Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

dimanche 8 mai 2011

OMAR SOSA en Rouge au Blue Note.

CUBAFRICAMERICA

Grand écart au dessus de l'Atlantique, d'où sort cette émotive souplesse encéphalique ?

Omar Sosa, l'explorateur contorsionniste n'est jamais là où l'on pourrait l'attendre. Même assit, il se hasarde à emprunter, sur siège noir cotonné, des routes inexplorées. Sa polyvalence nourrit chaque projet et donne une consistance, un arrière goût d'inconnu. Enrobé de magie, de panache initiatique, nous parvenons à nous dire à chaque fois, ça, c'est Omar Sosa. Mis de côté, les considérations jazzophiles des crispés du cœur. Laissons-nous embarquer, sans sondeur, sur la mélodieuse coque de noix qui dérive sans se perdre. Les yeux grands fermés, le clapotis d'un langage universelle, délicieux dénominateur commun entre tous les êtres humains : la poésie.

Hier, c'était un grand Big Band, dirigé par l'illustre compositeur-arrangeur et violoncelliste, Jacques Morelenbaum, une Ceremony flamboyante, intense, de mille couleurs latines. Aujourd'hui, c'est CALMA, un projet intimiste, qui vient caresser nos pensées d'Hommes modernes tourmentés.Ce cinquième disque de piano solo invoque la méditation.  Enregistré à Brooklyn, le 14 octobre 2009, l'album n'est pourtant sorti dans les bacs que le mois dernier. Le projet est composé de treize improvisations, fusion d'éléments de styles jazz, classiques, electros, afro-cubains. Le présent enregistrement comprend une combinaison rarement entendu de piano acoustique, de Fender Rhodes (piano électrique) et de divers effets électroniques et sonorités échantillonnées. L'artiste interagit spontanément, en temps réel, avec les différents éléments sonores. Seul il devient des milliers.

L'intention de ce projet est d'évoquer l'esprit de réflexion et de contemplation. Omar dira à propos de son nouvel opus : "Chaque chanson est une source d'inspiration pour la suivante, une continuité. Dans ce cas, particulièrement, l'improvisation est la base de l'expression musicale. Je voulais jouer du début à la fin, sans y penser, laisser aller mon sentiment dans chaque note, suivre le fil de mon âme. A cet instant, le silence, l'espoir, la nostalgie, l'optimisme, la tristesse, voyagent main dans la main". A la façon de Satie ou de Boulez, sensations de suspension flottante, d'immobilisation du temps, servent la contemplation mélodieuse de CALMA.

Cuba est au carrefour. L'histoire commence à Camagüey. À l'âge de huit ans, Omar étudie les percussions – plus assidument les marimbas – au conservatoire de musique de la ville. Puis, il entame ses études à la prestigieuse Escuela Nacional de Musica de la Havane et, se concentre sur l'étude du piano. Fasciné par l'instrument, il termina sa formation, en 1983, à l'Instituto Superior de Arte.

Inspiré alors par la musique "classique" européenne, il découvre, adolescent, une nouvelle voie. La liberté, l'expressivité, la chaleur du latin jazz. Nat King Cole, Chucho Valdes, Pacho Alonso ou Orquesta Aragon.
Ses amis musiciens commencent à voyager et crèvent l'embargo en ramenant, à la sauvette, des enregistrements de jazzmen américains. Une drogue appelée Oscar Peterson, Herbie Hancock, Chick Corea, Coltrane ou Keith Jarrett... Tous font, sous le manteau, la tournée des foyers. A la fin des années 80, Omar Sosa maitrise le folklore cubain et le classicisme européen. Il part à son tour gouter l'ailleurs, ce bel inconnu. Son passage à Quito – petite enclave culturelle africaine en Equateur – lui permit de s'expérimenter à d'autres sonorités, qui immédiatement complétèrent son savoir. De Palma de Majorque à la baie de San Francisco, Omar Sosa veut comprendre tous les sons. Un mélange d'Irakere et de Monk, sa musique à la couleur des moissons.

Récompensé de deux Grammy's avec Sentir (2002) et Mulatos (2006), vous l'aurez compris, chaque projet est le concept d'une nouvelle philosophie. C'est une histoire différente, une autre rencontre. Le conteur reste le même, ses protagonistes changent, se passent le flambeau. Dhafer Youssef, Paquito de Rivera, Mino Cinellu, Aziz Arachi, Renaud Pion, Philippe Foch... l'accompagnèrent à peindre cette grande toile musicale, ce beau patchwork universel qui, années après années, composent l'identité d'un artiste audacieux.


Du 3 au 8 mai 2011, le Blue Note accueille Omar Sosa et son Afri-lectric Quintet.

Il entre rouge sur le fond bleu. Une touche de blanc coiffe son front caramel. Deux p'tites billes vertes encerclent les miroirs de l'âme, noirs. Une nappe ronde se déplie sur la salle. Un tapis persan, monocorde, grave, incantatoire, plane. Puis, trois touches d'ivoire, une pointe d'ébène sur l'ongle vernis, éclairent mélodieusement le grondement souterrain. Des grains de sel sur les lèvres picotent nos papilles. Ca commence down tempo. On est au parfum. Toute tension disparait, instantanément, le rictus de la mer sur le sable, la sarabande du vent dans les arbres.

On perçoit un chant lointain. Il est perçant et vivant, couleur safran. Trompette descend l'escalier doré, sur la pointe des sons. Elle parsème, marche par marche, des p'tites touches d'espoir. Joo Kraus s'installe. Sur la scène installée, son chant félin accompagne celui du ruisseau d'ivoire. La bruine irlandaise se transforme en orage d'été. Abrités sous une tonnelle je sens l'odeur poivré du bitume mouillé. Frisson. Les doigts d'Omar bondissent, translucides, d'un bord à l'autre du clavier, laissent filer le sable fin des notes sahariennes. Son phrasé est fluide et ouvert, il permet à chacun de s'exprimer en liberté.

Les musiciens arrivent ! On les entend un après l'autre s'avancer. Ils ont déjà commencé, depuis Cuba ils apprennent au soleil l'histoire du grand Nord où, bientôt, il devra briller.

Un rossignol, rouge gorge déployée, est entré. Sortir de la ville. L'oiseau picolo batifole – tout flamme – entre les tables. Il tournoie au dessus des tempes, contre les lustres de cristal. Puis, vient enfin se poser, baccarat dentelé, sur un rebord de clavier.

Le cobra n'a plus de venin à cracher. Son dresseur, Peter Apfelbaum, souffle, pleine bouche époumonée, dans sa trompette chinoise désarticulée. Hypnotisés par cette belle ronde circulaire, entrainés dans les rainures serpentines, comme mystifiés, nous ne voulions pourtant que goûter et nous voici ensorcelés.

Les cloches des transhumances sonnent – de l'autre côté du lac, il y a les chutes Victoria – résonnent en glas lointain, trouvent écho dans les verres de vins, qui basculent dans un vas-et-viens ténu. Le troupeau a enfilé ses pantoufles de cristal, nous pouvons désormais soupirer. L'extase au bord de la rupture.
Marque Gilmore, le berger, s'installe délicatement sur son tabouret. Tape finement la mesure, sur ses tambours ; pour qu'aucuns goélands ne se trompent de vallée. Restons bien groupés, nous allons tous ensemble danser. La voix d'Omar sur-fond l'apesanteur instrumentale. Entre la parole et le chant, il psalmodie, étendu, la tête fleurie dans un coussin de percussions. L'Amazonie dans un verre de whisky. Son incantation sent comme au premier jour de la mousson.

Il commence à faire chaud. Les chants de rue de la Havane, la foule gitane. Güiros, castagnettes, M'bira ; cencerros, chekeré, marimbas ; tambours bata, maracas ; percu Gnawa. La basse Mozambique de Childo Tomas est veloutée, elle fait des petits bonds espacés.
Epopée musical, routards aux cheveux longs, le morceau METISSE à la nationalité du vent. Du sax en bambou dans un bugle de soie blanche. Sur chaque jambe, bardée de rubans, des petits grelots, mauves en dedans, pleuvent nos Afriques nostalgiques. Le sol gronde et chante. Une fugue de l'Alhambra. Papous d'Alaska, Indous, Rastas. Des rappeurs de Harlem en pashmina.

Lionel LOUEKE fait son entrée. Avec Omar, ils commencent à se parler. Les cordes frappées et pincées sont toutes à l'unisson caressées, la veinure d'un noyer.
Cuba - Bénin, en P.C.V. Mwaliko à Bembon. Deux peintres, créent à distance sur la même toile. Le rythme est cintré, les couleurs éclaboussées de terre rouge. La belle odeur du pain de sucre vermillonne. Le griot Lionel scat avec sa guitare, slap en accords d'onomatopées. Les effets de pédales Whammy inventent un son d'orgue de mosquée saharienne. L'acoustique des basses – sans frets – a la voix de kora et son chant clair, la présence d'un ange noir. Invitations d'artistes, nous sommes conviés dans la ronde des Bermudes à ciseler les octaves avec nos cils. Il n'y a pas de territoires interdits. L'étrange sensation qu'aujourd'hui, tout est permis.


Chaque prestation de l'artiste cubain m'installe dans une douce transe solitaire. EL CONSENSO.
Pas besoin d'appuyer le trait, son lyrisme parle pour lui. Nous ressentons une maturité imposante, une jouissance assouvie. Enraciné dans la tradition de la grande diaspora africaine, l'art universel du XXe siècle, Omar Sosa me rappelle que la musique World n'existe pas. Il y a la musique... la "grande" musique. Son piano, relié à des racines électriques, rédige la quête d'une liberté passionnée. Musique cristalline, marine, abyssale, son style est marqué d'une grande spiritualité.

En sortant du Blue Note, les rues semblent claires et familières. Les jambes sont un peu frêles. J'ai l'impression que le film n'est pas terminé. La musique d'Omar Sosa est une bougie d'Empire State. Je le vois rougir ce village imaginaire, juste au-dessus de nos têtes, quelque part entre ciel et terre. New York-Tokyo, Bamako-Rio, ça ne coûte pas cher.
"Ah les voyages !".




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