états-d'âme bleutés. Les mimiques des plus concentrés, l'abandon des décomplexés.
Aller au jazz-club, c'est un peu comme se retrouver seul en plein milieu de Time Square. Tout est inconnu et sauvage tel un vertige pétrifié, tel une jungle de cristal dans un carton mâché. La mélodie s'entrechoque aux nuisances du quotidien et, pourtant, l'échéance tumultueuse de l'Instant, contribue – dans une certaine mesure – à sa grande création. Ça secoue drôlement au milieu de ce fatras, cet éclat de nuit vernis de songes ; sanctuaire païen pour nostalgiques visionnaires.
L'expérience du visuel a fondamentalement une incidence sur le ressenti. C'est curieux ; je ne l'ai vraiment compris qu'hier, à New York ou à Sète (je ne pourrais dire l'année). Auparavant, de mes découvertes musicales, je me délectais seulement par l'ouïe. De ses mouvements sur mon épiderme et ses folles insolences, de ses histoires sans visages qui n'ont pas de fin... Pourquoi aller voir un live en fermant les yeux, hein ? Je n'avais envie de voir ni de connaître le matériel. Les musiciens j'y pensais souvent après, quand le disque était déjà terminé et que l'écho langoureux du point d'orgue résonnait, en s'éloignant de mes tympans. Trop tard, leurs sons étaient déjà devenues miens.
Je me disais que les créateurs étaient simplement les passeurs de l'anonyme. N'existe-t-il pas pour chaque chose plusieurs beautés ? Le jazz n'est pas un être unique. Sa diversité annulerait presque le mot ; comme si cette musique avait voulu être plus ou autre chose qu'elle même.
Pourtant, jouer le blues originel, le chanter ou l'écouter, ensemble, c'est aussi le détourner de sa route solitaire. Son véritable salut pourrait résider à l'endroit de cette infinie liberté collective.
La musique semble avoir besoin de silences à plusieurs pour se reconnaître. Confronté à l'auditoire, sa pudeur abandonne l'éclat du récital partitionné pour livrer un état d'âme, une vérité. Le rythme visuel – une sorte de battement coloré – voit sa tonalité modelée par l'espace, la lumière, la forme, la texture et la nuance que l'on y met. On imagine souvent le jazz en noir et blanc. Ma photographie musicale épouse une palette multicolore, composée de faisceaux kaléidoscopiques ni blancs ni noirs, ou tout est en reflets.
Le même jour, au même lieu, deux sets ne se ressemblent jamais. Sans pare-feu, la somptueuse création, si soudainement accomplie, si immédiatement donnée, nous offre un bouquet d'émotions libres. Chacun reçoit ses propres illuminations. Les pèlerins voyagent où leurs esprits les guident. A choisir : un souffle éthéré de Nouvelle-Orléans ou l'écho satin de Scandinavie.
Smalls, NYC, Avril 2010. |
Parmi les calmes et les excités, j'observais l’envoûtement du jazz, joyau sauvage, qui ne pouvait pas longtemps rester seul.
Lyrisme écarté, après le concert : plus qu'une poignée. Les références et l'humour des musiciens donne envie de commenter, puis de se réserver, de laisser le hasard justement s'exprimer. La musique, en liant, fait surgir une vérité : l’incommensurable imagination de l'homme, de l'artiste uni à ses électrons, tout autour d'une émotion. Que j'aime aller au cinéma...
Je voudrais trouver les mots et leurs silences. La liberté dans la contrainte. Etre à la fois le vide et le plein liés. S'essayer, tout juste là, sans gommer. Seul à plusieurs dans ce club de jazz. Il y a tant de rêves à rêver les yeux ouverts. Jaune col traîne dans un coin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire