J'avais, à plusieurs reprises, rencontré C.F.M. "The Crazy French Men" l'avait on nommé, lors de son arrivée à New York. Je le connu simplement, sous le nom de Reynald Deschamps. Crazy mais pas fou. Il m'avait été présenté comme l'une des plus importantes personnalités françaises oeuvrant pour la black music américaine ! Collectionneur, DJ, disquaire, producteur, auteur-compositeur, Reynald a porté toutes les caquettes. Son credo c'est la soul music, le rythme n'blues, la funk. C'est après avoir pris connaissance de son parcours hors du commun, que je comprenais comment et pourquoi ce boulimique de musique noire avait fait de New York son domicile.
Il fonde, au début des années 2000, une nouvelle compagnie : WAY TO MOVE USA. Épisodiquement, nous nous transmettons des clins d'oeils musicaux. Reynald me tient au courant de son actualité.
(cf. http://www.wegofunk.com/Interview-Reynald-Crazy-French-Man-Deschamps_a755.html).Le glas final du séjour a – tristement – sonné. Je m'en vais. Moins loin que Gil Scott Heron qui s'est malheureusement volatilisé, hier matin, à l'âge de 62 ans. Les départs serrent les gorges.
Mon quotidien dans le quartier d'Harlem me donne envie de me replonger, au cours de cette semaine solaire, dans les foisonnantes musiques soul-funk ayant émergées au début des années 70. Je m'achetais le premier vinyl de MADRILL et me rendais compte qu'en ces temps, chaque semaine, un nouveau hit de qualité sortait dans les chart. De partout, des groupes se formaient. La qualité des productions et des concepts musicaux, de toute évidence, ne peuvent que laisser sans voix.
BRASS CONSTRUCTION & B.T. EXPRESS : la Funk des 70'S toujours en marche -
THE WAY TO MOVE : un label qui grimpe.
Le hasard fait les choses, on essaye de capter le bien. Je reçois un message m'annonçant la possibilité de rencontrer LARRY PAYTON, batteur d'origine et compositeur d'un groupe Funk légendaire : BRASS CONSTRUCTION. J'avais appris leur venue en France, au mois d'avril dernier. Deux concerts au New Morning, un autre à Monptellier. De l'autre côté de l'Atlantique, je débriefais avec l'artiste et son producteur, une bulle de bonne humeur tout autour en suspend.
Le quartier de Greenwich Village fut le terrain de notre rencontre, une soirée, sur la terrasse des premières chaudes journées de mai ; un simple restaurant mexicain. Nous abordèrent diverses sujets de discussions. L'amour de la musique fit le liant.
Cher Larry, pour présenter votre travail au public français, commençons par vos débuts. Vous êtes l'un des membres d'origine du groupe BRASS CONSTRUCTION. J'ai entendu parler de votre première formation, DYNAMIC SOUL, formée à la fin des années 60 à Brooklyn, votre quartier d'origine où vous vivez encore actuellement. Vous avez commencé la musique très jeune. Pouvez-vous me remémorer cette période ?
J'étais simplement étudiant à l'école Georges Gerswhin Jr. et je n'avais qu'une seule et unique idée : monter un school band. C'est mon beau-père qui m'a offert une batterie quand j'étais tout jeune adolescent. J'ai commencé à jouer dans les églises de Brooklyn. Je ne quittais jamais ma batterie, l’emmenais chaque jour à l'école. Je m’entraînais dans un auditorium. Il n'y avait qu'une grosse caisse, une cymbale, une caisse claire et un tome, pour que je puisse la déplacer. Et c'était partit ! C'est à ce moment que j'ai rencontré Randy Muller, qui était dans la même école. Nous avions des goûts en communs, adorions la folk musique. Il s'est mis au piano et nous avons joué des standards. Tout de suite, c'était d'une façon particulière, libre.
Nous deux et Wade Williamston, nous avons formé DYNAMIC SOUL. Nous étions trois mais une flopée de musiciens s'est peu à peu greffé, des cuivres, d'autres instruments. Tout le monde chantait. Il y avait Maurice Price, Mickey Grudge, Sandy Billups, Jesse Ward... C'est devenu rapidement une sorte de collectif. Des jeunes femmes venaient aussi chanter les chorus. Nous étions environ 14 ou 15 musiciens qui nous retrouvions régulièrement.
Nous deux et Wade Williamston, nous avons formé DYNAMIC SOUL. Nous étions trois mais une flopée de musiciens s'est peu à peu greffé, des cuivres, d'autres instruments. Tout le monde chantait. Il y avait Maurice Price, Mickey Grudge, Sandy Billups, Jesse Ward... C'est devenu rapidement une sorte de collectif. Des jeunes femmes venaient aussi chanter les chorus. Nous étions environ 14 ou 15 musiciens qui nous retrouvions régulièrement.
Pourquoi avoir changé de nom ? BRASS ("laiton" en français) renvoie aux cuivres. Comment est-ce venu ?
A un moment nous étions trop nombreux pour faire un groupe. Jeff Lane, le producteur, m'a présenté le Label Docc. Il nous a fait savoir que nous devions changer de nom. Nous avons choisi BRASS, évidemment parce que nous avions cinq cuivres dans la formation. On m'a proposé Brass Construction. Je n'aimais pas au début. Mais la première maison de disque nous ayant signé trouvait que l’appellation était excellente. C'est resté.
Votre recette était simple. Vous avez appelé vos quatre premiers disques simplement par des numéros. Le succès arriva très rapidement. Dès le volume ONE, ce fut un énorme succès. Chaque titre est devenu un hit. Tous ont été samplés par les nouvelles générations. Comment pouvez vous expliquer l'engouement du début ? Ce premier disque est-il encore pour vous le meilleur produit de BRASS ?
Je peux expliquer le tout début, qui permet de comprendre la suite. La recherche de notre musique remonte avant BRASS et ce tout premier disque. Nous étions tous très jeune à l'époque, 13-14 ans environ. Nous nous retrouvions le week-end pour des jams et n'arrêtions pas de jouer. Nous avons commencé avec du jazz. Mais les maisons de disques nous conseillaient de jouer du Rythm n'blues et de la soul plutôt que du jazz qui – à ce moment là – ne ce vendait pas bien. Nous avons alors commencé à répéter, des heures durant, sur des standards de soul que nous modifions. C'est comme cela que notre propre son est apparu. Les reprises s'altéraient, nous nous sommes vite mis à écrire nos morceaux.
C'est l'histoire de votre tube, MOVIN', qui fut numéro un des charts R'n'B, dès sa sortie. J'ai entendu dire que le titre fut écrit au cours d'une longue jam, enregistrée à l'origine, sur plus de 20 minutes.
Initialement, nous étions dans le studio, sur la 34e rue, pour enregistrer CHANGIN'. Randy et Jeff étaient en retard. Nous nous sommes mis à jouer, en les attendant. Quand Jeff est arrivé, il nous a demandé ce qu'on jouait. Il adorait. "Il faut qu'on joue ce titre aujourd'hui", dit-il. Randy a fait son entrée nous à dit : "qu'est ce que vous jouez, les gars ?" et nous avons continué. Naturellement, il s'est installé au clavier à s'est mis à "slammer" sur les touches. Il n'y avait aucune structure de base, aucun arrangement, juste de l'impro. Le son du clavier nous a porté de plus belle. A cet instant la jam est devenue un hit.
Au final, le morceau ne fera que 8 minutes , ce qui est énorme pour l'époque. Déjà on demandait des morceaux calibrés pour les sorties radios.
Si le morceau a pu être aussi long sur le disque c'est parce que la production l'aimait comme cela. Elle savait que ça deviendrait un hit. Frankie Crocker de Radio WLS était le premier à le programmer. Tout le monde a vite suivit. Nous ne pensions pas aux règles du business, jouions simplement. Ça a bien fonctionné. Nous étions le premier groupe à vendre 75 000 copies d'un hit en une semaine. Tout le monde nous demandait MOVIN'. Aujourd'hui encore...
Nous savons tous combien la rythmique est primordiale dans la funk music. En tant que co-auteur et compositeur du groupe, comment faisiez-vous pour créer vos titres ? Commenciez vous par la mélodie ou par le rythme ?
Toujours par la rythmique. Le vrai secret c'est la lignes de basses ; tout partait de là. C'est la même chose pour beaucoup de musiques. Certains standards de jazz étaient composés de cette même façon. Quand tu as le rythme, tout découle simplement...
Larry se met à chanter en claquant des doigts pour me montrer. Une simple ligne vocale définissant un rythme tenu. Il commence à improviser vocalement sur cette structure sans sortir de sa ligne rythmique qui le conduit. Puis il enchaîne...
Parfois ce sont également les mots qui donnent une énergie musicale et qui font partir un morceau.
Quels sont vos liens avec les musiques black des origines, le blues et le jazz ? En écoutez-vous à la maison ?
Sincèrement, j'écoute toutes sortes de musiques, pas seulement de la black music. Franck Sinatra est le chanteur que j'aime le plus. J'adore Chicago Authority Transit... Je n'ai pas de règles. Ce qu'il y a de bon c'est la diversité, n'est ce pas ? Je n'aime pas les catégories. Elles n'ont pas été inventées par les musiciens, j'en suis persuadé.
Pourtant, aucun musicien ne vient de nul part. Chacun a besoin de trouver ses références, ses racines, de développer une initiation, pour trouver sa propre voie. Ce qui ne veut pas dire qu'un européen ne peut pas jouer d'afro-jazz. êtes-vous d'accord avec cela ?
Tout à fait. Nous voulions "reconstruire" la musique que nous aimions. Une chose est sûre : tu ne peux rien faire sans identité. La notre, nous la trouvions dans la funk, parce que cette musique nous ressemblait. Mais j'écoute plus d'autres musiques que de funk. Le fait d'avoir commencé, avec ma mère, dans les églises a eu une influence de taille sur ma façon d'envisager les sons, le rythme, la manière de chanter également. Mais, je me rappelle avoir voulu, déjà à l'époque, jouer d'autres choses, changer les structures. Je me faisais bien réprimander car ce n'était pas ce qu'on me demandait.
Quelles étaient vos références à ce moment concernant la batterie ? Avez-vous, grâce à cet instrument, développé une conception de la mélodie ?
J'adorais Buddy Rich, Billy Cobbham, bien sur, et puis John Bonham, le batteur de Led Zeppelin. Mais c'est quand j'écoutais les solos de drums dans la musique de Gerswhin que j'étais en transe. C'est avec cette musique que la batterie est devenue autre chose que le rythme basique. Le sens mélodique est essentiel dans ma conception de la batterie. C'est vrai, la basse est véritablement un instrument pilier pour notre musique. Je dirais penser aux notes de la basse quand je bas la rythmique.
Le plus dingue est que vous arriviez à en faire quelque chose de drôle, de distrayant, de fluide. Tout est mis en avant, sauf la difficulté d'exécution des morceaux. Un dur travail de la simplicité pour l'émotion, êtes-vous d'accord ?
C'est exact. Notre musique nécessite beaucoup de travail concernant la répétition des cellules musicales. C'est pourquoi je n'ai jamais manqué une seule répétition, c'est une promesse. Chaque membre du groupe avait cette discipline. D'autre part, pour la musique, en générale, et pour la funk en particulier, il faut faire travailler sa mémoire ; c'est essentiel. J'ai toujours eu une excellente mémoire, elle m'a énormément servie dans mon parcours musical.
James Brown est l'exemple parfait, l'un des initiateurs. Il mettait ses musiciens à l'amende quand ils oubliaient une partie ou se trompaient dans les rifs, tout le monde le sait. J'ai rencontré la plupart de ses musiciens, ceux des débuts aussi. Tous disaient : "James nous tue". 15, 20 fois, peut importe, il faut la perfection.
Aviez-vous à cette époque, comme certains groupes de Soul&Funk, un message politique à transmettre à l'intérieur de votre musique ? Je pense, par exemple, à votre titre POWER TO PEOPLE.
Je pense tout simplement, et depuis toujours, que tout le monde est pareil. Parfois pour provoquer des copains je leurs dit : "je suis noir à l'extérieur et blanc dedans". Ça met les choses au clair. Plus sérieusement, je me sens une humanité universelle. Je n'ai pas ce sentiment d'appartenance à la communauté black plus que tout autre chose. J'attends du respect et de l'ouverture d'esprit, c'est tout.
Je n'ai jamais véritablement voulu rentrer là-dedans. Je ne mélange pas les choses. J'étais là simplement pour jouer, me faire plaisir, donner du bonheur à ceux qui nous écoutaient, voilà. C'est une "positive music". Je n'aime pas non plus les paroles sexistes, uniquement axées autour d'allusions dégradantes. Nous n'avons pas besoin de demander au public de "bouger ses fesses".
C'était également une mentalité de cette époque. Ça explique aussi pourquoi BRASS CONSTRUCTION est un incroyable groupe de dance floor mais surtout une formation qu'il faut voir en Live. Beaucoup de choses prennent formes sur scène. Ce n'est pas seulement de la musique, c'est une expérience. Vos chorégraphies, les costumes... C'est une musique pour les yeux. On pense aux Comodores à Parliament-Funkadelic, fondé, un peu avant, dans le New Jersey ou à Earth Wind & Fire, qui eux venaient de Chicago ?
C'est juste, on nous compare tout le temps. Ça ne me dérange pas. Nous commencions à la même époque avec Earth Wind & Fire, et nous avions, plus ou moins, la même vision de la musique. Ce que j'aime, avant tout, c'est que tout le monde passe un excellent moment en dansant. Je ne rejette pas l'image festive associée à notre groupe. Nous n'avons fait que 10 albums et continuons à remplir les salles. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas des remises en question, des évolutions dans notre musique. Si je prends toujours du plaisir à le faire c'est qu'à chaque fois le public est différent et qu'il m'entraîne dans une autre dynamique. Ce sont majoritairement les jeunes générations qui viennent nous voir et qui dansent !
Qu'en était il en France ? Vous revenez juste d'une tournée, c'est elle bien passée ?
Ce n'était pas la première fois que nous allions jouer en France. Il y a quatre cinq ans déjà, nous avions fait le Bataclan, puis le New Morning ; j'avais été vraiment charmé. L'expérience était fabuleuse. Les salles étaient remplies, c'était bien. Et puis les françaises sont tellement belles !
Ressentez-vous de grosses différences entre la production actuelle et celle de vos débuts ?
Mon sentiment est simple : je peux aujourd'hui ne rien toucher sur un disque. Le marché a véritablement changé, l'industrie du disque également. L'argent est au centre. Nos disques se vendent toujours mais le nom de BRASS CONSTRUCTION appartient à pleins d'autres personnes que moi. Concernant la production musicale en générale c'est très différent de ce qui se pratiquait dans les années 70. Les professionnels prenaient plus de risques.
Étant donné que la musique est une obsession quotidienne, je m'arrange avec les changements. Pas à un seul moment je n'ai pensé faire autre chose. C'est un merveilleux moyen de communication, il permet de partager tant d'émotions.
Avez-vous, en marge de BRASS, des projets personnels dont vous voudriez parler ?
Oui. Je voudrais parler de MARK RADICE. Nous avons fait un album ensemble, je tiens à notre affection et à notre relation artistique. Dites au gens d'allez sur le net écouter ce qu'il fait. J'ai aussi joué avec RAPHAEL CAMERON dans les années 80. A part ça nous faisons tout le temps des gigs, en famille élargie.
Thank you Larry. J'espère ne pas vous rater lors de votre prochain concert...
Reynald Deschamps et Larry Payton |
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