraîcheur sur la peau fait du bien. Il y a Louis qui se marre au fond, je le vois assis, jambes croisées, ses grandes chaussettes a carreaux remontées.
Puis, vient le premier plongeon du matin, ça croustille comme du bon pain. Tellement bon qu'on en reprend. Gniap. Deux fois dans la même semaine au Smalls et j'ai encore faim. C'est drôle, les deux soirs c'étaient les batteurs qui étaient à l'honneur. Ari Hoening et Greg Hutchinson y présentaient leurs nouvelles formations. Et moi, j'étais là pour leurs pianistes. Je trépignais comme un écolier le dernier jour de l'année.
Aaron Golberg et Tigran Hamasyan.
L'un est américain, né le 30 avril 1974 à Boston. L'autre est arménien, né le 17 juillet 1987 à Gyumri.
Deux styles, deux façons d'envisager le piano contemporain. Deux grands voyageurs dotés d'une technique époustouflante. Ce sont des romantiques à l'élégance cristalline. Si Aaron est plus traditionnel – dans son approche de la mélodie – que Tigran – qui marque un style totalement avant gardiste –, les deux hommes ont la particularité d'exprimer une force émotionnelle intimiste. Ils se mettent en danger, chevauchent les octaves sur des chemins encore jamais foulés. Ils promènent joies et souffrances, nous ébranlent de l'intérieur par leurs imaginaires féconds. Ils aiment raconter les contes, les fables, la poésie, la fragilité des mots qui se taisent. Leurs univers est à la frontière du réel.
J'aime les écouter avant de sombrer dans le sommeil. J'y retrouve des hommes pieds nus aux grands cheveux longs. Appliqués sur chaque note, pour qu'elles ne se jalousent point, tous d'eux racontent l'histoire d'une culture qui n'est pas la leur. Griots passionnés, ils l'ont intégrés, en ont fait leur vie. Nostalgie de l'exil, ils déposent leurs notes dans toutes les contrées, là où ils ne sont encore pas allés. Ils cavalent au dessus des océans, du crépuscule à l'aurore, de l'aube au couchant. Leur musique est légère et torrentielle.
Deux pianistes subtils à l'agilité délicate, lyrique, aérienne. Dompteurs d'harmonies, se sont des bêtes sauvages affamées. L'avenir de la musique est dans le métissage, la nuance des pigments sonores. Leurs discours m'ont, deux soirs durant, faits chavirer. La technique au service de l'émotion... c'est bien comme cela.
DEBRIEFING
I / A la fin du concert de samedi, je croise Joshua Redman, son sax en bandouillière et ses grands yeux bleus irradiant l'arrière salle. Il sort tout juste de son concert au Blue Note, avec les Bad Plus. Je vais lui serrer la pogne et le féliciter pour son dernier album, JAMES FARM, magnifique opus tout fraichement parût.
Tu vas jouer ? / Non non, j'suis vanné ! Je viens juste saluer les copains, boire un verre, avant de rentrer. / C'est un QG le Smalls ? / Ben, disons que c'est central et ça ferme tard. Tu vois, il y a toujours de sacrés musiciens, du coup c'est toujours agréable d'y passer, même si ce n'est pas pour y jouer. / En tout cas ce soir c'était bon bon bon. Aaron a sacrément bien joué / Ca devait, la salle est bondée... / Tu choisis bien tes pianistes Joshua ! / C'est essentiel d'avoir du répondant (clin d'oeil). J'ai beaucoup joué avec Greg, le batteur, tu sais ? / Bien sur. C'est aussi pour cela que je suis ici / Je vais essayer d'aller les saluer. A bientôt ! / Ce serait une joie, merci encore pour ta musique. / You're welcome !
Tiens, juste à côté je retrouve le contrebassiste des New Cookers. Vous vous souvenez ? (cf.Et BAM ! avril 2011).
Hi ! / Salut. / Je t'ai entendu au B.A.M., il y a quelques semaines, c'était top ! / ... ahhhh, merci. / Tu viens souvent au SMALLS ? / Quand je peux, je viens aux jams retrouver les copains. J'adore, ça paye pas de mine. C'est vraiment busy ce soir / Parce que le concert était top / Tu restes encore, on pourra discuter ? Désolé, ma contrebasse m'appelle / Je dois malheureusement y aller, il est tard. A demain ! / Demain ? / façon de parler... / A demain alors ! (rires bien marqués).
II / Entre les deux sets du concert de lundi, je passe un moment à discuter avec Ari Hoening, encore tout pris par ses rythmiques marathoniennes. Il vient présenter son tout nouvel album LINE OF OPPRESSION. Je crois que le message est passé. Ses cheveux encore tous ébouriffés par la fureur de ses roulement de tambours, il s'est vraiment donné. Ari est un théoricien qui n'a pas de semblable dans sa famille. Je lui parle de sa méthode de batterie, de l'originalité de son style. Il me répond travailler sur des structures qui mettent en danger sa musique, qu'il aime jouer sur les points de ruptures, juste avant que le fil lache, le dernier maillon.
Toi qui a accompagné des pianistes ultra talentueux, comme Jean-Marie Pilc (pour ne citer que lui), que penses-tu du jeune Tigran, il est incroyable non ? / C'est un génie. C'est son sens du rythme qui au début m'a literallement scotché. Après, j'ai prêté attention à ses compositions qui, elles aussi sont d'une grande richesse ; il ne se repète jamais /
Tu as entendu son disque solo, A FABLE ? / Bien sur. C'est entre autre pour cela que je voulais jouer avec lui ! / Du coup, j'ai pu voir que vous ne cessiez de vous regarder dans cette nouvelle formation / Il suit tes coups de baguettes et place ses accords dessus, il fait du beat box avec sa bouche pendant que tu fait tinter tes cymbales, c'est très réussit / Merci. (tape l'épaule) Nous allons entendre parler de ce jeune homme, je t'assure / Je veux bien te croire / Tiens, je te passe l'album, tu pourras nous réécouter ! / Merci Ari.
Je salue Tigran, juste avant qu'il n'entame le second set. J'ai trop à lui dire pour commencer à discuter... Même si je le dépasse de deux têtes, j'ai l'étrange sensation d'être tout petit. Ca y est, la musique reprend, je me tais.
Comprenez-vous pourquoi le Smalls est si grand ?
Pourquoi JASS ?
Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
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