Ce n'est pas la première fois – pas la dernière – que je me rends au ZINC BAR. Ce lieu est classieux et populaire en même temps. Vous payez 10$ et accédez, le temps que vous souhaitez, aux portes de la musique moderne et universelle. Sésame, ouvre toi !
Originalité new-yorkaise, il faut descendre cinq petites marches (parfois plus...), pour rentrer dans certains bars du soir. Ce ne sont pas vraiment des sous-sols, mais des demis-étages donnant sur la chaussée (oui, vous avez vu cela à Amsterdam aussi, c'est vrai).
Dans l'arrière salle (je dis arrière salle par rapport à la musique, mais en fait c'est l'avant salle, car c'est le premier espace dans lequel on entre), on y voit instantanément l'immense ZINC en forme de L. Fait d'acier inoxydable, remplit de carafes vintage, il rutile le bougre. Asticoté comme une belle paire de chaussures anglaises, c'est une véritable oeuvre d'art. Les gens s'y accoudent et attendent, bucoliques, le set suivant. Ils regardent le barman, tout droit sortit d'un film de Charles Vidor – un zeste de citron dans le sourire. D'autres s'y retrouvent – les meilleurs lieux ont leurs habitués – se font des gros hug en se trémoussant ; je regarde et n'arrive toujours pas à assimiler le concept...
Bref, juste derrière la belle sélection de whisky et autres spiritueux, bien rangés sur un podium en verre, les visages sont éclairés par des appliques Art Déco, enveloppant la lumière, délicatement, comme un bien précieux qui pourrait s'évaporer.
Dans l'autre salle, celle des petits guéridons en bois et des immenses banquettes molletonnées rouge-velours, il y fait plus sombre. C'est léger. Des petites lampiottes rouges scintillent telles des lucioles de contrebande. J'aime aussi l'énorme lampe photographe, dans le coin, au fond. Dirigée sur la scène, on a l'impression qu'elle dit : "action". Elle n'éclaire presque rien ; c'est le presque rien qui est beau.
Je ne travail pas pour Maison et Objets, mais le ZINC BAR, c'est à part. Je suis obligé de vous parler du piano. Un SAUTER de toute beauté trône. Bigarré de bois acajou et noir, il s'ouvre sur une mécanique martelée de laiton. Une statue qui parle, c'est wonderful.
Trois soirs de suite que le jeune JASON LINDNER l'étrenne ce beau piano. Trois notes le rembourse. Chaque soir, trois sets : c'est la marque de fabrique du lieu, le trois temps. On prend la joie de vous présenter un artiste. Bien d'autres y sont passés, avant... Croyez moi, le ZINC, c'est une institution. Pourtant, la salle n'a pas ouvert depuis longtemps en ces lieux. Pendant plus de quarante ans, c'est d'un autre Zinc dont on parlait. Sur Houston Street, Monk, Billie, Francky avaient leurs habitudes. Le bar a déménagé, ce n'est pas un secret. Je ne pourrais donc vous parler que du nouveau né.
Chick Corea dit de Jason Lindner qu'il "est un univers musical ". Pianiste, multi-instrumentiste, compositeur, arrangeur, le jeune homme de Brooklyn a fait la tournée des bars, opiniâtre travailleur, avant de se faire remarquer. C'est alors qu'il rencontre Avishai Cohen et la chanteuse chilienne Claudia Acuna. Son approche de la mélodie immédiatement séduit. Me'Shell Ndegeocella, Anat Cohen, Elvin Jones, Mark Turner, Roy Hargrove, Dianes Reeves... font appelle à ses talents.
Sur le piano zébré de bulles mélodieuses, une étrange boite de mixage est déposée - genre MAKI, remplie de bouton bizarroïdes. Je comprendrais, en temps voulus, que cette caissette contrôle les sorties micros de chaque musicien et peut, subtilement, interférer leurs sons, les ralentir, les robotiser, les décomposer...
Il y a le violoncelle ombrelle, trois violons bien ronds. Il y a la batterie punchy, la Bass-hard-funky. Flute, Sax, Trombone, sont au diapason, c'est quand même du jazz, non ? Je m'en fiche.
JASON est debout. Il pose le rythme, dirige de sa seule présence. Il se réjouit de ce qui va arriver, comme quelqu'un qui offrirait un objet auquel il tient plus que tout. Guide des airs nordiques, il raconte la plénitude et l'harmonie d'un paysage éthéré d'azur. L'érosion de l'eau sur la roche ploc ploc, ploc...
Il y a aussi JEFF TAYLOR, l'enfant taquin, qui rêve en chantant ; chante en rêvant. Tellement touchant cet oisillon. Il dit : "C'est le seul rêve que j'ai cru faire. Celui de me réveiller dans un autre lit". Je pense immédiatement à l'univers et à la voix de Robert Wyatt. Oh oui. Quand j'irais leurs en parler, ils m'avouèrent tous ne pas connaître (tout de même !). Et Laurie Henderson, vous connaissez ? [...] Il chantera quatre titres jalonnant de poésie la musique initiatique. Merle siffleur, beau rossignol, Sacre du printemps, maître chanteur.
Il y a des électrodes dans les cordes de Curtis Stewart, de la lumière au néon dans le filament de la flûte. Les pizzicatti pleuvent sur les vitres. Je fuis de la ville, atterris en Laponie. C'est là où je suis, sur un Zinc Lapon. Le saxo bourdonne, le cello de Martino siffle. Les grognements se faufilent comme des serpents. On veut faire mouche, on fait condor. S'il y avait des images, D. Lynch serait son realisator.
La belle Carmel au violon grince, couine, gémie, raille, gargarise et enfin caresse ses cordes fines. Le trombone poursuit, titube, fait mine de chavirer, swing par frottis, dodeline, un peu éméché pardi, Puis se reprend subitement, en double salto arrière triple flip croisé, il devient poussière. La corne de brune se transforme en carillon de Mai.
A l'origine, la plupart des composition de JASON sont écrites pour son trio NOW vs NOW. On ressent pleinement la complicité déterminante entre le pianiste et son bassiste illuminé : PANOGIOTIS ANDREUS, qui nous offrira un scat sur basse en réinventant l'esprit du grand Major Holley. Quelle énergie !
MARC GUILIANA, le troisième larron, est décidément un batteur à part. Il a parfois les mimiques cold wave à la Stephen Morris, dans Joy Division. Epilectique. Rebondissant. Mais son utilisation des cymbales ne fait penser à personne d'autre. Quand vous l'écoutez aux côtés de Dhafer Youssef, vous comprenez ce que mes mots ne peuvent exprimer.
Pas d'improvisations dans cette prestation ; du millimétré sur papier de soie. Les poils se dressent, le coeur accélère, est-ce une larme qui perle au coin ? Mon corps exulte en même temps que celui de tous les biens assis - petites abeilles besogneuses butinant le nectar des compositions florales. Chacune renferme un sucre gouleyant. Un basson vient irriguer la mélodie bourgeonnante.
Après le second set, nous passâmes une vingtaine de minutes à discuter avec JASON, un type d'une gentillesse déconcertante. Ben oui, y'a des soirs, c'est comme ca ! Je lui transmet toute mon admiration, encore sonné par ses récits sonores. Il me fait savoir qu'il enregistre, dans les prochaines semaines, avec cette même formation et me fait l'honneur de m'offrir une des maquettes de son disque. Je ne sais comment le remercier pour la magie de sa musique. J'espère que ce petit texte lui rendra modestement l'hommage de mes émotions.
Jason LINDNER est un nom à retenir. Certainement l'une des plus belles découvertes de mon séjour new yorkais. J'espère que sa musique vous parviendra...
Pourquoi JASS ?
Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
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