Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

mercredi 27 avril 2011

RENCONTRE V : JERALD H. MILLER, un producteur "nu" generation !

Immersion dans le "Nu" JAZZ ENTERTAINMENT



Plusieurs raisons me conduisirent à rencontrer Jerald H. MILLER, producteur new yorkais de taille, actuellement sur le devant de la scène musicale.

La première était d'ordre général. Je souhaitais simplement confronter mon regard sur la musique - le jazz en particulier -, avec celui d'un professionnel du son. Voir comment le travail de diffusion est réalisé aux Etats Unis ; quelle place pouvait avoir le business dans l'art. Si la thématique demeure évidemment la musique, son exécution, ses acteurs ; les questionnements d'un producteurs sont, pour autant, différents de ceux d'un artiste. Quels sont les liens entre ces deux professions complémentaires qui, par essence, ont des contradictions ?

La seconde était plus particulière au personnage. En effet, depuis la mi-janvier 2011, ce producteur avant gardiste de 39 ans a lancé sur le marché un nouveau concept d'écoute musicale, sponsorisé et diffusé par la firme hégémonique d'Apple : i-tune. Quand est-il de ce projet ambitieux ? En quoi pouvons nous parler de "nouveauté révolutionnaire" (dixit l’intéressé) ?

Nous nous donnons rendez-vous au pied de son studio, dans le quartier d'Union Square. Je comprends vite que Jerald ne souhaite pas traîner sur son lieu de travail. Il prend son mac' sous le bras et me convie à prendre un thé, un peu plus loin, pour discuter "plus tranquillement". Soit.
Passer commande. Dégoter deux chaises. On verra plus tard pour une table. "Tranquillement" disais-t-il ? Peu importe, nous sommes enfin installés. Il ouvre son computer et me demande :

"Pourquoi tenais-tu à me rencontrer ? Tu es un musicien c'est ça ?".

"Oui, je joue du sax. Mais ce n'est pas la raison qui me conduit à te parler aujourd'hui. Pour faire simple, je souhaite me faire une idée de ce qu'est le monde de la production musicale à New York. En quoi cette ville est si particulière ? Peux tu me parler de cet autre versant de la musique, afin que je comprenne comment l'on passe du jeu à l'industrie ?"

"Et bien, si tu veux apprendre quelque chose sur la production, tu dois d'abord savoir qu'il n'y a pas de généralités. Chaque producteur travail selon son idée. Les choses sont différentes pour chaque rencontre. On peut dire que je me positionne au milieu... c'est à dire que mon approche de la production n'est pas imposée. Pour ma part, il est important de tisser des liens intimes avec les musiciens qui acceptent de travailler avec moi. C'est le cas pour la famille Marsalis. Je veux que les artistes soient libres. "

"Qu'entends-tu par libre ?"

"Qu'ils aient entre leurs mains, une fois le projet achevé, le produit qui leur ressemble. Tu imagines la frustration pour un artiste qui ne reconnaîtrait pas son reflet dans sa musique ?".

Jerald me montre alors directement son nouveau projet. Il ouvre sa page i-tunes, sélectionne l'album de ELLIS Marsalis : An open letter to Thelonious, attrape le jack de mon casque (toujours autour du cou) et me dit : "Regarde, écoute, promènes-toi, tu vas vite comprendre ce qu'est mon travail."
Je m'exécute. Après cinq bonnes minutes de navigation musicale, je retire le casque, un peu sonné, et rattrape en cours ses mots qui, je dois l'avouer, fusent à toute vitesse avec un accent à couper au couteau (pas facile non !).

"... tu vois, il y a tellement d'aspects dans la production. Ce que l'on évoque ici touche une partie de mon job. C'est la finalité. Mais toutes les étapes antérieures sont primordiales pour comprendre comment l'on conçoit un projet".

"Quelles sont-elles ? Est-ce différent quand on parle de hip-hop, de pop music, de R'n'b ou de jazz ?"

" Complètement différent. A vrai dire ce n'est pas le même métier. J'ai travaillé avec les Fuggees au début des années 90. Ca représentait 17 millions d'albums. Quand Lauryn Hill sort "The Miseducation", elle remporte 4 Grammy's, bien avant Beyoncé, Alicia Keys... Je peux t'assurer que le managment prend une autre dimension. Si tu regardes mon MP3 tu verras plus de musique actuelle que de jazz New-Orleans, c'est sur."

"Alors pourquoi avoir choisi de produire du jazz ?"

"Justement, parce que la donne est différente. Le rapport aux artistes n'a rien à voir dans cette configuration musicale. J'ai commencé à produire mon premier album de jazz à 23 ans. Les critères ont énormément changé depuis les années 80, crois-moi !".

"Je n'en doute pas... Quel était ce disque ?"

"BILLY TAYLOR ! Music keeps us young, avec Steve Johns, Chip Jackson. A ce moment là il n'y avait pas de jeune mec black à la production. Regardes chez Blue Note, Verve, Concord... nul part. Être l'un des seuls hommes noirs, et l'un des plus jeunes, à travailler dans l'industrie de jazz, apprendre à gérer des carrières d'artistes, les guider, tout cela était – et est toujours – une leçon d'humilité. Au début des années 80 j'étais le seul de ma génération. J'écoutais plus les artistes qu'ils ne m'écoutaient."

Et Quincy Jones ?

"Ça n'a rien a voir (je me ferais presque rabrouer). Premièrement le parcours de Quincy ne ressemble à aucun autre. Il ne produisait plus de jazz à cette époque. Il avait ses propres projets, de musicien-producteur. Son assise s'est faite comme cela. Deuxièmement, il était loin de débuter au début des années 80. Le métier de producteur a beaucoup changé. J'adore Quincy. Nous n'avions juste rien de similaire."

Qu'est ce qui a fait ton originalité à cette époque ? Comment as-tu réussi à faire accepter ton travail ?

" J'ai commencé dans le monde du spectacle. Mes premiers jobs se sont faits chez EMI, RCA/BMG, Sony Music. C'est surtout grâce Spike Lee Film Company que j'ai pu me faire connaitre. Je m'occupais des B.O."

Il y avait donc toutes sortes de musiques dans ton bagage... Comment es-tu venu au monde du jazz ?

Quand Duke Ellington est mort, sa famille m'a demandé de manager le DUKE ELLINGTON ORCHESTRA. Je me suis juste dit wahou ! a 24 ans tu peux manager la musique de l'une des plus grandes personnalités du jazz. Let's go ! Tout s'est enchaîné à une vitesse incroyable à partir de là. C'est comme cela que j'ai pû travailler avec Benny Golson, mais également avec Lauryn Hill, Steve Stoute ou Pharell Williams...dans un autre genre"

"Les gens devaient se dire : Qui est ce jeune ?"

"C'était exactement ça. On m'a accepté parce que je venais de nul part. Je n'étais pas associé à l'image de quelqu'un de malfaisant pour la musique du Duke. C'est une des particularités de la production américaine... on laisse sa chance aux plus combatifs.".

"Effectivement, en Europe ça ne fonctionne pas vraiment comme cela ! Ce que les artistes aimaient dans ton travail c'était peut être ça, le fait de ne pas être connu, d'être proche d'eux ? Est-ce comme cela également que tu as rencontré la famille Marsalis ?".

" Nop. J'ai rencontré Wynton à l'âge de 16 ans, au Texas (là d'où je suis originaire). Il m'a fait suivre les études dans l'école de son père Ellis, en New-Orleans. J'ai été rapidement comme adopté par la famille. Mama Marsalis me présente comme son 7ème fils. On peut dire ce que l'on veut, une chose est sûre, si je n'avais pas rencontré Wynton et fait le choix de le suivre, le jazz n'aurait pas eu la place qu'il a aujourd'hui dans ma vie. Je les voyaient travailler tout le temps. En famille chacun dans leurs coins. Ils se motivaient mutuellement. Les frères se disaient tout le temps : "qu'est ce que tu as appris ? Tu peux me montrer ? Et Ellis supervisait d'un oeil paternel... Ça m'a vraiment boosté. Ce n'était pas une providence, c'était une belle chose pour moi."

Jay continue à évoquer le parcours des Marsalis. Je fouille dans mon sac et sort le dernier numéro de DOWNBEAT : " JAZZ CLAN – Master of the Masalis House ". Il s'emballe, me parle d'argent, de Grammy's, du nombres de disques vendus par la famille... c'est inévitable.

[...] "Tu vois ! Cela fait des années que ça continue... Ils sont toujours là, en premier plan."

"Ce qu'il y a d'intéressant avec cette famille, c'est qu'ils représentent une tradition, le jazz des origines en Nouvelle Orléans, mais également un jazz contemporain. Quand tu regardes le travail de Wynton dans son projet Vitoria Suite (cf. Article mars 2011) tu te rends compte qu'ils sont à l'avant-garde d'un jazz moderne. Dans le projet que tu as monté, c'est Ellis, le papa, qui en est le pilote, ce n'est surement pas un hasard..."

Je navigue sur son ordinateur. Passe d'une rubrique à l'autre... reprends mon casque et continue mon voyage virtuel, en musique.

"Il est temps que tu me parles de ce nouveau concept. Qu'est ce que le "NU"-JAZZ ENTERTAIMNENT ?"

"J'ai voulu me débarrasser des contraintes politiques imposées par les compagnies de disques pour mettre l'accent sur la priorité de ce métier : la musique. La publicité se fera par elle même. Ainsi , je pourrais investir dans deux domaines primordiaux : d'abord dans les redevances à l'artiste en pourcentage fiscale, ensuite en investissant dans le développement et l'aquisition de nouvelles oeuvres musicales.
Mon travail de producteur est intimement lié à mes affinités musicales. Sans cela, je ne pense pas que ça puisse marcher. Il y a beaucoup de fausses idées sur la production musicale. En tout cas, pour ma part elle n'est pas aussi compartimenté qu'en Europe. C'est un tout. Tu sais, en même temps que les artistes dont je m'occupais ont grandi, j'ai aussi grandi. Le jazz est enraciné dans des valeurs : l'honnêteté, la simplicité, la loyauté, le travail, l'amour aussi... ce n'est pas parce que je travail avec i-tunes que je vend mon âme. Tu comprends ? Je resterais toujours fidèle à mon intégrité.

"Aussi, peut-être, pour que le projet fonctionne tu te dois de rester fidèle au jazz, tout simplement ?"

" Bien sur..."


"Ton slogan c'est La musique, l'histoire, la mémoire, explique moi pourquoi ".


Ce que je voulais par dessus tout c'était éduquer l'auditeur. Ce projet est un tout. Il se compose d'une production musicale – en haute définition –, mais également de vidéos, de photographie. Il y a un gros travail sur le texte, dont je me charge entièrement. Chaque nouvel album est juxtaposé avec un portrait global de l'artiste en question. C'est un catalogue musical, un hommage au jazz. Tous les communiqués seront distribués uniquement via le téléchargement numérique. Les produits ne passeront plus par des points de vente, mais directement du producteur au consommateur, d'une façon quasi instantanée. C'est pour cela que nous pouvons le commercialiser, à moindre coût, dès son lancement. 15$ par package, c'est honnête !
On  peut dire qu'il y a un désir de mémoire. Laisser une trace qui, dans cette structure, n'est pas matérielle mais va au-delà de ce qu'un disque "classique" peut offrir. Ok ?


Qu'allez vous faire pour les jeunes artistes. Auront-ils une place dans ton "Nu"-jazz Record ?"

"Tout à fait. Il y aura à la fois des enregistrements historiques ; ceux des principaux maîtres du jazz tels que Duke Ellington, Miles Davis, Herbie Hancock ou John Coltrane... mais surtout une forte promotion pour de nouveaux artistes, afin de perpétuer la culture jazzistique, sans ce renfermer dans son seul passé. Il y en aura pour tout le monde. Au lancement, j'envisage un minimum d'un nouvel enregistrement par semaine qui n'aura jamais été publié et qui ne sera disponible qu'en numérique."

" Concernant les vidéos, les définitions sont particulièrement pointues. As-tu mis l'accent sur cette donne ?"

" Je travail en multi-caméras. Tous les enregistrements vidéos sont faits, eux aussi, en haute définition. Ils offrent une perspective unique sur les artistes, une proximité. Chaque album est simultanément enregistré pour la vidéo ; dans les studios comme en live. Ça donne un aperçu novateur de l'énergie des artistes, de tout ce qui n'est pas musique mais qui la sert. Tu vois ce que cela signifie ? Une énergie brute mais également la recherche de l'expression musicale plus complète. C'est un vrai plus pour les passionnés. C'est aussi une perspective intéressante pour les novices, qui peuvent se représenter la musique dans un cadre intimiste, un aperçu personnel de l'artiste. Cela rejoint l'art mais aussi l'artisanat.".

Quand pense Ellis Marsalis, l'artiste pilote de ce "nu" projet ?

"Il aime... si ça marche". (rire discret)

Quels seront les prochaines sorties prévues sur ce format ?

"Le batteur Geoff Clapp, le saxophoniste Jimmy Greene (il me fait découvrir les maquettes du projet avec Lucques Curtis et Kendrick Scott), il y a également les nouveaux talents, l'organiste Jason Marshall et Walter Blanding seront les sorties des prochains mois."

"Donc c'est simple, j'ouvre mon i-tunes, je me rends dans l'Apple store et, pour les disques produits pas "Nu" JAZZ ENTERTAINMENT j'achète, en même temps que la musique tout le package assimilé. Et ceci est possible dans tous les pays du monde, c'est cela ? En fait, si ça marche, c'est la mort du disque, le coup de grâce !"

"Le disque est déjà mort, pour ceux qui le veulent ; il existe encore, pour les puristes. Tu sais, si quelqu'un veut un disque il va sur Amazon. Regardes Virgin est fermé, Tower Records est fermé... i-tunes est un complément au disque, pas une entrave."

Nous finissons comme nous nous sommes rencontrés. Le chemin inverse. Nous papotons encore quelques minutes, le temps de retrouver mon trou de taupe. Au fil de la rencontre, Jerald est devenu de plus en plus ouvert à ma personne... Nous nous saluons pudiquement. Il me fait savoir qu'il pourrait me présenter la famille Marsalis au Rose Center, prochainement. J'attends avec impatience...

En sortant de l'interview, je me connecte sur le net et me rends dans mon i-tunes, pour tester le produit par moi-même. Le chargement est ultra rapide, la qualité de l'enregistrement bleuffante. Je me retrouve sur la façade déjà consultée avec Jay. Tout en écoutant le dernier album de Ellis Marsalis, hommage a Thelonious MONK, je consulte les informations, navigue sur le serveur... C'est simple et efficace.


Je le répète souvent : pour moi, le support en musique a une importance de taille, dans l'assimilation même du son (cf. article avril 2011 : "T.MONK, l'écoute avant le son"). Le choix de Jerald est d'utiliser les nouvelles technologies, visant à effacer le matériel, au profit d'une écoute 100% numérique, pour retrouver l'âme d'un disque d’antan (sa pochette, son livret explicatif...), "en mieux", dit-il.


Un projet révolutionnaire ? L'histoire le dira. Novateur ? Certainement.
Pour ma part, il ne remplacera jamais le disque ; il le complétera peut-être. Une chose est sûre, plus on écoute, plus on a envie d'écouter... et donc d'acheter.

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