Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

mercredi 6 juillet 2011

Doctor ENRICO et Mister PIERANUNZI.

La romance du jazz en Italie.


Originellement, en Italie, c'est une toute autre musique... Le jazz bannit, il fallut attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que les artistes puissent pleinement se manifester. Pourtant, si papa Benito ne jure que par les grands airs d'opéras nationaux (voir nationalistes), au même moment, pianiste et peintre, son propre fils Romano, emprunte un surnom pour camoufler, dans un coin anonyme du sud du pays, la révolution du jazz, en Italie. Le duce défait, Romano redevient Mussolini. C'est sous son vrai nom qu'il accompagne, dans les années 60, Chet, Lionel Hampton, Dizzy ou Duke Ellington...


La vieille Europe véhiculait, au lointain, de séduisantes sonorités pour les jazzmen américains. Ils s'y sentaient libres et écoutés. Est-ce toujours vrai ? En outre, le jazz italien a immédiatement trouvé un écho favorable dans la musique hexagonale. Certains musiciens s'y sont plu et ne sont plus jamais rentrés, Aldo Romano, Michel Benita ; d'autres sont devenus des habitués des clubs français, Giuliani, Mirabassi, Fresu, Rava, Bollani... une pépinière de créativité voisine dévoile son identité. Pour notre plus grand bonheur, du samedi 2 au lundi 4 juillet, le Sunside a invité le pianiste Enrico Pieranunzi.


Photographe : Ramine POROUCHANI
Le premier soir en trio, aux côtés de Darryl Hall à la contrebasse et d'Enzo Zirilli aux drums, entre Bebop à la Bud Powell et jazz modal évansien. Dimanche dernier, en piano solo, un doux récital imprégné de classicisme européen. Enfin, lundi, avec un surprenant "Latin Quintet", composé d'André Ceccarelli à la batterie, de Rosario Giuliani aux sax, de Diego Urcola à la trompette et de Darryl Hall à la contrebasse. Une carte blanche aux couleurs éclectiques d'un des maîtres du piano contemporain outramerica.

Sa vie, Enrico la raconte en jouant. Je sais simplement qu'il s'initie très jeune homme à la musique classique, que son diplôme lui permet de devenir professeur au Conservatoire Sainte-Cécile de Rome, en 1973. Je sais aussi que son père, Alvaro, était un passioné de jazz. Il jouait de la guitare, complètement dévoué à l'art de Django. Voilà tout. L'enfance pourrait résumer Enrico. Une double formation qui a construit son "son".

En 1989, il reçoit le prix du "meilleur musicien de jazz italien" lors du concours annuel organisé par le magazine italien Musica Jazz. Puis, il est récompensé en France, en 1993, par l'Académie du Jazz au titre de "meilleur musicien de jazz européen".

Baron, Pieranunzi, Johnson play Morricone
Par passion, il s’emploie à décortiquer l'infalsifiable créativité d'un génie mélancolique. Avec son trio magique, Enrico enregistre depuis 1984. Il y a Joey Baron ; et Marc Johnson, dernier contrebassiste de Bill Evans qui symbolise cette grande boucle musicale sans fin. Une partition jetée dans l'océan, passe Gibraltar par dévouement, juste pour venir se gorger d'un doux soleil toscan. Des B.O de Fellini se baladent tandis qu'Ennio Morricone chante, sur le grand piano noir, l'histoire d'un voyage sans cinéma...

C'est ce qui avait surement séduit Chet Baker dans sa longue tournée européenne. Chet et Enrico dialoguent pour la première fois sur le temps d'une Soft Journey. Si la pochette aux cols roulés démodés montre les contrastes d'une époque surannée, son contenu demeure d'une rareté ébouriffante. Leurs discussions sont personnalisées. L'un plus retenu, l'autre plus loquace mais toujours cheminant dans les pas gulliveriens du premier. Une touchante version de My Funny Valentine vient s'y glisser. C'était l'hiver à Rome. A cheval entre le 4 décembre 1979 et le 4 janvier 1980, quatre des six titres sont composés, à cette occasion, par le jeune Pieranunzi.

Depuis toujours, ses morceaux ont la couleur d'une Europe émancipée. Seul le cinéma de Pasolini aurait pu peindre d'images la nature de cette personnalité bien trempée, sa délicate fragilité. Construite de paradoxes, sinueuse, à la limite de rompre, les alternances des légers staccato aux expressifs legato enlevés, entremêlent nos sens dans un souffle grave et libéré.


Le piano d'Enrico chante une espèce de rire intérieur, lyrique, abstrait, que je ne saurais qualifier. Il ne s'agit pas simplement de joie. Pas de folie en tout cas. Ce rire est en extase, littéralement victime de l’envoûtement musical. La magie opérée par un plaisir simple, le pur bonheur de jouer, tout bonnement d'exister. Sa propre musique lui permet de se refléter dans l'après, tout en étant déjà passée.

Photographe : Ramine POROUCHANI
Oui, c'est comme si ses doigts rejouaient l’instantané d'un siècle d'émotions désenchantées. Ce n'est pas un condensé ; c'est une pluie fine de juillet. Un impressionnisme abstrait aux expressives allures cubiques. Sans être Miró, il y a du Cézanne dans la coupe de sa main gauche. Dans la seconde, ruisselante, c'est Pollock qui vient éclabousser de noir les dents blanches du clavier.

Ce soir, le toucher d'Enrico dévoile un swing mélancolique, un nuancier de demi-tons égrenés, qui se promène sur la faille, du bebop straight dans le vide du silence. Quant à elle, la musique de Pieranunzi a ses accents du sud, de la tchatche italienne vient précisément s'y mêler. Une fugue ternaire échafaude les building improvisés, dans des déploiements d'octaves, des élégantes ribambelles de croches.

Alpiniste chevronné, son discours a le grain poivré des hauteurs. Enchaînements à la houppette, petites notes de verre en accroche-coeur, il y a dans le l'âme d'Enrico la pudeur des initiés. Laisser se perdre au loin la note, ne pas chercher à l'emprisonner ; et offrir à nos oreilles le goût de la cueillette, sauvage et libre, dans les grands prés.

Photographe : Ramine POROUCHANI
Sa double personnalité se confond en une seule musique vive et ronde. Enrico est toujours à galoper, sur une portée tendue, équilibriste au dessus de l'Atlantique. D'un côté il y a le jazz, New York, ses deux compagnons avec qui il repense l'art du trio, la terre d'Art Tatum et de Tommy Flanagan aussi, un peu plus haut il y a Paul Bley. D'ici, Bill communique par la pensée. Enrico en écrit un livre, Portrait de l'artiste au piano, le temps d'un vol imaginaire vers le Nouveau Monde.

De l'autre côté, c'est l'Italie. Pieranunzi se ballade sur Domenico Scarlatti. Son amour pour la grande musique européenne, celle de Liszt, Chopin, de Rachmaninoff ou de Ravel, fait de son œuvre l'expression d'un lyrisme délicat et pudique. Elle s'éveille en plein air. La climatisation se transforme en une douce brise de fin de soirée. Les accords colorent des touches de lumières, élégamment clairsemées. L'écho d'une tradition purifiée d'improvisations, l'aboutissement d'une émotion qui, finalement, s'enfuit.

Photographe : Ramine POROUCHANI
Photographe : Ramine POROUCHANI

http://ramine.jalbum.net/Enrico-Pieronunzi-Trio---02.07.2011/




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