Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

dimanche 3 avril 2011

Un goûter dans le Bronx chez mamie Eliot.

555 Edgecomb Avenue.
Angle 160e rue
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"PAR CE BEAU JOUR DE PRINTEMPS"
Qu'il pleuve ou qu'il vente, l'hiver comme l'été, chaque dimanche, à l'heure de la sièste, mamie Marjorie reçoit ses amis, les buccoliques du quartier. Son unique souhait, depuis près de ving ans : ne plus passer sa fin de semaine seule. Tout a commencé quand son fils Phillip est décédé, à l'âge de 32 ans, le jour du seigneur il paraît. Ancienne actrice et écrivaine, sa croyance, depuis, c'est sa solitude, qu'elle réussit si bien à partager. Un rituel gâvé de modestie qui n'est résolument pas près de s'arrêter.

NOBODY KNOWNS THE TROUBLE I'VE SEEN.
Des coupures de journaux ornent sa porte n°3.F, vous ne pouvez pas la rater. Au fond à gauche, en sortant de l'ascenseur. Vous serez peut-être surpris, en bas, par la beauté du hall d'entrée, tout en moulures et fresques d'or vif. Mais, chez Marjorie ELIOT, c'est tout simple, suranné. Poussez la grosse porte, faites vous discrets, et entrez sur la pointe des pieds. On vous proposera certainement un biscuit sec et une compagnie enivrante.
Un grand couloir un peu sombre, où les gens s'entassent comme ils peuvent. Sur la gauche, une cuisine blanche qui sert aussi de coulisses. Puis, le modeste petit salon, où est installé le piano, celui qui fait vibrer tout le quartier d'Highbridge Park. Un peu de partout, des chaises sont entassées pour l'occasion. Mamie a sa célébrité désormais. A tel point qu'il faudrait presque s'y prendre à l'avance pour y voir quelque chose dans cette gargotte improvisée.
Les grand-mères du quartier ce sont apprêtées, pour une messe bien spéciale. L'une d'elle fait partie du show. C'est son amie de longue date. Elle me dit avoir été là depuis le début. Elle ne manquerait pour rien au monde un concert du dimanche. C'est son jour à elle aussi. En pantoufle turquoise, pantalon de cuir fuchsia et pull violet, elle dirige les nouveaux arrivants en les rabrouant : "Vous êtes en retard. Bon. Mettez-vous là et taisez-vous." Bien, bien... personne n'ose broncher (pas intérêt !). Toute la fierté d'un Bronx bien rangé, qui n'a pas l'intention de se laisser marcher sur les pieds.

LOVER MAN.
Mamie tient la baraque – ne riez pas – ce n'est que de l'amour qu'elle a à nous donner. Ses grands doigts agiles se promènent, enivrés, sur le clavier jaunit. De sa chambre sortent un à un les musiciens, des habitués eux aussi. Un trompettiste japonais, son fidèle ami contrebassiste et un français exilé, Cedric le saxophoniste, qui l'accompagne depuis maintenant 11 années. Quand ils ont terminé leur morceau, mamie les renvoie dans leur chambre et leur demande d'appeler le musicien suivant. S'il sont trois à jouer, il faut pousser les meubles en bois sculptés et demander au public de reculer.
L'interphone coupe par intermittence la mélodieuse musique et apporte une touche "so typic" à l'expérience. Je m'assieds dans le couloir – entre des factures de téléphone et des cartes de voeux d'été – et observe, de la porte dégondée, les interstices d'une musique d'un autre temps. Ça sent bon la lavande, l'eau de fleur d'oranger, la camomille, et un peu la javel aussi.
Mélancolie, tendresse, douceur, désespoir, il y a tout cela dans le jeu de Ma'jorie. YOU DON'T KNOW WHAT LOVE IS, joue-t'elle. Pour seule partition, elle dispose d'une photo de ses deux fils qui l'on quitté. Mamie Marjorie noie son chagrin dans la musique. Elle aime le ragtime et sait drôlement bien swinguer. Son plancher craquouille en tempo sous le joug des coup de pieds spectatifs, qui battent la mesure, et participent à leur façon à cette belle communion. Jusque dans la cuisine, on remue le vaisselier et témoigne son soutien jovial. Les jeunes et les anciens font tanguer leurs coques de noix sur les flots d'une mélodie d'huile qui tempête fort fort à l'intérieur. Tellement simple et tellement juste, on vient chercher, dans sa musique, du réconfort et de l'amitié. Dans son petit nid, la sagesse d'une souffrance qui sourit. J'entend sortir de son vieux piano droit la douce voix de Chet. A l'intérieur de moi, des mélodies anciennes désuètes et tendres. Une bulle de souvenirs qui jamais ne pourrait s'éclater.

YOU CHANGE. Dans le fond du salon, près de la fenêtre en dentelle brodée, une petite photo d'elle (cette mamie de 20ans) aux côtés de Billie Holiday. Marjorie n'a qu'un petit chandail blanc mais son regard gracieux, haut levé, admire d'un tel regard la diva en fourrure qu'elle ne pourra jamais s'en détacher. Elle dit vouloir entendre la voix d'Holiday quand son piano chante (dure affaire). Toutes les chansons sont dédiées à ceux qu'elle ne pourra jamais oublier : sa chanteuse préférée, Martin Luther King et ses deux enfants, évidemment.

Le jour baisse peu à peu dans la salle toute groguie d'amour. Tout le monde voudrait rester mais il est temps de se quitter. Le coeur un peu plus léger, Marjorie applaudit ses convives qu'elle conduits un à un à la porte, les saluent chaleureusement d'une sacrée poignée et, doucement, retrouve sérénité. Le concert est gratuit. "Je reçoit plus que ce que je donne" dit-elle pudiquement. Mais sait-elle seulement combien de personnes elle a sauvé, de ces longs et tristes dimanches qui, aujourd'hui seulement, nous font chanter.

Pour plus de renseignements appelez Mme ELIOT : 212-781-6595.

2 commentaires:

  1. Qu'est ce que j'aime cet article...
    Je l'ai lu plusieurs fois, et à chaque fois j'entend le son du piano, je vois le salon, je suis avec vous!
    Ca ça fait vibrer! Faire passer les émotions derrière un pauvre écran d'ordinateur, ça c'est l'écriture!

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  2. Voici exactement une chronique de l'amour extraordinaire! Ce petit article m'a mis les larmes aux yeux et de la tendresse dans le coeur. Je vais rester enivrée des odeurs de lavande, de fleurs d'oranger, de camomille et de javel...et bercée par les notes mélancoliques sorties de ce piano pour un goûter de dimanche!

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