Originellement, en Italie, c'est une toute autre musique... Le jazz bannit, il fallut attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que les artistes puissent pleinement se manifester. Pourtant, si papa Benito ne jure que par les grands airs d'opéras nationaux (voir nationalistes), au même moment, pianiste et peintre, son propre fils Romano, emprunte un surnom pour camoufler, dans un coin anonyme du sud du pays, la révolution du jazz, en Italie. Le duce défait, Romano redevient Mussolini. C'est sous son vrai nom qu'il accompagne, dans les années 60, Chet, Lionel Hampton, Dizzy ou Duke Ellington...
La vieille Europe véhiculait, au lointain, de séduisantes sonorités pour les jazzmen américains. Ils s'y sentaient libres et écoutés. Est-ce toujours vrai ? En outre, le jazz italien a immédiatement trouvé un écho favorable dans la musique hexagonale. Certains musiciens s'y sont plu et ne sont plus jamais rentrés, Aldo Romano, Michel Benita ; d'autres sont devenus des habitués des clubs français, Giuliani, Mirabassi, Fresu, Rava, Bollani... une pépinière de créativité voisine dévoile son identité. Pour notre plus grand bonheur, du samedi 2 au lundi 4 juillet, le Sunside a invité le pianiste Enrico Pieranunzi.
Photographe : Ramine POROUCHANI |
Sa vie, Enrico la raconte en jouant. Je sais simplement qu'il s'initie très jeune homme à la musique classique, que son diplôme lui permet de devenir professeur au Conservatoire Sainte-Cécile de Rome, en 1973. Je sais aussi que son père, Alvaro, était un passioné de jazz. Il jouait de la guitare, complètement dévoué à l'art de Django. Voilà tout. L'enfance pourrait résumer Enrico. Une double formation qui a construit son "son".
En 1989, il reçoit le prix du "meilleur musicien de jazz italien" lors du concours annuel organisé par le magazine italien Musica Jazz. Puis, il est récompensé en France, en 1993, par l'Académie du Jazz au titre de "meilleur musicien de jazz européen".
Baron, Pieranunzi, Johnson play Morricone |
C'est ce qui avait surement séduit Chet Baker dans sa longue tournée européenne. Chet et Enrico dialoguent pour la première fois sur le temps d'une Soft Journey. Si la pochette aux cols roulés démodés montre les contrastes d'une époque surannée, son contenu demeure d'une rareté ébouriffante. Leurs discussions sont personnalisées. L'un plus retenu, l'autre plus loquace mais toujours cheminant dans les pas gulliveriens du premier. Une touchante version de My Funny Valentine vient s'y glisser. C'était l'hiver à Rome. A cheval entre le 4 décembre 1979 et le 4 janvier 1980, quatre des six titres sont composés, à cette occasion, par le jeune Pieranunzi.
Depuis toujours, ses morceaux ont la couleur d'une Europe émancipée. Seul le cinéma de Pasolini aurait pu peindre d'images la nature de cette personnalité bien trempée, sa délicate fragilité. Construite de paradoxes, sinueuse, à la limite de rompre, les alternances des légers staccato aux expressifs legato enlevés, entremêlent nos sens dans un souffle grave et libéré.
Le piano d'Enrico chante une espèce de rire intérieur, lyrique, abstrait, que je ne saurais qualifier. Il ne s'agit pas simplement de joie. Pas de folie en tout cas. Ce rire est en extase, littéralement victime de l’envoûtement musical. La magie opérée par un plaisir simple, le pur bonheur de jouer, tout bonnement d'exister. Sa propre musique lui permet de se refléter dans l'après, tout en étant déjà passée.
Photographe : Ramine POROUCHANI |
Ce soir, le toucher d'Enrico dévoile un swing mélancolique, un nuancier de demi-tons égrenés, qui se promène sur la faille, du bebop straight dans le vide du silence. Quant à elle, la musique de Pieranunzi a ses accents du sud, de la tchatche italienne vient précisément s'y mêler. Une fugue ternaire échafaude les building improvisés, dans des déploiements d'octaves, des élégantes ribambelles de croches.
Alpiniste chevronné, son discours a le grain poivré des hauteurs. Enchaînements à la houppette, petites notes de verre en accroche-coeur, il y a dans le l'âme d'Enrico la pudeur des initiés. Laisser se perdre au loin la note, ne pas chercher à l'emprisonner ; et offrir à nos oreilles le goût de la cueillette, sauvage et libre, dans les grands prés.
Photographe : Ramine POROUCHANI |
De l'autre côté, c'est l'Italie. Pieranunzi se ballade sur Domenico Scarlatti. Son amour pour la grande musique européenne, celle de Liszt, Chopin, de Rachmaninoff ou de Ravel, fait de son œuvre l'expression d'un lyrisme délicat et pudique. Elle s'éveille en plein air. La climatisation se transforme en une douce brise de fin de soirée. Les accords colorent des touches de lumières, élégamment clairsemées. L'écho d'une tradition purifiée d'improvisations, l'aboutissement d'une émotion qui, finalement, s'enfuit.
Photographe : Ramine POROUCHANI |
Photographe : Ramine POROUCHANI |
http://ramine.jalbum.net/Enrico-Pieronunzi-Trio---02.07.2011/
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