Le rendez-vous des initiés du vendredi.
148 West, 133rd Street,
Entre Lenox Avenue et Adam Clayton Powell Jr. Boulevard.
HARLEM.
J'ai entendu parler de Bill Saxton dans le quartier. C'est une femme âgée nommée Ethel (elle habite à trois blocks du lieu-dit) qui, sans me faire un éloge interminable du lieu, me dit tout simplement : "Tu dois absolument voir ça, une fois au moins. Ça ne ressemble à rien d'autre à New-York..." Ayant éguisé ma curiosité, je décide, immédiatement rentré, de faire quelques recherches. Sur le site web, rien n'est dévoilé si ce n'est l'adresse et le jour des sessions : "Friday only". Même les horaires sont éronnés (je m'en rendrais compte peu de temps après).
Vendredi donc, je me rends quelques blocks au-dessus de mon domicile, emprunte la sombre 133ème rue, le regard dénudé d'aguets. Me suis-je trompé d'adresse, le lieu existe t'il encore (tout commence et finit si vite ici) ?
J'apprendrais de la bouche du maître de maison, quelques minutes plus tard, que j'entrais dans un pâté de maison à l'histoire singulière. On l'appelait SWING STREET. Dans les années 20, à l'époque de la prohibition, l'alcool y était fort, l'herbe fraiche, et les jams sessions enflammées. Tout ce passait tard, la nuit. Les hommes de couleurs touchaient un sentiment de liberté en s'adonnant à leurs palabres musicales. Si la police venait y faire un tour, c'était pour s'envoyer dans le golliwog un gin plus wine, comme tout le monde. Swing street était le seul espace libre pour tous dans New-York à cette époque. Rien à voir avec les célèbres Cotton Club ou Connie's Inn, un peu plus haut... Bref.
There it is ! Un petit porche en sous-sol, en-dessous d'une église baptiste. Comme un petit hôtel de passe. La devanture est toute simple, toute rouge, de belles lettres d'imprimerie indiquent BILL'S PLACE. Je descends les trois petites marches et sonne timidement sur l'interphone raturé. Une flèche noire, écrite à la main, indique BILL (suis-je dans un remake de Tarantino ?).
Plus de doutes, c'est là. Un homme à la stature imposante vient ouvrir. Un beau gilet bicolore, des chaussures bien cirées, une élégance naturelle, sans superflus. C'est monsieur Saxton qui vient se présenter à moi. Avant d'être le Bill's Place, son petit lieu était le Tillie Fripp's Restaurant ; connu dans tout Harlem pour ses waffles & ham (gauffres au jambon) et son poulet grillé. En 1927, l'homme, originaire de Philladephie, avait fait le pari fou de créer un lieu de vie, convivial, ouvert à tous. Il commença l'aventure avec 1.98$ en poche. Puis, face à la renommée grandissante du quartier, l'endroit devint, trois ans plus tard, le Covan's Club où Billie Holiday - entre autre - fit ses débuts. Art Taylor également. A cette époque on ne demandait pas aux musiciens : "qu'est ce que tu connais ?" mais "Qui tu connais ?" ; comme un mot de passe.
Après des années d'abandons, ce fut enfin au tour de Bill de perpétuer l'âme de la rue du swing. Depuis plus de trente ans maintenant, Bill prolonge l'histoire du jazz, fait swinger la chaussée d'une rue qui a bien changé. Inspiré par la culture afro-américaine et particulièrement celle de Harlem, il décide de rentrer d'Afrique de l'Ouest pour répondre à l'appel de Francis Ford Coppola qui le voulait comme soliste dans son film Cotton Club.
En attendant que les quelques invités surprises arrivent, il me fit patienter dans le hall, improvisé lui de même. Une série de chaises longent les murs remplis de photos, d'articles, de peintures qu'on lui a offertes et signées de petits mots affectueux... pas un seul espace de libre. Sur les vieux sièges en paille tressée, des personnes âgées attendent patiemment. Ce sont des habitués. Des amis d'amis s'étant refilés le tuyau. Ce n'est assurément pas leur première fois. Ils ont chacun acheté leur petite fiole de Jameson ou de Jack's à l'épicerie du coin. Pas un bar, pas de licence, rien de trop chez monsieur Saxton. Chacun de ses convives est généreusement salué. Le sourire bien franc, la poigne bien sincère. Il dit simplement à chacun "Welcome home". Ce n'est pas son domicile mais c'est tout comme. Quand il convie finalement sa flopée de spectateurs à pénétrer dans la salle de concert, j'ai la soudaine impression d'entrer dans son salon. Comme s'il fallait se déchausser de peur d’abîmer le parquet ciré. J'entre sur la pointe des pieds et observe chaque détail du lieu. La salle, je dirais dans les 35m². Ni un caveau. Ni un club. A place.
Une grande photo de Billie, tenant entre ses mains le masque de ses racines musicale. Je dis alors à mon hôte : " c'est ma mère spirituelle". Il me répond, du tac o tac : "Et bien nous sommes frères".
Ayant préalablement posé à Bill quelques questions qui me brulaient la langue, le géant m'attrape par l'épaule, de sa grande paluche, et commence à me parler, sans ce soucier du déroulement de Son show. D'une prévenance hors du commun, il me fait asseoir à "la meilleure place pour l'acoustique" et me dit que nous aurons tout le temps pour palabrer après le concert. J'acquiesce sans broncher, ravi d'être là, alors que la musique ne s'est pas encore montrée.
Le salon est plein. Le vieux sax rouillé peut enfin prendre la parole.
Premier morceau annoncé : BLUES FOR OBAMA.
1-2. 1, 2, 3, 4. Du pûr Be-Bop.
La proximité est incroyable. Tous les musiciens sont sur une même ligne. On ne laisse pas le temps au son de se dissiper dans l'atmophère. On le prend en pleine figure. Il arrive fracassant, sans entraves, se pose sur nos tympans vierges qui en redemandent. On peut sentir les cordes de la contrebasses s'ébrouer dans l'abdomen, l'odeur salivaire du cuivre oxydé embaumer la pièce, le cristallin du piano répandre sa bruine sur nos visages contemplatifs. Puis, il entame Estate - composé par Bruno(s) Martino et Brighetti. Les papis, jusqu'alors peu locaces, laissent sortir de leurs bouches des raillements, des onomatopée convulsives. Les yeux mi-clos, ils laissent leurs corps fatigués se dandiner au son de cette musique de jouvence. La pièce prend soudainement la couleur bleue du jazz. Chacun semble aller mieux, s'oublie soi-même et nourrit son esprit de vide.
Bill SAXton un nom comme il ne s'invente pas. Sa musique est comme son physique, imposante, ronde et chaleureuse. Il porte le même Pork pie hat que Lester mais le grain de sa voix est plus proche de cet aigle de Coleman.
Auteur de plus de 80 compositions, faisant école dans l'apprentissage actuel du jazz, monsieur Bill ne parle pas du passé. J'eu écho de ses échanges musicaux enflammés avec Duke Ellington et Count Basie, Roy Haynes, Jackie McLean ou Clark Terry ; ou encore ses accompagnements des voix de Nancy Wilson, Carmen McRae, Roy Ayers ou Fats Wallers... il y en a tant. La voix de son saxophone parle pour lui. La complicité nouée avec ses accompagnateurs d'un soir en dit - également - long sur l'impact qu'il peut avoir aujourd'hui ; toujours dans l'immense quartier. Les musiciens talentueux le regarde comme un prophète. Comment se fait-il qu'il soit à ce point tombé dans l'oubli ?
BODY & SOUL vient clore le 1er set. Doucement, je ferme les yeux pour voir. Les perceptions de l'en-dedans sont comme la Vision enchantées de Stevie Wonder : ce sont des couleurs aveuglantes. Le quartet est rodé. L'amusement est complice. Les techniques de chacun n'éclatent qu'à l'attention des autres. Nous, spectateurs, sommes acteurs d'un évènement unique qui éclos - au soleil du regard - sans jamais flétrir.
Entre les deux sets, nous prenons un peu de temps pour papoter. C'est toujours mieux de parler après avoir écouter. Il finit en me disant de ne donner l'adresse qu'aux personnes de confiance. C'est chose faite.
Une expérience innoubliable. Vivement Vendredi !
Pourquoi JASS ?
Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
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