Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

mercredi 9 novembre 2011

Jazz in Jackson Pollock.

Jackson Pollock, Autumn Rhythm (n°30), 1950. Oil on Canvas, 266.7 x 525.8 cm.
Metropolitan Museum of Art, NYC.
" L'art moderne , pour moi, n'est rien de plus que l'expression des aspirations de l'époque dans laquelle nous vivons. Les Classiques ont pu dépeindre leur époque. Toutes les cultures ont eu des moyens et des techniques pour exprimer leurs aspirations immédiates. Ce qui m’intéresse c'est qu'aujourd'hui, les artistes n'ont pas besoin d'aller vers un sujet extérieur à eux-mêmes. Leur source est différente. Ils créent de l'intérieur.
Il me semble que l'artiste moderne ne peut exprimer son époque, l'avion, la bombe atomique, la radio... sous les anciennes formes de la Renaissance ou de toute autre culture du passé."
Jackson Pollock.

AMOUREUX DU SWING

Le swing est un maillage de temps faibles et de temps forts ; une texture "stretch", sur une balançoire, une continuité syncopée - répétée à l’infini -, c'est une substance dynamique, pulsionnelle et métrique. Régulier dans ses battements, le swing désobéit pourtant la cadence et transgresse le métronome. C'est une sereine turbulence.

Quand on observe, avec attention, l'oeuvre de Pollock – depuis ses débuts jusque dans ses peintures finales – on contemple une rythmique bien précise. La fureur sans le désordre. Dans ses formes réside le swing sauvage de la batterie de Krupa, les orchestres fous du Count et du Duke. Dans l'impulsion du geste peintre on retrouve l'explosif Sing, Sing et la touche à la Benny Goodman ; une pointe de Billie et de Lester, suspendus au silence de la ville, le style à la Jelly Roll, un souffle parsemé de Coleman Hawkins et de Ben Webster.

Lee Krasner, peintre et épouse de Pollock, expliquait à propos de Jackson : "Il se mettait en condition en écoutant ses disques de jazz, pas seulement pendant la journée, mais jour et nuit, nuit et jour pendant trois jours non-stop, jusqu'à ce que vous vouliez vous réfugier sur le toit ! La maison tanguait avec. Il pensait que le jazz était la seule autre chose créative qui soit arrivée dans ce pays".

Paradoxalement, lui qui dans ses représentations rejetait toutes formes de conservatisme, admirait sans limite les sonorités d'une époque révolue. Pollock est passé à côté du be-bop, dont il était pourtant le contemporain. Il disparut au tournant du jazz progressif qu'il inspira dans ses fondements mêmes. Viscéralement attaché à un "jazz primitif", de ceux qui poétisent la mélodie, ses créations ne relèvent pourtant ni du swing ni de l'ancien, l'esprit de Jackson bat la mesure, free & straight, le vif désir de l'inouï.


INSPIRATEUR DU FREE – CHEF D'ORCHESTRE DU CHAOS.
" Je ne me sert pas de l'accident comme d'une excuse. Il n'y a pas de hasard dans ma peinture."

Quel autre peintre a de cette manière été associé aux formes du jazz moderne ? De Kooning ? Mondrian ? Klee ? Basquiat ?

1960, quatre ans après sa mort, Ornette Coleman sort l'improvisation collective du Free Jazz (Atlantic). Une révolution sonore portant, en couverture du disque, la reproduction du tableau White Light de Pollock. Cette icône picturale restera comme un symbole. De sa spontanéité exacerbée, de l'affranchissement de ses formes, de ses techniques d'exécutions révolutionnaires se modèlera, tout autour, une musique noisy, aussi construite que déstructurée.

" Chaque morceau est totalement différent des autres, mais dans un certain sens il n'y a ni début ni fin pour ces compositions. Il y a une continuité d'expression, des fils de pensée évoluant continuellement, qui lient toutes mes compositions ensemble. Peut être est ce quelque chose comme la peinture de Pollock ".
Ornette Coleman, liner notes from Change of the Century, Atlantic.


Jackson Pollock, White Light, 1954. 


Comme dans la peinture de Jackson, on se sait pas véritablement dans quelle direction la musique d'Ornette Coleman va s'écouler. Cette fresque collective annonce belle et bien une nouvelle ère, faisant reculer les limites théoriques de l'apprentissage musical. Basée sur une improvisation totale, le double quartet du saxophoniste s'inspire des techniques des arts plastiques – notamment de celle du dripping – pour superposer les couleurs sonores d'un même spectre musical. La cohérence de l'ensemble répond avant tout de l'écoute et de la réactivité dans l'Instant. Aucun trait de pinceau ne peut s'effacer. Aucune note se corriger. Moment de grâce basé sur l'utilisation de techniques renversées, les formes du free sont, elles aussi, empruntes de contradictions humaines.

Pour improviser sans thème – et que cela tienne –, il faut accumuler une formidable mémoire d'accords inconscients, un abîme qui attend de s'étaler en surface. Ce sont les mêmes puissances des commencements qui doivent saisir le peintre et le musicien. Abîme de la fascination, griserie de la note juste, du cercle brisé, les déambulations du jazz épousent l'éclaboussure du vide, du cosmos et de son silence, s'offrant à l'abandon. La somme des accidents définit la théorie de l'oeuvre.

Plus recemment, Ken Vandermark enregistre en 2002 l'album Furniture Music (OkkaDisk) contenant le titre Immediate Action (for Jackson Pollock). A travers ce morceau, le saxophoniste s'inspire de l'expressionniste abstrait pour chercher de nouvelles formules de composition, essayant de retranscrire le mouvement gestuel du peintre, sa fragilité en suspend.

" La toile à peindre peut s'identifier à une scène de jeu non figurée, une arêne dans laquelle agir, plutôt qu'un espace dans lequel reproduire" (H. Rosenberg, The American Action Painters, 1952).

Rappelant de lointaines pratiques artistiques d'Asie, la toile, disposée au sol, remet en question l'équilibre traditionnel de la surface et de la tenue. Le mouvement du corps tout entier est sollicité dans l'écoulement de la peinture, libre, qui se répand, sans pinceau, sans partition. L'artiste, les deux pieds dans la toile, dirige, saisis par l'Instant. Les entrelacs de lignes et de couleurs, se déplacent aux quatre coins de la surface blanche. De cette polyphonie abstraite naît une musique dans laquelle s'affirme la primauté du geste, l'inscription du mouvement et son écho. Les lignes mélodiques s'entrelacent. Traits d'esprits instantanés, elles répondent pourtant à une logique de mémoire, une harmonie sensorielle. Le peintre, comme le musicien, doit maîtriser la ligne, le rythme, et l'espace – la littérature beat dans un coin, au chevet, pas loin.

C'est comme si Pollock avait indiqué un chemin imaginaire à suivre, un rapport intime entre l'artiste et le support : une sorte d'intensité qui ne vous permet en rien de savoir si ça va plaire, quand ça va finir ; éveiller ou faire hurler. Comme une croyance au premier rendez-vous, brisant le cercle, cassant le cycle, les perceptions visuelles et sonores sont, à l'aube des 60's, prêtent à vivre leurs propres expériences.








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