Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

lundi 28 mars 2011

HARLEM STORY – part. 4. THE LAST POETS, When the revolution comes.

Du blues urbain au Hip-Hop 'ricain... Les panthères noires au pouvoir !


Harlem est un quartier d'adoption, en perpétuel renouvellement. Première, deuxième, dixième générations... Black, Spanish, White, Asian poeple forment aujourd'hui l'identité d'un patchwork communautaire aux histoires incroyables. Certains ne le savent pas, pourtant la nuit, à cet instant magique où, paupières fermées, ils contemplent les états d'âmes de leur journée, ils peuvent entendre murmurer la couleur vive de leurs racines.
Si l'Homme noir est représentatif ou symbolique de quelque chose dans le caractère de la culture américaine, c'est assurément dans la révélation de la musique qui lui est propre. Je veux dire en cela que si nous soumettons à un examen anthropologique, aussi bien que musicologique, il ressort que l'évolution de ce peuple en Amérique est intrinsèquement lié à son rapport avec la musique plus que toute autre forme d'art et de mode d'expression. En m'appuyant sur l'analyse poussée de LeRoi Jones dans Le peuple du Blues (Folio, 1963), je peux affirmer que "la seule base de référence spécifique du profond changement qui s'est produit chez le Noir en passant de l'esclavage à la citoyenneté, c'est la musique".

Refaire l'histoire du cheminement du peuple noir, sa venue d'Afrique, sa condition sociétale, son émancipation, l'appropriation au fil du temps la langue anglaise et ses codes, n'est ici pas l'object de mes propos. Il faut pourtant garder à l'esprit que la musique est un des seuls faits permettant d'observer l'évolution de ce peuple, sa longue acceptation en temps que membre à part entière de la communauté américaine, son émancipation et sa lutte. La musique est un fait politique, une identité contestataire vêtue de plusieurs tuniques sonores ; tantôt révolutionnaires, tantôt identitaires, parfois les deux ensembles. Pour créer une musique nouvelle, un Blues, il fallait tout cela. Il fallait aussi savoir oublier. Car c'est la nuit qu'il est beau de croire en la Lumière et c'est dans le silence qu'il est doux de penser aux sons.

 Le blues, je disais, renvoie à ceux que l'on aime. Cet état d'âme, pétrit de mélancolie, se manifeste parfois sans raisons apparentes. C'est un cri intérieur : B.L.U.E.S. A ce motif est appliqué toute la profondeur imaginative d'un peuple qui dilue sa tristesse dans son chant. Et Son House chante avant d'ouvrir la bouche. Tout son être EST blues, cette musique si simplement impossible à jouer.
C'est pourtant l'espace urbain qui catalysa les espérances de l'Homme noir, dominé certes, mais adoptant l'espoir d’accéder à la citoyenneté. L’ardent désir de lui-aussi construire ce pays, de le modeler avec ses couleurs et d'en faire sa propre terre promise est un processus de longue haleine. L'eldorado du peuple noir s'appelait Chicago, Philadelphie, Harlem... Ce n'était pourtant pas grand chose.

Le jeu des musiciens new-yorkais de l'époque était différent de leurs confrères de St Louis, du Texas ou de la Nouvelle Orléans. Leur blues était devenu urbain. Il prenait des allures, un style. Il prenait aussi une tonalité et des thématiques nouvelles. Oui, la nature des textes changeait. Les paroles avaient pour but de toucher toute l'Amérique. Les contemporains de Fats Wallers et de Duke Ellington étaient de nouveaux citadins remplis de contes. Mais, complexés par leurs fautes de langages – déjà swinguant –, et par leur couleur de peau, qui toujours les ramèneraient à leur condition servile, ils se laissaient piller par les autochtones en manque d'inspiration. Ces derniers s’esclaffaient d'effleurer de nouvelles sonorités plus festives. Naturellement, au gré de leurs vie d'exil, ils avaient édulcoré leurs langages en une sauce ma foie très goûtue. Le développement pidgins était à la genèse d'un bouleversement culturel marquant. Le syncrétisme de cultures opposées est à l'origine d'une façon de penser et de s'exprimer tout à fait nouvelle.

Quand les modernistes, les beboppers, arrivèrent, ils rendirent au jazz le caractère contestataire et ethnique des origines du blues en l'arrachant au courant majoritaire du swing apprécié par les masses. Les sonorités, volontairement âpres et rugueuses, horrifièrent l'Amérique des années 50, au même titre que les beatniks avec l'écriture.

Le but était de reprendre le lien avec la tradition et ne plus cacher les différences. Fiers de ne pas plaire, ou plutôt insensible à toute critique externe, voila le moteur de cette génération contestataire. Il ne s'agissait plus d'être Cool, il fallait devenir Hard, Funky, injecter plus de rythme dans le blues. L'orchestre de Count Basie œuvra grandement à l'avènement d'un nouveau courant qui se déclina de maintes façons. Lester Young montra que le saxophone pouvait être indépendant et innovant. Les critiques, qui auparavant s'emballaient pour un style nouveau, attaquaient désormais en bloc tout ce qui pouvait naître de la culture afro. Pendant ce temps là, la black explotation s'élevait socialement, sans rien demander à personne. Par la création et l'innovation permanente de leur discours, ils ne tenaient plus compte de leurs détracteurs et écrivaient ainsi leur propre destiné. On pourra parler de free, de jazz fusion, de mambo, de rock n'roll et de tous les embranchements possibles qui, sans exceptions, convergent en un seul épiderme. Chacun avait désormais le droit de faire ce qu'il voulait. Si au moins une seule personne adhérait, c'était gagné.

En ce recentrant sur leurs racines blues, les boppers ont en fait servit la cause de l'évolution de toutes les musiques du XXe siècle. Le fait d'être décalé devenait un moteur qui rehaussait intellectuellement et psychologiquement l'isolement d'un peuple tout entier. Nous pouvons parler d'une révolte identitaire symbolisé par et pour l'art.
Je m’octroie le droit de faire des raccourcis. Nous pourrions écrire 25 volumes de cette richissime histoire qu'est la musique black (ça a d'ailleurs déjà été fait de façons remarquables). Mon seul but ici est de mettre en lumière l'évolution d'un courant culturel sous sa forme contemporaine.

Le Hip Hop est-il un dérivé du jazz ? Je répondrais oui. Mais pas de n'importe quel jazz. Certes, il se rapproche dans sa sève créatrice du Be Bop. Pour son sens de l'improvisation et sa puissance brute, anti-conventionnelle. Pourtant, le rap est dans la majeure partie des cas "l'expression du pauvre". Je m'explique, afin d'éviter tout contresens malheureux. Contrairement au jazz, qui dans sa dextérité nécessite une initiation poussée, le hip hop est le fruit d'une culture autodidacte et surtout de non-instrumentistes. Comme pour le blues des origines, il s'agit avant tout de débrouille artistique. On prend ce que l'on a sous la main, on se l'approprie et on recycle, au goût du jour. C'est l'Afrique dans un happy-meal.

Par ailleurs, les liens avec la soul music, la funk, le dub et toutes les musiques noires contestataires sont également avérés. Car il faut bien comprendre que ce mode d'expression est avant inséparable des modes de vies urbains, de l'histoire de chacune des villes et des codes de quartiers. Chaque lieu a vu naître un type de musique lié aux besoins d'une communauté – le plus souvent minoritaire – tentant de proposer des alternatives aux sentiments d'exclusions et de frustrations qui dominait. Le Hip Hop est ainsi à la fois en continuité et en rupture avec la musique noire américaine.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Que signifie le mot liberté pour la communauté noire américaine ?
De toute évidence, Harlem et son symbolisme vivent toujours. En témoigne la dernière campagne présidentielle où Barack Obama y est passé pour y prononcer un discours poignant, à l'Apollo, quelques mois seulement avant son élection à la nouvelle... Black House.



Le National Black Theater de Harlem rendait hommage à Abiodun Oyewole : créateur du Hip-Hop ?

En préambule, j'en profite pour rappeler que le Hip-hop est un mouvement culturel comprenant plusieurs composantes : rap, graffiti, break dance, musique ; auxquelles on peut joindre les dérivés que sont le human beatbox, le street language, ou encore la mode vestimentaire. To be Hip signifie "être à la mode, dans le vent" (Miles utilisait sans cesse cette expression) ; To Hop veut dire "sauter". Le rap (to rap) étant la façon d'accompagner la musique en rythme (le flow) en usant des métaphores, des allitérations et de l'argot (slang).
A noter : le premier DJ Hip Hop fut sans doute Kool DJ Herc, né à Kingston en Jamaïque et débarqué dans le Bronx en 1967.

Voir les Last Poets était pour moi inconcevable. Je n'osais même pas y penser. Ils appartenaient dans mon esprit à un pan de l'histoire de la musique révolu, une graine culturelle ayant germé pour se transformer en un arbre gigantesque, composé de ses mauvaises herbes (soit) mais aussi de ses plus belles fleurs. Je les écoute depuis si longtemps. Leurs textes, au même titre que ceux de Gil Scott Heron ou de Gary Byrd, m'ont tellement inspirés, moi, naissant dans la culture des antipodes. La journée d'hier m'a non seulement prouvée qu'ils étaient toujours bien debout, mais qu'ils poussaient de surcroît, encore et toujours, une nouvelle génération contestataire, complètement contemporaine, extrêmement loquace et bourrée de talents.

Pour ceux qui ne le savent pas, les LAST POETS est un groupe formé dans les rues de Harlem, en 1968 – le jour de l'anniversaire de Malcom X. Ce collectif minimaliste est une étonnante fusion de percussions et de chants africains, mêlés, pour la première fois, à une nouvelle façon de chanter, de parler plutôt ; de rapper. Leurs textes sont évidemment très chargés politiquement. Ils évoquent les racines des communautés noires américaines, leurs parcours, leur devenir.
Les noms imprononçables dont ils se sont dotés sont extraits de poèmes révolutionnaires sud-africains, écrits par Keorapetse Kgositsile. Leur style débarque comme un coup de matraque dans la jungle new-yorkaise. La musique qu'ils créaient, au delà de ses somptueuses mélodies – brutes de décoffrages –, ne pourrait jamais être considérée comme une distraction, un fond sonore. Toujours, l'achoppement des voix, les tambourinades du quotidien dans le ghetto, les tumultes d'une minorité au combat. Mais, bien plus encore, leur façon de jouer avec les mots, leur langage réinventé au goût du jour. Cette poésie urbaine, extrêmement contemporaine aujourd'hui encore, vous fout la gniack ! Sur moi, le blanc bec français ça fonctionne, je n'ose imaginer ce que cela doit provoquer chez le noir américain new-yorkais.


Hier soir, le magnifique BLACK THEATER de Harlem consacrait une grande partie de sa journée, et de sa soirée, au chanteur compositeur des Last Poets : Abiodun Oyewole (doit se prononcer Aa-b-o-dun O-yea-whoa-lea), de naissance Charles David. Ce dernier rentrait tout juste d'un long séjour au Sénégal et en Croatie. Il était de retour pour dire au monde que ses Last Poets n'étaient pas perdus, qu'ils étaient encore bien en vie et revenaient en force... car il y avait encore de quoi dire. Influencé, tout au long de son parcours, par le jazz et le gospel joués par ses parents, mais également par les textes poétiques de Langston Hughes, il s'entoure de Jalal Mansur Nuriddin et de Umar Bin Hassan pour cimenter les fondations artistiques de son imaginaire.

Forcé, dès le début des années 70, à quitter le groupe pour séjourner durant quatre années dans une prison sordide de Caroline du Nord, pour avoir (je cite) : "volé et offensé la propriété privée du Ku Klux Klan" (vous imaginez !), le grand sage Abiodun garde en lui l'amertume de cette injustice. Toutefois, C'est un homme d'une douceur et d'une sensibilité incroyable qui se présentait hier. Entouré de sa famille de sang (dont sa vieille maman tant aimée) mais aussi de sa grande famille artistique, le vieil homme, ému plusieurs fois aux larmes, écoutait attentivement les performances de chacun. Comme nous tous, il était spectateur d'une évolution au sein d'un courant qu'il avait amorcé.

Nous savons l'homme affaibli, en proie à des problèmes d'argents. Le Daily News de mardi évoque le danger éminent qu'il perde prochainement son appartement. Mais rien de tout cela ne transparaissait dans son humeur. C'était son jour. Il se délectait de voir une nouvelle génération inspirée, un panel artistique tellement diversifié. Tous répondaient de son art : slameurs, danseurs afro, beat boxeurs, chanteurs, humoristes, tap danceurs, percussionnistes et bien rappeurs... A black event de folie ! (Oui, d'ailleurs je faisais un peu tache au milieu).
Se succédèrent le comique Paul Mooney, la flutiste Bobbi Humphrey (je vous recommande vivement son album Black & Blue, sortit en 1971), le célébrissime rappeur Doug E. Fresh, tout l'African Drums & Dance Community from Harlem, ainsi qu'une dizaine de jeunes poètes aux talents singuliers et, pour clore l'événement, un concert extrêmement émouvant des Last Poets.
Le lien de toutes les prestations tenait dans le bien précieux de la culture noire. Cette arrogance culturelle a indéniablement aidé à préciser l'émergence de l'Homme noir en tant qu'être humain autonome au sein de la communauté américaine. Rêverait-on un jour de devenir noir ? Pourquoi pas.

Cette journée de dimanche traçait l'espoir artistique d'une nouvelle génération, trouvant dans la poésie contemporaine l'enracinement d'une culture ancrée dans un espace géographique en pleine mutation. C'était une force qui avait besoin de retourner à la culture qui l'avait fait naître. Leur muse, HARLEM. Oui, il existe bien une analogie évidente entre la vie du Noir en Amérique et la production de son art. Cette remarque ne concerne évidemment pas que la musique mais les mœurs en général de la société américaine depuis toujours métissée. Avant sa honte. Aujourd'hui sa force. En dehors des charts commerciales d'un rap qui barbe d'avoir perdu son identité, une culture underground prépare la relève d'une musique qui se régénère perpétuellement.

The Last Poets ne sont pas les derniers, mais indubitablement les premiers.



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