Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

mardi 12 avril 2011

RENCONTRE IV - ILHAN ERSAHIN, ENTER THE NUBLU

A la recherche de la nouvelle Note Bleue.


Il fallait bien se remettre en question, mélanger un peu mieux le jeu de cartes. Un mois passé à New-York : toujours pas rassasié. Chaque expérience a un effet nourricier, parfumé de curiosité. S'il me faut encore assimiler les recettes du quotidien, je m'étonne de l'évolution de ma propre cuisine fusion. Pourtant, un rythme s'installe alors que, dans cet immense méli-mélo, se dessine le croquis d'une ville qui m'échappe toujours. Je devais me perdre pour trouver.


East Village fourmille d'atypiques endroits atomiques. L'ancien ghetto de Manhattan est the place to be. Il faut y prendre un autre rythme, y aller tout doux. Un grain de folie légère émane de ses clubs dissimulés. Leurs enseignes n'existent que dans l'imaginaire. A chaque recoin de l'Alphabet City, nous pourrions pousser une porte et tomber nez à nez avec la fraîcheur underground. Ce quartier est, sans doute, aussi vivant que pouvait être SoHo dans les années 70-80 ; dans d'autres définitions socio-temporelles évidemment.


J'étais curieux de connaitre le NUBLU, situé à deux pas de Tompkins Park où vécu Charlie Bird Parker. Avant de fouler le bitume de la terre promise, j'étais déjà intrigué par son créateur, l'innévitable Ilhan – musicien, producteur, maître de party. J'avais appris sa venue à New-York, une vingtaine d'années auparavant. La création, en 2002, de son antre cachée dans un vieux hangar, l'écho de fantastiques soirées, jusqu'à Paname me parvenait. Un effet sonar. Je suivais régulièrement son actualité sur son website (fait maison), ne manquait aucune sortie de chez NUBLU RECORD (fondé en 2005). Wax Poetry, oh j'aime ; le triptyque Istanbul-Copenhague-Rio, une vraie claque ; LOVE TRIO... vous allez voir.
Bref, je me délectais et attendais le moment propice, comme l'on savourerait un mille feuille page par page. Un ou deux mails avec Ilhan, le mot de ralliement est "Peace" – plutôt conventionnel.
"Peace" coûte 10$ pour entrer – quelque soit le soir. "Peace" n'a pas de valeur pour sortir. « l’endroit le plus cool au monde », dixit le modeste Ilhan.

Pourtant, le jour, c'est pas folichon au n°56 de l'avenue C. D'extérieur, ça ressemblerait plus à un riokan japonais ou à un tripou en fin d'activité ; un côté usine clandestine de textile chinois avec le charme caché d'un botequim des favelas.


Je check le site pour m'assurer de la programmation et des horaires. "Ouverture des portes 20h". Classique. Je me pointe à 20h15 (légère marge de manœuvre), croise Ilhan et son saxophone plié, juste devant. Les présentations faites, il me fait savoir, avec étonnement, que rien ne ce passe ici avant 23h – Minuit. Il me dit habiter juste au dessus, "Dans l'appartement là, tu vois ? Passe quand tu veux dude". Ce soir ça va être bon je pense ! Tu devrais venir, on pourra discuter." C'est entendu Ilhan. A tout à l'heure."  "Thanks Bro'. Peace".

Le temps d'avaler un angus burger, de me rincer le gossier, le NUBLU a changé de gueule. Peut-être moi aussi...

  HAUT – PUBLIC

Quand on passe le porche et qu'on se parvient à se désemberlificoter du pesant rideau velours de cinéma qui obstrue l'entrée (un test pour non initiés), on peut enfin prendre la mesure de l'espace. Le plus accueillant des garages. Les caisses de lager tintent.
Ça dépotte méchant au NUBLU. Welcome la vie. Des projecteurs balancent, en saccadé, des vidéos aux couleurs saturées. On pose le regard sur des danses zoulous, du cinéma Warohl Factory, un concert des Stones, de la batucada brésilienne, du breck dance, U-Roy, Sun Râ...
Sur les murs : des fresques à la craie rose, un tableau kandinskien, une grande toile japonaise en canisse, des graffitis dédiés à l'amour du Satyricon, un dessin de Jim Jarmush... Et puis, une simple frise de vinyles, encadrés
en enfilade, couronne les petits salons 70's – gouttes de formica blanc, taches de plastique orange, fauteuils Star Treck. En vrac : Peter Tosh, Massive Attack, Bowie, Jobim, Ornette Coleman, Butch Morris, Ravi Shankar, la B.O de la Dolce Vita, Miles On the corner, Fela, Oran Gencebay, Amour incestieux de Barbara...

Tournez la tête. Là ! L'immense bar en zinc et bois s'ouvre sur la D.J's place, petit recoin tenturé, surmonté de quatre belles platines Pioneer et d'une flopée de vinyles dub jamaïcains. No CD's, please ! Dans l'arrière salle, une scène ovale irradiée et deux grands sofas désossés donnant sur un patio où il fera, dans quelques jours, bon y être.

Les amateurs de musique sont aux aguets...

C'est une ferme qui cocotte, un building en carton patte, une exposition sans tableaux, un Brésil en bikini, un chaudron de magique potion. NUBLU, c'est ce que vous voulez. ARE YOU EXPERIENCES ? La NEW note BLUE d'Ilhan vogue au dessus des charpentes métalliques.

 Nous avons l'impression "d'entrer dans son cerveau quand il rêve" (J.Habrigian). Pourtant, ce lieu lui échappe. C'est sa recette. S'il passe faire un tour chaque soir, Ilhan ne joue que le samedi, très tard, vous l'aviez compris, vous ! Chaque semaine, un ami musicien fait sa programmation. Les DJ's changent. Tous les jours, deux ou trois grandes performances live viennent ponctuer les mix enfumés.

Info importante : c'est le mercredi que les initiés se donnent rendez-vous pour les grandes soirées brésiliennes, Forro In The Dark s'occupe de tout (Mélanie Pensamento para você).

Samedi dernier, le premier set se situait entre le jazz argentin et le rock progressif musette !? Y'a qu'à voir Fernando OTERO et son band-au-néon de couleurs vives pour comprendre.

Apercevant Ilhan au bout du comptoir, je lui propose de reporter notre discussion à un autre jour, vu le boucan de tout les diables qui s'installe dans la salle joyeusement remplie. "On peut aller se mettre peinard en bas si tu veux ?". Heu... comment te dire... "Mais si LE JAZZ-LIFE (accent français), y'a tous les gars du groupe, c'est tranquilleeee !". Dans ce cas là, let's go !
Nous descendons l'escalier peinturluré et frôlons 27 personnes aux yeux bloqués. Toc toc. Une porte dérobée. On vient nous ouvrir comme à des agents secrets. J'ai le mot de passe ! P...


BAS - PRIVE

J'entre dans un caveau en béton ciré, une grotte bariolée de peintures rupestres futuristes. Ilhan me fait asseoir dans un bon gros fauteuil tout pérave et me colle un truc dans la bouche. Il commence à me présenter ses gars. "C'est Louysse LE jazz-life from FRANCE". On dirait un cigare ce truc... pfff... keuf keuf.. je me décolle un poumon (c'en est pas). Affalé dans un canapé, tout aussi miteux, un type m'observe. J'embraye, le salut, lui dit : "tu dois certainement être Arto (Tunçboyaciyan j'y arrive pas, donc c'est Arto) ?"
"T'es un bon toi. Le français sait qui je suis ! Ah ah. allez Fume." Non, bien vrai. J'aimerais juste rester en vie, pour le concert au moins.

"AH AH. Bon alors, c'est quoi le JAZZ pour toi au juste ?".
je deviens l'interviewé – pendant qu'Ilhan fait des embrassades en annonçant qu'il se mettait depuis peu à la guitare.
" C'est une idée qui fait rêver, hein ? ", réplique t-il malicieusement. Il me dit qu'en Europe, particulièrement en France, nous vivons dans l'imaginaire d'un jazz nostalgique. C'est peut être exact. Mais je lui réponds : "pas uniquement, puisque je suis là ! Et puis entre nous, qu'est ce que les turcs connaissent au jazz ?".
"Bien joué. Ah ah ah [...] Pour moi c'est un état d'âme. Chacun a la liberté de faire vibrer les émotions qu'il veut. ". Validé. Ilhan continue à s'activer. Je reste donc à discuter un bon moment avec l'espiègle Arto.

Je lui demande de m'expliquer le concept de son LOVE TRIO . Il se met à me faire une diatribe sur l'amour en oubliant que la formation dans laquelle il jouait ce soir avait ce nom. Bon on est pas sortie de l'auberge ! L'interview va – indéniablement – prendre une tournure inattendue. Je range gentiment mon petit carnet de notes, avec mes belles petites questions, et écoute, tout simplement. Leurs bios, tout le monde peut se les procurer fastoche, pensais-je pour me rassurer.

Ilhan se met à bloquer sur mes pompes. "J'ai jamais vu des chaussures aussi belles, mec ! Hé, les gars, regardez-ça, c'est la classe !". Faut dire qu'il y avait contraste. Les ripatons d'Ilhan étaient couverts de vieux godillauds, mi basket mi passe-montagne, élégamment enrubannées d'un large adhésif noir pour joindre les deux bouts qui, sans conteste, partaient en live. Il prend trois quatre photos de nos deux pieds côte à côte et me dit : "I want you on my BLOG ! Je peux prendre une photo de toi et de mes potes ?". C'est le monde à l'envers. "Pas de problèmes. Mais j'aimerais bien que tu figures sur mon blog too !". Séance photos. Tous le monde se marre.




Un mastard de latino et deux trois gars font leur entrée. Parmi eux, le bassiste JESSE MURRAY et le batteur "épileptique" KENNY WOLLESEN, phalanges du Love Trio.

"C'est chaud là haut ! J'espère que vous êtes prêts !".          



                    
                             photos by Ilhan.
OK !

Si les trois ou quatre zozos dans la cave sont illuminés, ils sont loin d'avoir toutes leurs neurones cramées. Ils parlent musique. Brasil. Ilhan me fait savoir qu'il part la semaine prochaine pour Sao Paulo. je lui réponds souffrir d'une Saudade incurrable. C'est un virus réponds-t'il, avant d'ajouter "Il faut vraiment qu'on se voit. On va jouer là. Dès mon retour tu me fais ton interview Louyisse (de pire en pire). On se verra en face à face, ok ?". "Faisons comme ça, super. Music first".


HAUT bis – MUSIQUE

"Si Radiohead avait joué du Jazz, ça aurait sonné comme cela"
Erik Truffaz


A peine le temps de remonter et m'imprégner d'une bouillonnante luminescence, Arto sors de la hutte, frais comme un gardon. La tête haute, toujours coiffée de son chapeau retroussé, il se place sur le devant de la scène, derrière une caisse claire isolée. Commence à frapper, sur le beat - lourd mais pas trainant - du mix qui tambourine again. De chaque côté de la pièce, DJ et percussionniste sont connectés. Le timbre de la caisse claire, utilisée comme s'il s'agissait d'une darbouka, est plus perçant qu'une M7 chargée à blanc. Le son s'évapore sur les coups des doigts volubiles stratégiquement placés, il raisonne quand la paume maltraite la peau.

Kenny arrive, nonchalant, et commence à prendre la mesure. Puis, c'est au tour de Jesse. D'un coup, ses graves chevauchent ceux de l'Afrique DJ, leurs apportent une ampleur, un tanin. C'est au tour d'ILHAN d'activer son magnifique FENDER RHODE. Son Selmer Sax à ses pieds.

Un fondu enchainé d'anthologie s'installe sur plus d'une demie heure. Tous vient en douceur, comme dans les meilleurs concert du Dead. L'enregistré devient vivant. L'électronique sert le direct. Lentement le DJ baisse son volume, l'écho saturé au maximum dans ses platines continue de pulser la mélodie - toute vibrante - des rescappés du sous sol. Les rythmiques sont follement rebondissantes. Tribales. Une samba africaine ? Sifflets. Sifflets. Aux percussions on commence à galoper.

Sans qu'on puisse s'en rendre compte, cela fait un moment que les platines ont fait silence. Ça gronde toujours autant. Depuis, la scène à pris feu. Les incantations dervish dansent sur la Turquie voodoo. J'entends les indiens de Redbone. Un chef peau rouge prend d'assaut la musique noire. Jazz vous dites ?
J'entends les voix psalmodiées de nos églises romanes. Progressivement, un raz-de-marée de notes déferle sur le NUBLU. Entendais-je parler les grandes plaines du Bosphore ? Tous ces styles qui n'en font qu'un : Afro jazz. Electro dub. Drums & bass. Musiques populaires... Mes oreilles sont prises. Mes yeux mi-clos se posent sur la populace. Tous les âges et tous les genres se côtoient.

Un sentiment stellaire s'installe. Ilhan souffle fort et s'en remet à ses émotions de l'Instant. Sa musique libérée ne lui appartient plus. Elle est notre.

L'expérience finit en transe dans un chaos psychédélique new generation d'une puissance hallucinante. Pas un seul blanc. Pas d'applaudissements. Tout le monde danse encore. Un tour de magie ! Le groupe est parti ? Le DJ a pris le relais.

Que m'est-il donc arrivé ?

A suivre... Interview en MAI 2011.




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