Lorsque les choses plus ne sont
Qu'un souvenir de leur frisson,
Un écho des musiques mortes.
Demeure la douleur du son
Qui plus s'étend plus devient forte.
C'est peu de mots pour la chanson.
(Louis Aragon).
Je me souviens d'un livre d'enfance qui, ensuite, était devenu un film d'adolescence, puis un voyage d'homme. J'avais une ferme en Afrique... étaient ses premiers mots. Instantanément, le souvenir rose Bisap, glacé aux commisures, et l'odeur poivrée de la terre rouge écaille, nue et volatile, me revenait. Avant d'y aller, la musique africaine était – en moi – mêlée à l'écho violon des compositions de John Barry; sur le gramophone, une musique de Mozart, K.622 aussi. Mais aujourd'hui, c'est le souvenir d'Ali et son blues du désert qui me mélancolise. J'avais un fleuve au Mali...
Fleuve Niger – 3 Février 2006.
Sur le poste rouillé, le son déchiré du saxophone d'Akosh faisait tout vibrer à l'intérieur de ma bicoque. Moi, j'étais dehors, sur la grande toile en sac de riz rapiécée. Contemplatif. Cette chair de poule là ne venait pas de la fraîcheur vive du soir, brisant l'harassante saison. Ce n'était pas non plus le transbahutement de la pinasse surchargée qui, dans la plénitude du couchant, s'étouffait de ses vieilles mécaniques accablées ; car ce qui est "gâté" est toujours réparable (recyclable, tout du moins). C'était vraisemblablement la réaction physique de ma petitesse, révélée devant l'inconnu insoupçonné... Mon esprit s'était corporellement manifesté.
Un immense soleil rouge, plus vibrant qu'un continent, plongeait face à moi, dans l'étrange clarté du fleuve couchant. Au coeur des ténèbres, je devenais Conrad, une sorte de capitaine Benjamin L.Willard mis en scène par Coppolla. Le feu dans l'eau reflétait une couleur sauvage, mauve-noire-rouge entremêlés, le seul drapeau de liberté. Sur les flots désertiques d'un temps qui ne traverse pas les âges, un gros lingot d'or semblait miroiter à la surface.
Paradoxalement, la sécheresse des vents, celle des terres, se dévoilait luxuriante d'échanges, opulente de splendeurs. L'eau et le sable, l'un contre l'autre, sans que l'un ne s'évapore, l'autre continue à avancer. Notre embarcation accablée est venue s'étendre sur un banc molletonné. Quelques minutes à attendre, quelques heures ; des journées ; on ne sait jamais... Apprenons, simplement, à prendre le temps de respirer. Ici, nous sommes à Niafunké.
C'est devant le village en terre craquelée, à 250 kilomètres au sud de Tombouctou, que la pinasse s'est assoupie. Tous le monde descend. Après trois jours sans poser pieds on ne sait pas vraiment comment marcher. Des petites silhouettes élancées, aux statures Giacometti, leurs têtes surchargées, troublaient en mirages l'horizon cuivré. Au loin, sur l'immense fleuve, des pêcheurs Bozo faisaient tournoyer leurs filets de pêche rafistolés.
Un tour à 360° m'offrait le panorama d'un raffinement naturel sans égal. Aucune richesse ostentatoire ne venait troubler l'harmonie de cette terre peulée.
Les derniers jours d'Ali Farka Touré.
" Sur mes papiers, c’est écrit : « artiste ». Mais, en fait, je suis cultivateur ".
Ali Farka Touré.
Le hasard voulu que la panne ai lieu en cet endroit, sur les berges de Niafunké. Tu connais Ali Farka Touré ?, me demande un passager ; le même qui, sur son sac de riz cafardeux à côté du mien, avait, la nuit passée, essayé d'endormir en chantant son enfant. C'est son village. Ici, dans le désert, on aime la musique qui donne le temps... pour cela, Ali Farka c'est le plus grand.
En blues mineur, dans l'une de ces cases, reposait un des seuls musiciens du pays n'ayant jamais déserté. Le Mali était son repère luxuriant, sa source d'inspiration, son bonheur d'harmonie. Comme son ami Amadou Hampâté Bâ, qui se servait de l'écriture pour compiler les contes de la tradition orale, Ali Farka utilisait la musique pour évoquer les traditions de son pays.
Si tu veux savoir, à l'origine il s'appelait Ali Ibrahim. L'Islam, en cette région de l'Afrique noire, avait une drôle d'histoire, religieusement métissée. Un étonnant syncrétisme culturel s'était, par la route salée, lentement assaisonné, puis artistiquement érodée. Bref, comme tu le sais, la coutume est de donner un surnom qui définisse la personnalité de son enfant. Ayant perdu tous ces frères et soeurs, Ali Ibrahim devint Ali Farka. Ali "l'âne" aux yeux maquillés, fort et tenace, sur lequel personne ne pouvait – et n'a d'ailleurs jamais pu – monter.
Ali appartient à l'ethnie Djerma, elle-même issue des grands Songhay de la boucle Niger. Cette origine explique son attachement déterminant à la terre, sa passion pour la culture traditionnelle, sa sensibilité aux rythmes métronomiques des saisons. Comme tous les habitants dans la région, son éducation germe aux champs. C'est lors des récoltes groupées qu'il découvre la musique. Le travail chanté – comme pour le Blues, son enfant – attribue une âme humaine aux phénomènes naturels pour ne pas oublier que l'harmonie a un temps. L'union aussi a son rythme.
Je branche mes petites enceintes portatives et fait écouter à mon nouvel ami Niafunké, le disque qui m'a présenté Ali Farka Touré. Il avait été enregistré à quelques pas d'ici, dans un studio mobile. L'hommage à la ville sonne comme un hymne. Ému, il me fait savoir que toutes les chansons du disque parlent de traditions, d'agriculture et d'irrigation. Qu'en dedans, il y a aussi l'animisme et ses transmissions parlées. Toutes les mélodies évoquent l’existence d'une petite ville sans route, au milieu du désert, toutes renvoient à un quotidien qui, à cette époque, était également devenu le mien. Un frisson silencieux nous traversa.
Gurkel, Njarka, flûte peul ou luth n'goni, Ali s'initie à toute forme de sonorités. Malgré l'incompréhension de ses proches pour ce "futile" engouement artistique, il se forme à la guitare avec son maître, Mamby Touré. J'apprends que sa révélation musicale eut lieu en 1956. Alors chauffeur de taxi en Guinée, il assiste à une performance de Fodeba Keita qui chamboulera sa vie d'artiste. Il oriente ainsi sa musique vers des sonorités traditionnelles, elles mêmes caressant l'écho d'un blues viscéralement distingué. Mais, c'est en mêlant à ses mélodies la prose d'une poésie engagée, qu'il double son lyrisme affranchit d'un patrimoine culturel sacré – divin moins que spirituel.
En 1960, alors que le Mali se proclame indépendant, Ali Farka Touré commence à faire de la musique sa profession. Il dirige son groupe, la TROUPE 117, avec laquelle il travaille sur une pinasse-ambulance. Ensemble, ils tournent à travers les festivals et les concours du pays. Ils remportent d'ailleurs avec succès celui de Mopti. Dix ans plus tard, le bluesman du désert entre dans l’orchestre de Radio Mali tout en travaillant comme ingénieur du son pour cette même radio. Il chante en peul et en tamasheq; sa guitare vibre comme aucune autre, la première racine de cet art en éclosion. En 1973, l’orchestre est - bien entendu - dissous par le gouvernement.
A cette période, Ali écoute le Blues de l'autre continent. John Lee Hooker lui fait penser – dans ses chants – au peuple du désert qu'il connait tant. Il se recontreront en 1991. Duo symbolique, traçant au compas le chemin de la musique noire. Ali dira : "Moi, j'ai la racine et le tronc, il a les feuilles et les branches..."
Farka, premier disque solo, sort en 1976. Le temps passe... et il revint à la Source, le temps d'une chansons avec Taj Mahal. Ouvert sur le monde, lui, dans son village du bout du monde, il enregistre Talking Timbuktu aux côtés de Ry Cooder, une bien belle rencontre. L'agriculteur, devenu maire de Niafunké, ne parvient pas complètement à faire taire le musicien qui a toujours envie de chanter. En 2003, il se produit au Festival au désert, au nord de Tombouctou.
L’année suivante, en trois séances de deux heures, In The Heart Of The Moon est enregistré dans un hôtel de Bamako. La musique en tête à tête, profonde comme lorsqu'il salut en frôlant le front, Ali s'emploie à honorer ses invités. Son ami Toumani Diabaté palabre avec lui – guitares, kora, voix –, ça fait de l'effet. Les sons du Sahel, parsemées d'un blues contemplatif s'encordent d'arpèges afros désenchantés.
Plus le temps passe, plus le guitariste Djerma recentre ses inspirations dans le quotidien du bord du fleuve. C'est ainsi qu'il partit se perdre dans la Savane, Lors d'un émouvant album posthume faisant foi de son investissement matériel et spirituel pour sa belle région.
" Comme je descendais des Fleuves impassibles, je ne me sentis plus guidé par les haleurs..."
Tombouctou – 4 février 2006.
Le lendemain, mon vingt-deuxième anniversaire est venu frapper. Si je n'eu point la chance de rencontrer Ali Farka Touré, je gardais - en moi - le cadeau de sa présence incarnée. Tout prêt, son aura mystique m'avait comblé d'une mélodieuse spiritualité.
Au crépuscule, les portes du fleuve Niger s'ouvraient sur des mains de géants. Mes yeux, grands écarquillés, commençaient à mesurer la cadence d'une troublante sérénité. Au sommet de la grande boucle du fleuve, la ville énigmatique se dévoilait. Soumises aux caprices du ciel, comme René Caillé, il fallait la gagner pour l'apprécier. Toubabou, Timbucku !, me dit le piroguier.
[...]
Un mois après, je n'avais toujours pas bougé. Les routes s'arrêtaient là, je décidais de rester dans la mystérieuse cité. Ce fut le 7 mars de la même année, alors que j'allais acheter trois dosettes de plouf à l'épicerie voisine, que le vendeur des rues m'appris le décès d'Ali Farka Touré. Il avait 67 ans. Tu sais, il souffrait d’un cancer depuis plusieurs années. A la fin, il était complètement paralysé. Je vis toute la tristesse du marchand. Dans sa petite cahute en bois, sur son vieux poste démembré, se dispersait, en poussières chantantes, les cendres du griot musicien que tout le monde ici appréciait. Il habitait juste en dessous, sur les berges du fleuve, à Niafunké. Je ne répondit rien. Je ne pouvais lui faire comprendre que, lors de ma venue, je l'avais, l'espace d'une fraction de seconde, rencontré. Je n'aurais pas eu envie d'en voir plus de lui. J'avais entendu. Ça me permettait d'imaginer.
L'immensité du fleuve rouge me remplissait. Ce que mon compagnon m'avait donné à entendre, à deux portées de sa maisonnée, me suffisait pour raviver la complainte d'Ali Farka Touré, l'écho de notre entretien métaphysique était définitivement gravé.
Discographie
1976 : Farka
1976 : Spécial « Biennale du Mali »
1978 : Biennale
1979 : Ali Touré Farka
1980 : Ali Touré dit Farka
1984 : Ali Farka Touré (Red)
1988 : Ali Farka Touré (Green)
1989 : Ali Farka Touré
1990 : African Blues (Shanachie 65002)
1990 : The River - World Circuit
1993 : The Source - World Circuit avec Taj Mahal
1994 : Talking Timbuktu - World Circuit
1996 : Radio Mali - World Circuit
1999 : Niafunké - World Circuit
2002 : Mississippi to Mali avec Corey Harris
2004 : Red&Green - World Circuit (remasterisé)
2005 : In the Heart of the Moon - World Circuit avec Toumani Diabaté et Ry Cooder
2006 : Savane - World Circuit
Février 2010 : Ali and Toumani - World Circuit/Nonesuch Records avec Toumani Diabaté
Qu'un souvenir de leur frisson,
Un écho des musiques mortes.
Demeure la douleur du son
Qui plus s'étend plus devient forte.
C'est peu de mots pour la chanson.
(Louis Aragon).
Loïs. O. |
Je me souviens d'un livre d'enfance qui, ensuite, était devenu un film d'adolescence, puis un voyage d'homme. J'avais une ferme en Afrique... étaient ses premiers mots. Instantanément, le souvenir rose Bisap, glacé aux commisures, et l'odeur poivrée de la terre rouge écaille, nue et volatile, me revenait. Avant d'y aller, la musique africaine était – en moi – mêlée à l'écho violon des compositions de John Barry; sur le gramophone, une musique de Mozart, K.622 aussi. Mais aujourd'hui, c'est le souvenir d'Ali et son blues du désert qui me mélancolise. J'avais un fleuve au Mali...
Fleuve Niger – 3 Février 2006.
Sur le poste rouillé, le son déchiré du saxophone d'Akosh faisait tout vibrer à l'intérieur de ma bicoque. Moi, j'étais dehors, sur la grande toile en sac de riz rapiécée. Contemplatif. Cette chair de poule là ne venait pas de la fraîcheur vive du soir, brisant l'harassante saison. Ce n'était pas non plus le transbahutement de la pinasse surchargée qui, dans la plénitude du couchant, s'étouffait de ses vieilles mécaniques accablées ; car ce qui est "gâté" est toujours réparable (recyclable, tout du moins). C'était vraisemblablement la réaction physique de ma petitesse, révélée devant l'inconnu insoupçonné... Mon esprit s'était corporellement manifesté.
Un immense soleil rouge, plus vibrant qu'un continent, plongeait face à moi, dans l'étrange clarté du fleuve couchant. Au coeur des ténèbres, je devenais Conrad, une sorte de capitaine Benjamin L.Willard mis en scène par Coppolla. Le feu dans l'eau reflétait une couleur sauvage, mauve-noire-rouge entremêlés, le seul drapeau de liberté. Sur les flots désertiques d'un temps qui ne traverse pas les âges, un gros lingot d'or semblait miroiter à la surface.
Loïs. O. |
Paradoxalement, la sécheresse des vents, celle des terres, se dévoilait luxuriante d'échanges, opulente de splendeurs. L'eau et le sable, l'un contre l'autre, sans que l'un ne s'évapore, l'autre continue à avancer. Notre embarcation accablée est venue s'étendre sur un banc molletonné. Quelques minutes à attendre, quelques heures ; des journées ; on ne sait jamais... Apprenons, simplement, à prendre le temps de respirer. Ici, nous sommes à Niafunké.
Loïs. O. |
Loïs. O. |
Un tour à 360° m'offrait le panorama d'un raffinement naturel sans égal. Aucune richesse ostentatoire ne venait troubler l'harmonie de cette terre peulée.
Les derniers jours d'Ali Farka Touré.
" Sur mes papiers, c’est écrit : « artiste ». Mais, en fait, je suis cultivateur ".
Ali Farka Touré.
Le hasard voulu que la panne ai lieu en cet endroit, sur les berges de Niafunké. Tu connais Ali Farka Touré ?, me demande un passager ; le même qui, sur son sac de riz cafardeux à côté du mien, avait, la nuit passée, essayé d'endormir en chantant son enfant. C'est son village. Ici, dans le désert, on aime la musique qui donne le temps... pour cela, Ali Farka c'est le plus grand.
En blues mineur, dans l'une de ces cases, reposait un des seuls musiciens du pays n'ayant jamais déserté. Le Mali était son repère luxuriant, sa source d'inspiration, son bonheur d'harmonie. Comme son ami Amadou Hampâté Bâ, qui se servait de l'écriture pour compiler les contes de la tradition orale, Ali Farka utilisait la musique pour évoquer les traditions de son pays.
Si tu veux savoir, à l'origine il s'appelait Ali Ibrahim. L'Islam, en cette région de l'Afrique noire, avait une drôle d'histoire, religieusement métissée. Un étonnant syncrétisme culturel s'était, par la route salée, lentement assaisonné, puis artistiquement érodée. Bref, comme tu le sais, la coutume est de donner un surnom qui définisse la personnalité de son enfant. Ayant perdu tous ces frères et soeurs, Ali Ibrahim devint Ali Farka. Ali "l'âne" aux yeux maquillés, fort et tenace, sur lequel personne ne pouvait – et n'a d'ailleurs jamais pu – monter.
Ali appartient à l'ethnie Djerma, elle-même issue des grands Songhay de la boucle Niger. Cette origine explique son attachement déterminant à la terre, sa passion pour la culture traditionnelle, sa sensibilité aux rythmes métronomiques des saisons. Comme tous les habitants dans la région, son éducation germe aux champs. C'est lors des récoltes groupées qu'il découvre la musique. Le travail chanté – comme pour le Blues, son enfant – attribue une âme humaine aux phénomènes naturels pour ne pas oublier que l'harmonie a un temps. L'union aussi a son rythme.
Je branche mes petites enceintes portatives et fait écouter à mon nouvel ami Niafunké, le disque qui m'a présenté Ali Farka Touré. Il avait été enregistré à quelques pas d'ici, dans un studio mobile. L'hommage à la ville sonne comme un hymne. Ému, il me fait savoir que toutes les chansons du disque parlent de traditions, d'agriculture et d'irrigation. Qu'en dedans, il y a aussi l'animisme et ses transmissions parlées. Toutes les mélodies évoquent l’existence d'une petite ville sans route, au milieu du désert, toutes renvoient à un quotidien qui, à cette époque, était également devenu le mien. Un frisson silencieux nous traversa.
Gurkel, Njarka, flûte peul ou luth n'goni, Ali s'initie à toute forme de sonorités. Malgré l'incompréhension de ses proches pour ce "futile" engouement artistique, il se forme à la guitare avec son maître, Mamby Touré. J'apprends que sa révélation musicale eut lieu en 1956. Alors chauffeur de taxi en Guinée, il assiste à une performance de Fodeba Keita qui chamboulera sa vie d'artiste. Il oriente ainsi sa musique vers des sonorités traditionnelles, elles mêmes caressant l'écho d'un blues viscéralement distingué. Mais, c'est en mêlant à ses mélodies la prose d'une poésie engagée, qu'il double son lyrisme affranchit d'un patrimoine culturel sacré – divin moins que spirituel.
En 1960, alors que le Mali se proclame indépendant, Ali Farka Touré commence à faire de la musique sa profession. Il dirige son groupe, la TROUPE 117, avec laquelle il travaille sur une pinasse-ambulance. Ensemble, ils tournent à travers les festivals et les concours du pays. Ils remportent d'ailleurs avec succès celui de Mopti. Dix ans plus tard, le bluesman du désert entre dans l’orchestre de Radio Mali tout en travaillant comme ingénieur du son pour cette même radio. Il chante en peul et en tamasheq; sa guitare vibre comme aucune autre, la première racine de cet art en éclosion. En 1973, l’orchestre est - bien entendu - dissous par le gouvernement.
A cette période, Ali écoute le Blues de l'autre continent. John Lee Hooker lui fait penser – dans ses chants – au peuple du désert qu'il connait tant. Il se recontreront en 1991. Duo symbolique, traçant au compas le chemin de la musique noire. Ali dira : "Moi, j'ai la racine et le tronc, il a les feuilles et les branches..."
Farka, premier disque solo, sort en 1976. Le temps passe... et il revint à la Source, le temps d'une chansons avec Taj Mahal. Ouvert sur le monde, lui, dans son village du bout du monde, il enregistre Talking Timbuktu aux côtés de Ry Cooder, une bien belle rencontre. L'agriculteur, devenu maire de Niafunké, ne parvient pas complètement à faire taire le musicien qui a toujours envie de chanter. En 2003, il se produit au Festival au désert, au nord de Tombouctou.
L’année suivante, en trois séances de deux heures, In The Heart Of The Moon est enregistré dans un hôtel de Bamako. La musique en tête à tête, profonde comme lorsqu'il salut en frôlant le front, Ali s'emploie à honorer ses invités. Son ami Toumani Diabaté palabre avec lui – guitares, kora, voix –, ça fait de l'effet. Les sons du Sahel, parsemées d'un blues contemplatif s'encordent d'arpèges afros désenchantés.
Plus le temps passe, plus le guitariste Djerma recentre ses inspirations dans le quotidien du bord du fleuve. C'est ainsi qu'il partit se perdre dans la Savane, Lors d'un émouvant album posthume faisant foi de son investissement matériel et spirituel pour sa belle région.
" Comme je descendais des Fleuves impassibles, je ne me sentis plus guidé par les haleurs..."
Tombouctou – 4 février 2006.
Loïs. O. |
Au crépuscule, les portes du fleuve Niger s'ouvraient sur des mains de géants. Mes yeux, grands écarquillés, commençaient à mesurer la cadence d'une troublante sérénité. Au sommet de la grande boucle du fleuve, la ville énigmatique se dévoilait. Soumises aux caprices du ciel, comme René Caillé, il fallait la gagner pour l'apprécier. Toubabou, Timbucku !, me dit le piroguier.
[...]
Un mois après, je n'avais toujours pas bougé. Les routes s'arrêtaient là, je décidais de rester dans la mystérieuse cité. Ce fut le 7 mars de la même année, alors que j'allais acheter trois dosettes de plouf à l'épicerie voisine, que le vendeur des rues m'appris le décès d'Ali Farka Touré. Il avait 67 ans. Tu sais, il souffrait d’un cancer depuis plusieurs années. A la fin, il était complètement paralysé. Je vis toute la tristesse du marchand. Dans sa petite cahute en bois, sur son vieux poste démembré, se dispersait, en poussières chantantes, les cendres du griot musicien que tout le monde ici appréciait. Il habitait juste en dessous, sur les berges du fleuve, à Niafunké. Je ne répondit rien. Je ne pouvais lui faire comprendre que, lors de ma venue, je l'avais, l'espace d'une fraction de seconde, rencontré. Je n'aurais pas eu envie d'en voir plus de lui. J'avais entendu. Ça me permettait d'imaginer.
L'immensité du fleuve rouge me remplissait. Ce que mon compagnon m'avait donné à entendre, à deux portées de sa maisonnée, me suffisait pour raviver la complainte d'Ali Farka Touré, l'écho de notre entretien métaphysique était définitivement gravé.
Discographie
1976 : Farka
1976 : Spécial « Biennale du Mali »
1978 : Biennale
1979 : Ali Touré Farka
1980 : Ali Touré dit Farka
1984 : Ali Farka Touré (Red)
1988 : Ali Farka Touré (Green)
1989 : Ali Farka Touré
1990 : African Blues (Shanachie 65002)
1990 : The River - World Circuit
1993 : The Source - World Circuit avec Taj Mahal
1994 : Talking Timbuktu - World Circuit
1996 : Radio Mali - World Circuit
1999 : Niafunké - World Circuit
2002 : Mississippi to Mali avec Corey Harris
2004 : Red&Green - World Circuit (remasterisé)
2005 : In the Heart of the Moon - World Circuit avec Toumani Diabaté et Ry Cooder
2006 : Savane - World Circuit
Février 2010 : Ali and Toumani - World Circuit/Nonesuch Records avec Toumani Diabaté
C'est la photo que j'ai eu à mon mur pendant si longtemps !! Ce voyage...
RépondreSupprimerLa musique raisonne toujours?
Baisers.