Un voyage musical entre Gil Evans et Gabriel Fauré.
Du 25 au 27 mars, le célèbre Blue Note de Greenwich Village accueillait l'ensemble harmonique (saxophone choir) d'Odean Pope qui, pour l'événement, fit appelle en special guest à James Carter, star du jazz new generation.
Le public est là. C'est une constance au Blue Note depuis 1981. Peut être 200 personnes, confinées dans ce lieu feutré à l'acoustique si réputée. Les bobo new-yorkais et les touristes de passages se délectent inlassablement d'une programmation alléchante, extrêmement variée, composée exclusivement de têtes d'affiches. Ici, on remplit. On fait du chiffre. On ne joue pas dans le sentiment. 35$ le set d'une heure et quart, plus des consommations hors de prix. Vous voyez le genre ? Pourtant, le mythique Blue Note demeure un lieu incontournable, un temple du jazz où tout musicien rêve de jouer, où tout mélomane rêve d'écouter.
Je ne serais pas l'exception à la règle. Ayant sagement patienté pour choisir le concert qui me ferait craquer, j'optais pour un événement de taille, qui ne se reproduirait pas. Les mélanges allaient y être délectables et détonants, j'étais prêt à parier.
Le nom d'Odean Pope m'était familier. Mais il me fut agréable de me replonger dans son parcours remarquable pour comprendre comment en était-il venu pour créer cette formation unique en son genre. Comment avait-il réussit à devenir un acteur élémentaire de l'immense scène jazz et tirer parti de ses qualités de compositeurs plutôt que celles de performer ?
Né en Caroline du Sud en 1938, dans une famille très liée au monde de la musique, Odean fut bercé par les clameurs spirituelles s'évaporant des églises du sud des Etats-Unis (et un de plus, check !). Parallèlement, il eut le privilège d'assister à la naissance du jazz dans un de ses plus célèbres bastions. Décidément chanceux, il déménage, à l'âge de 10 ans pour Philadelphie et se nourrit de sonorités différentes. La même sauce mais assaisonnée "à la mode" city. Il grandit en musique sur la terre de Coltrane, de Lee Morgan, Clifford Brown, Benny Golson, Mc Coy Tyner, Dizzy ou "Philly"Joe Jones (évidemment). Un bref saut dans le temps. C'est au moment décisif où Coltrane décide de partir à New York pour y rejoindre Miles et écrire une des plus belles pages de la musique moderne, qu'il a l'honneur de le remplacer dans le band de Jimmy Smith. S'il était, à ses débuts, très proche du grand John dans son approche musicale et sa sonorité, Odean compris rapidement qu'il lui fallait trouver une autre voie. Pourquoi tenter de refaire l'infaisable ?
Après avoir étudié la musique classique aux côtés de Ray Bryant et de Ron Rubin (hautboïste au Philadelphie Orchestra), il partit à Paris pour renforcer son apprentissage musical au Conservatoire national supérieur. Sa rencontre avec Kenny Clarke sera déterminante pour la suite de son parcours.
Il forme en 1970 Catalyst, un groupe de jazz fusion extrêmement pêchu. Mais, dans l'ombre de Weather Report, il décide de changer une nouvelle fois de direction et de développer un type de musique qui portera son sceau.
C'est à ce moment qu'Odean s'exil dans la composistion. Pour son trio (avec Leo Smith et Craig McIver) pour quartet, mais aussi, depuis 1977, pour ensemble de saxophones. Neuf saxophonistes dirigés à la baguette en mode swing. Une toute nouvelle texture harmonique, pouvant rappeler dans son agencement les tous premiers ensembles-fanfares du folklore jass New-Orleans. Dans son exécution contemporaine, c'est en fait beaucoup plus complexe que cela.
C'est véritablement une nouvelle esthétique musicale qui naissait. Intégrant une subtile synthèse de la raisonnance des chœurs d’églises de son enfance avec le jazz Hard-Bop de Philly et le Rythm'n'blues des années 50, qu'il réussit à allier à l'apprentissage classique reçu en Europe, c'est à dire, la musique de chambre, l'harmonie orchestrale moderne, ainsi que les structures polyphoniques - au sens académique du terme. Tout cela sans omettre les rythmiques africaines de ses racines. Odean doit également beaucoup de son savoir à sa collaboration de plus de 20 ans au côté de Max Roach, avec qui il perfectionna les techniques de respiration circulaire et de polyphonie. Un sacré gloubi goulba ? Oh que non. Une symbiose parfaite à l'impact divinatoire.
On dit qu'Ornette Coleman fut si impressionné lorsqu'il entendit la performance d'Odean Pope sur "Locked & loaded" qu'il hurla dans la salle puis se mis à écrire compulsivement sur son bloc note.
Mais pour mettre en œuvre cette ambitieuse prouesse musicale, il fallait recruter un collectif d'une grande technicité, capable d'intégrer chacun des composants exigés sans dénaturer la recette originelle ; que le groupe ne compose qu'un gigantesque instrument totalement dévoué au sens de la partition dictée par le cerveau fécond de son compositeur. Aux côtés des neufs saxophonistes – uniquement des altistes et des ténors ce soir là, nous retrouvons George Burton au piano, le grand Jeff "Tain" Watts aux drums et Lee Smith à la contrebassiste (le père de Christian Mc Bride).
Cordes et bois ne feront qu'une et même matière à l'issu de la performance. Le renflement de deux corps amoureux à l'unisson. L’élasticité sonore rappelle le va et viens des marées atlantiques. Tantôt cérémonieuse nous plissons les yeux d'imaginaires voilures, tantôt tempête notre cœur s'ébroue et s'inquiète de ne pouvoir rentrer au port.
Avec poigne et intense concentration, le vieux Odean tourne les pages de son récit et offre de son esprit fécond sagesse et savoir. J'ai plusieurs fois pensé à Gil Evans dans ses prises de risques contrôlées. Qu'il est difficile de manier un corpus musicale aussi imposant. De faire réagir la ligne mélodique au soupir près. D'anticiper les conditions matérielles de chaque instrument et retourner ses défaillances en qualités éblouissantes. Dans sa supercherie, rien ne semble être performance. Les compositions effectuées ont toutes un "je ne sais quoi" d'humanité. Un tourbillon émotionnel. Une ampleur. C'est le mot. Épaisse mélancolique bitumeuse. Âpres salines en rafale, grand tourbillon de matières organiques.
Après avoir joué deux longs morceaux – et en même temps dirigé avec la tête, Mr. Pope appelle en renfort le très attendu James Carter. La star arrive avec ses deux saxophones croisés devant lui ; se faufile entre les tables et monte sur scène dans un tonnerre d'applaudissements éclaboussants mes tympans jusqu'au fond de ma viande. On pouvait craindre le show commercial. James Carter, génie incontestable du saxophone n'est pourtant pas apprécié de tous dans la grande famille du jazz. Peut-être sait-il faire trop de choses ? Je compris toutefois bien vite d'où venait le choix judicieux d'Odean. Le point commun avec son jeune invité : le son. La texture, travaillée à la façon d'une voix humaine. Tous deux ont développé les capacités sonores du saxophone dans ses ultimes retranchements. Épouser la voix d'une femme qui soupire, simuler l'orgasme, transcrire le raillement d'une gorge rauque polie par la nicotine.
Le vieux Odean peut désormais ranger son saxophone et se contenter de diriger sa formation bien rodée. L'intérêt d'appeler James réside dans la fougue et l'opiniâtreté du soliste. Il plane au dessus des riches compositions sans jamais les dénaturer. Il réussit ce tour de magie. Coleman Hawkins, Albert Ayler et Coltrane tous de sons mêlés. Justesse, précision, tournoiements de registres, couinements subtils, claquements de langues, ambitus incroyable, du grave à l’aigu instantané, grands écarts harmoniques, staccato, souffle tendu, follement chaud, onctueux comme une crème anglaise, bouillonnant comme le bain de satan.
Le feu, l'énergie, la puissance physique irradiée. Un brasier dans le foie. Un incendie musical aux tripes. La vitesse est un état dans le jeu de James. Pas un but. La lenteur peut se vivre rapide. La vélocité au ralenti débauche l'énergie sans issue. Le soleil se panache lentement, criblé de notes il fait mine de s'éteindre. Puis se rallume, avec les ténèbres joue sans fin. S'éternise et se suspend à la nuit dans une éclipse sonore qui résonne encore dans ma tête qui ne pourrait plus s'endormir apaisé. Un beau chao provoqué.
"Odean Pope is a bad bad bad beautiful musician, man !". (Joe Lovano).
Pourquoi JASS ?
Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
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J'ai aaadoré Harlem Story 3 et 4 et c'était une grande plaisir de découvrir Last Poets.
RépondreSupprimerFatigué j'avais décidé de mater un dvd ce soir, juste une autre façon de t'envoyer une pensée, mais j'ai finalement opté pour 4 épisode de ta vie New New-yorkaise.
Merci pour ton travail et sur tout de ta sensibilité.