Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

jeudi 31 mars 2011

ADAM ROGERS Quartet dans l'antre du VILLAGE VANGUARD.

15 marches noires, descendant à pic, s'éparent le bitume de Greenwich Village du sous-sol d'un des plus beaux clubs de New-York. Depuis 75 ans, le Vil-lage Van-guard swing en 4/4 et ne peut s'arrêter dans son élan.... Sa curieuse salle en entonnoir, renfermant, dans sa plus petite extremité, l'estrade moltonnée de rouge, n'a pas changé d'un soupçon. Les mêmes petits guéridons éparpillés comme de gros nénuphards blancs sur le parquet usé. Quand le grand rideau rouge, éclairé de chansons, a-t'il vu pour la derrière fois le soleil ? Pas bien haut, sur nos têtes, de rails de canalisations tissent des chemins de traverses futuristes.

Trônant comme un prince, le Steinway & Son frétille encore chaque soir aux doigts agiles des pianistes les plus talentueux du globe. Les années défilent mais l'acoustique de cette salle demeure intacte. Une délectable réverbération n'existant dans nul autre club. Bill Evans y enregistra une oeuvre fondamentale dans l'histoire du trio jazz ; Michel Pettrucciani plusieurs concerts mémorables ; Monk, Mc Coy Tyner ou Chucho Valdes s'y sentaient chez eux ; Martial Solal "n'a rien pû nous donner d'autre que de l'amour" à chacune de ses préstations (il reviendra en duo du 12 au 17 avril prochain) ; plus récemment, Brad Mehldau, Jason Moran, Aaron Golberg, Bill Charlap, Fred Hersch, Edward Simon ou encore Sam Yahel... tous ont succombé aux charmes désuets de ce caveau odeur de fût d'où plane encore le spectre stellaire de "Trane", son éternel résident.

Pas d'esbroufe au Village. Ce lieu est dédié à la musique, celle qui a une âme. Ce qui est "jazz" pour les uns ne l'est pas forcément pour d'autres. Tout cela n'est pas vraiment important. Les meilleures confitures sont celles sans étiquettes, qui le doigt charpardeur sucotté nous font dire "c'est bon", tout simplement. Ancienne et nouvelle générations se côtoient, s'alternent, se passent le flambeau d'une recette toujours aussi magique.


Du 29 mars au 3 avril, l'antre du Vauguard acceuille le guitariste Adam Rogers et son quartet. Je décidais de me rendre à l'un de ces six concerts (douze, si l'on comptabilise les deux sets par soirs) et de découvrir l'actualité de ce jeune guitariste aux univers ultra ecléctiques. Natif de New-York, ce talentueux "requin" a déjà accompagné un nombre incalculable de grands noms de la musique tels que Steely Dan, Paul Simon, les Brecker brothers, Norah Jones, John Zorn, Brian Blade, Kenny Barron...

 Il sortit son premier album TIME AND THE INFINITE en février 2007 et enchaîna sur un second album, SIGHT, en trio avec John Patitucci et Clarence Penn, qui sortit en mai 2009.
Pour cette série de concerts, en quartet, il fit appel à Aaron Parks au piano, Scott Colley à la contrebasse et Antonio Sanchez à la batterie.
Le concert débute sur Phrygia, morceau aérien à la douce réverbération éthérée. On y entend une belle distorsion contrôlée, un son pûr, extrêmement travaillé. Le touchet d'Adam, sur sa Gibson quart de caisse, rappelle immédiatement le jeu de son maître John Scofield, mais également celui de Bill Frisell ou de Howard Collins, dans l'exécution et la forme des compositions empruntées. Atmosphérique mais absolument pas soporifique, il nous emmène en voyage, sur des terres inconnues. Conteur de ses aventures, son discours est intense, plein de vocabulaire.

La rythmique n'en est pas moins impeccable - ce qui peut pêcher certaines fois dans ce type de compositions. Sans fioriture, le talentueux drummer mexicain Antonio Sanchez tient le tempo sans jamais se répéter. Son swing tonique réhausse le niveau du discours, lui donne une consistance. C'est le plus terrestre de la formation. Ses deux enregistrements aux côtés de Pat Metheny lui apportent l'assurance necessaire pour accompagner le phrasé complexe de Rogers. Son premier disque solo, Migration est dans cette veine colorée de sonoritées inhabituelles.

Le tout jeune Aaron Parks met du temps avant de décoller. Son jeu, tout en retenu, est malheureusement couvert par les trois autres instrumentistes aux voix plus consistantes. Fragile et visionnaire, il réussit néanmoins de surprenants enchaînements qui renvoient à une étude poussée du classique. Désormais bien installé sur son fauteuil en cuir, il peut dérouler sa prose, écailler ses touches ivoires, poncer l'ébène des plus noires et sculpter une mélodie fluide et charnelle, comme dans son premier disque réussit : Invisible Cinema.

Le plus expérimenté du groupe, Scott Colley, architecte des silences, déroule une dynamique ronde et tourbillonante. Le morceau Elevation est l'exemple frappant de sa technicité toute en nuances. Sans jamais forcer, il campe le décor, entraine son public dans sa ronde à trois temps ; une valse gracile sur laquelle Adam nous prend par la main et nous invite à faire tournoyer nos sens.

L'être humain est loin... loin. Dans ce grand musée, je déambule solitaire d'une toile à l'autre. Je rentre dans ces paysages sonores. C'est tout rouge, tout bleu. L'ouïe aux aguets s'en remet à ces immenses toundras pellées, ces déserts cuisants, dans lequels nous pouvons déambuler longtemps sans jamais nous lasser. Le vide est remplit de mystères.

La musique qui est livrée n'est pas axée sur un mode improvisatoire. On ressent un grand travail, dans les harmonies surtout. En effet, l'ensemble des cordes – frappées, pincées, effleurées, martellées – à l'unisson, installe un jeu de tessitures tout à fait envoûtant.

Les grandes encablures d'Un Tramway Nommé Désir filent au-dessus de nos têtes et conduisent à la seule reprise du concert, le célèbre I love you porgy de Gerswing, menée sur un tempo Larghissimo , quasiment au ralentit. Le sonars des baleines est chanté par une guitare surnaturelle harponnée de secrets.

 C'est, sans conteste, le morceau Snow, une longue complainte de plus de vingt minutes, qui emporta toute les ferveurs du Vanguard. Inspiré par la prose mélancolique et éclatante de l'écrivain turc Orhan Pamuk, Aaron Parks, visiblement très séduit par la composition d'Adam, nous fait visiter son jardin musical. Il surchantonne sa mélodie profonde, reprise, sur un long fondu enchainé de haut vol, par la guitare locace et buccolique de son compositeur. Le chant sacré devient fugue, gigue, puis redevient poussière. Le sentiment d'un tournoiement de plume dans le vent qui, au cours de sa longue danse, se laisse prendre dans les griffes d'une Pierre de Ronsard.





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