Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

lundi 21 mars 2011

JUNIOR MANCE au Café-Loup

Le brunch qui régale les oreilles.

Le dimanche à New York est un jour particulier. Chacun croit en ce qu'il veut, mais tout est partageable. Si certains habitués de la détente verdoyante se donnent rendez-vous dans le beau parc central, régénèrent leurs poumons ensuqués et se reposent de leur semaine effrenée, d'autres courageux se rendent, aux aurores, dans l'une des vieilles églises baptistes de Harlem et se spiritualisent les oreilles devant un des nombreux Gospel proposés (nous y reviendrons).

Depuis trois ans maintenant, Junior Mance se réfugie dans un café cosy de West Village et anime tous ses dimanches en musique, en compagnie des promeneurs égarés, des bruncheurs invétérés, des amateur de jazz, tout simplement. Avec passion et inspiration, il fait revivre les musiques d'un répertoire foisonnant et inusable.

Inlassablement, il s'atèle au travail ingrat des débutants et de ceux qui ne savent faire que cela : le piano-bar. Pourtant membre, depuis 1997, de l'International Jazz Hall of Fame. Pourtant compagnon de Lester Young, Dinah Washington, Gene Hammons, Dizzy, Cannonball Aderley et de bien d'autres encore. Pourtant maître d'un style, d'une élégance musicale...
N'allez pas croire pas que cet exercice est une contrainte pour le vieux junior. Le piano bar c'est son choix de l'instant, sa façon de donner à partager, curieusement, de se renouveller.

Assis au comptoir, j'attends l'arrivée du vétéran. Je trépigne d'impatience à l'idée de le rencontrer ; surtout de l'écouter. Les vibrations du tube sur les pieds du tabouret rajoutent de l'intensité et diffusent en moi une délicate rythmique continue. Possédant tous les premiers enregistrements du pianiste originaire de Chicago, je me questionne sur la nature de son jeu musical actuel. Celui qui a écrit "Comment jouer le blues au piano" était déjà un professionnel adolescent. Il a foulé tellement de scènes. A Chicago déjà il accompagnait Bird, Hawk ou Sonny Stitt. En 1958, alors qu'il est au sommet de sa technicité, il suit durant trois ans le Dizzy's Gillespie Band. Puis, il décide de se réaliser en soliste pour parfaire son art dans un exercice de style hardu et illimité. Entre les gigs, avec son trio, il part enregistrer avec Johnny Griffin, Joe Williams, avec le bassiste Marty Rivera également. C'est son goût pour l'échange, l'initiation musicale, et ses incroyables capacités à décortiquer la musique qui le firent devenir membre de la faculté du Jazz et des Musiques Contemporaines. Depuis 1988, il y enseigne le blues, donne des lessons individuelles et se concentre sur la progression de ses disciples. Il n'en publie pas moins ses propres projets. Continue de tourner dans les plus prestigieuses salles d'Occident. Du 5 au 7 octobre 2000, il se produisit en solo au mythique Lincoln Center... Je repense à tout cela, toujours accoudé au comptoire, scruttant le modeste espace qui lui est réservé. Sans le connaître je comprend tout à fait son goût pour ce lieu, sa simplicité ; un bar de copains en quelques sortes.

La salle est pleine. Je commence à me faire à cette habitude. Ici, plus qu'ailleurs, on savoure la musique à toutes les heures, dans tous les quartiers, tous les milieux sociaux. Comme à son habitude – parait-il – le petit bonhomme au crane lisse et aux lunettes noires arrive en retard de 20 minutes. Son fidèle ami, Hide' Tanaka, élégant contrebassiste japonais, l'attend. Adossé à un guéridon, situé juste au pied de la scenette improvisée, il sirote une Giger Hale sans s'inquiéter. L'ambiance est détendue. Monsieur Mance fait son entrée. Le sourire aux lèvres il règle le siège en velour de son piano, s'installe rapidement, et commence à jouer, sans aucuns préambules. Il se fiche pas mal du grand brouhaha causé par la clientèle du café, encore en train de savourer son copieux brunch hebdomadaire.

Trois notes expriment la fluidité de son jeu. Les sons trouvent un espace d'expression entre les tintements des couverts, les vapeurs du percolateur, le bruit des glaçons et l'enflamement des discussions. Stella by Starlight entame le premier set.
Le jeu à l'archet du malicieux contrebassiste apporte à la musique de J.M une douceur profonde et langoureuse. Derrière les piles de serviettes blanches, fraichement repassées, ils développent en questions-réponses leur complainte. Lover Man.
Personne ne regarde. Comme si un disque était en train de tourner. Mais tout le monde est imprégné par ces mélodies enveloppantes. C'est bien cela la magie du piano-bar. Dans cet exercice de style contrôlé, Junior Mance excelle. C'est un artiste complet et humble. Ses doigts danses, galoppent, dans leurs vifs élans, s'emplissent de silence, cassent la mélodie, puis langoureusement la dépose sur un tapis de plumes colorées.

A la fin de son premier set, il me rejoint. Cheers. Nous parlons de Pepper Addams, de Lester Young, d'Art Tatum et de Bud Powell. En toute simplicité il me convie à sa prochaine représentation. En effet, chaque premier dimanche du mois, il se produit en quintet, dans ce même lieu. L'expérience du duo était pour moi à l'image de sa musique. Je lui fait savoir que c'était certainement le type de formation qui lui convenait le mieux. Il sourit gentiment, me remercie et me fait savoir que j'avais probablement raison.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire