Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

vendredi 18 mars 2011

TRIO DA PAZ au JAZZ STANDARD

Le carnaval nargue la St Patrick en terrain neutre !

En ce jour de St Patrick day, New-York se vêtît de vert et s'abreuve de bières noires pour honorer le saint patron de tous les irlandais d'un jour. Sur la 5e Avenue, plus de deux millions de personnes, chrétiens et paiens, communient en noyant leurs différences dans un flot de bonne humeur communicative.
C'est pourtant d'un tout autre vert que je décide de colorer ma soirée. Ce vert vient du sud. Il est chaud et sucré. Il a le goût d'une papaye bien mûre et l'odeur amazone du continent américain, toujours ensoleillé.



Le JAZZ STANDARD est un grand classique du genre. Pourquoi ? Parceque ce lieu est une enseigne convoitée de Big Apple, couvrant une programation variée, concoctée par un vrai directeur artistique : Seth Abramson. Vous pourrez y retrouver chaque samedi le Mingus Big Band de Maria Schneider et fort régulièrement, le pianiste Fred Hersch qui a ses habitudes ; le piano y est excellent. Parcequ'on y mange aussi, juste avant (ou juste après, selon le set que l'on va voir), une bonne barbaque bien ricaine dans un steak house, un vrai. Parceque l'ambiance y est chaleureuse quand on emprunte l'esclalier de fer du sous-terrain écarlate et que l'on patiente sagement dans son corridor rougeoyant, aux côtés des visages de Miles, de Dynasty Mingus, Griffin Johnny, de Wes & jimmy aussi. Et l'on retrouve, sertis de noir, les petits cadres renfermant photos en blanc et noir de nos artistes, tout juste là, se restaurant à la même table que la notre.

Pour quatre soirs, la célèbre enseigne située sur la 27e rue, dans le quartier affairé du East Village, célèbre, en ce moment même, le soixantième anniversaire du batteur brésilien Duduka Da Fonseca, né le 31 mars 1951 à Rio de Janero.
Ce dernier commença à jouer avec passion de la batterie à l'âge de treize ans. En autodidacte discipliné, il laissa les évènements de sa vie être les professeurs de son quotidien. A quatorze ans, c'est au côté de son frère Miguel – a la basse – que Duduka forma son premier Samba jazz trio, appelé tout simplement "Bossa Trio". Leur rapide célébrité, liée à une expressivité nouvelle et à un talent incontestable, leur permit de se construire un nom et une identité.
Au début des années 70, Duduka de Foncesca co-fondait nouveau Samba Jazz sextet. Mais en silence, il rêvait en fait d'un ailleurs. Alors tout jeune, ce dernier décida, de façon compulsive, de vivre à New-York, afin d'embrasser une scène musicale foisonnante et fouler un nouveau terrain de jeu, composé de toutes les couleures musicales du monde. Toujours très lié à la musique de son pays, le batteur ne pourra se défaire de ses accents du sud, qu'il travailla hardemment à harmoniser avec ceux du nord, et de son intelligent subterfuge réunifier en un tout l'Amérique continentale. Inspiré par Don Jobim ou Luis Bonfa, il en était tout autant des voix de Nat King Cole ou de Ray Charles.

En 1986, après avoir accompagné une multitude de talents, Duduka forma son Brazilian Jazz All Stars, en compagnie de ses deux fidèles amis Romero et Nilson, ainsi que des artistes en vogue tels que Bob Mintzer, Eliane Elias, Randy Brecker, Gilherme Franco. Ce n'est que plus récemment, en 1993 exactement, que le TRIO DA PAZ vit le jour sous cette appelation, en apparence si simple. Plusieurs fois récompensés par divers prix, attestant l'évident talent de ces trois artistes, leur PARTIDO OUT fut une révélation dans le monde du cool-jazz-fusion.

Ce serait un pléonasme que de parler de lyrisme quant on évoque la musique du TRIO DE PAZ. Ce groupe, scellant vingt-cinq années d'amitié musicale, est par essence profondément new-yorkais. On pourrait bien penser le contraire. N'est-ce pourtant pas dans une cave de West Village que tout à commencé ? Trois amis, en exil poétique, transcendaient amoureusement la musique de leur Brésil natal tant et tant aimé. Ils s'appelaient Nilson, Romero y Duduka. Ils arrivaient à New-York à une époque où les plus grands jazzmen ne rêvaient que de partir dans leur pays à l'imaginaire envoutant, et ne trouvaient souvent que pour seule consolation le talent de s'exiler dans la musique de leurs esprits. En effet, au début des années 50, un berceau de musique celeste se déposait sur la plage d'Ipanema, si belle, si pûre. De nouvelles rythmiques voyaient le jour. Une nouvelle façon d'exprimer le swing, la cadence. Mélange de style, les sonorités du Rio blues trouvèrent parfaitement leurs place au sein d'un jazz qui sans cesse s'ouvrait à des chemins sonores encore jamais empruntés. Les Etat-Unis de la fin des années soixante surfent sur une vague cool qui allait pourtant tout renverser. Slowwwwwly ! On connait la suite... Enfin presque. La suite continue. Car, au milieu des années 70, le jazz-samba ne se trouvait sur aucune carte. Quand le jazz décida d'intégrer la bossa - et non plus l'inverse – les possibles devinrent infinis.

Ce soir un trio de paix irradia le sous sol new-yorlais du JAZZ STANDARD d'une chaleur carnavalesque. Duduka colora de sa touche impressionniste chaque espace sonore. La finesse de son jeu en suspend, alternativement péchû et évanescent, son utilisation généreuse des cymbales, comme ricochets sur l'étang musical, met parfaitement en valeur les talents de chaque soliste et campe une athmosphère transcendentale, hallucinatoire. Un billy Higgins à la brésilienne pourrait-on dire.

De la même façon, Romero Lubambo tisse d'une seule maille une dentelle plus fine que celle confectionnée dans les ateliers de Calais. Les lignes mélodies enfilent leurs guêpières et chaloupent de leurs cadences latines sur le fil des notes qui s'égrainent. Son sens de l'harmonie est portée par sa redoutable technique, jamais démonstrative, toujours expressive. La guitare sèche peut sonner de tellement de façons différentes. Réapprenez à débrancher vos amplis pour vous rappeler comment il faudrait jouer. Lorsqu'il est d'origine brésilienne, cet instrument a la sensibilité d'un Toquinho, la douceur d'un Baden Powell.

Les invités d'honneurs : un jeune femme et un vieux monsieur. Bien sûr ! C'est la jeune saxophoniste et clarinettiste israelienne Anat Cohen, passionnée de choro, de tango et de toutes les rythmiques afro-cubaines. Elle apporta dans cette formation d'hommes la fraicheur et la féminité nécessaire à cette musique des sens.
L'autre invité, le vieux monsieur, disais-je, n'est autre que l'incroyable Kenny Barron, pour qui la mélodie n'a plus aucun secret. Toujours sur son Steinway & Son, concentré à l'extrême ; de la première à la dernière note, il ne laisse s'échapper aucun sourir de ses grandes moustaches blanches. Mais les mots de sa musique suffisent à provoquer l'émotion d'une salle toute entière. L'un de ses titres CLOSE NIGHT y est subtilement mêlé au tempo décallé en 5/4 – un temps fort, puis une succession de temps faibles créant une houle sonore des plus chavirantes. Tout l'humour de cette formation rieuse couronne l'exceptionnelle approche mélodique de Kenny Barron, acclamé longuement par son public, comme à chaque représentation, litteralement envoûté.
Quand le quintet exécute son ôde à Paraty, composé par le contrebassiste Nilson Matta, j'avais l'impression soudaine de respirer à nouveau l'air de cette baie luxuriante, perdue à l'orée de la foret, s'abreuvant d'océannes criques turquoise. Ce petit port de pêche, situé au sud de l'état de Rio, demeure dans l'imaginaire comme une carte postale imputrescible...
Puis, c'est lors d'un hommage poignant à son père, sur le titre P'ro Flavio, que le guitariste Romero profite de la chaleur ambiante pour porter tout son soutien au Japon, actuellement en détresse. Chaque personne visiblement remplie d'ampathie se laisse guider par le chemin musical du trio. Point d'orgue final, Dona Maria illumine nos pensées de toute sa volupté. La musique pénètre nos neurones, dépossédées de maux, et nous installe, spectateurs, dans une bulle de bonheur bien plus complexe que pourrait être le simple plaisir d'une sucrerie de l'instant. Le sentiment n'écoeure à aucun moment. Il monte à la tête plus rapidement qu'une caïpirinha relevée. Il se répand et hisse sa voile qui vogue à l'âme sur l'iréel clarté. Certaine fois l'amphase a du bon. Déguster les choses que l'on aime devrait à nous tous être permis. Le public en oublie sa grosse entrecôte et se nourrit d'une poésie plus légère qu'une île flottante.
Chauffe chauffe le rouge velour du JAZZ STANDARD. Les larmes ruisselles, les poils se dressent, le coeur tout rempli d'une chaleur brésilienne. Un bon baromètre, non ?

Obrigado gente !







Duduka apparait sur plus de 200 albums et accompagna des artistes talentueux tels que Antonio Carlos Jobim, Astrud Gilberto, Gerry Mulligan, John Scofield, Wayne Shorter, Tom Harrell, Eddie Gomez, Rufus Reid, Lee Konitz, Herbie Mann, Jorge Dalto, Joe Henderson, Kenny Barron, Emily Remler, Nancy Wilson, Slide Hampton, Toshiko Akiyoshi, Gil Goldstein, Joanne Brackeen, Marc Johnson, George Mraz, John Patitucci, Renee Rosnes, Bill Charlap, Maucha Adnet , Phil Woods and Steve Allee...
Depuis son départ du Bresil, il retourna dans son pays à plusieurs reprises pour y enregistrer avec les plus grands noms de la musique brésilienne. Haroldo Mauro Jr, Sergio Barrozo, Alfredo Cardim, Ion Muniz, Toninho Horta, Victor Assis Brasil, Claudio Roditi, Tenorio Jr, Dom Salvador, Cesarius Alvim, Edison Maciel Ricardo Santos, Edson Lobo, João Donato, Nana Vasconcelos, Mario Adnet , Nivaldo Ornelas, Paulo Jobim, Jacques Morelenbaum, le São Paulo Symphony Orchestra, Milton Nascimento, ou encore Raul de Souza ; tous succombère au jeu particulier du batteur Américain.

1 commentaire:

  1. Mon cher Lois,
    Vous avez à peine eu le temps de franchir l'émigration à l'aéroport et déjà le rythme à la quelle évolue ton blog me bluffe. La qualité de ton écriture et tes reportages nous arrives direct dans le ventre. C'est bien vrais, "plus rien sera comme avant"!

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