Pourquoi JASS ?

Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-
être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.

lundi 18 avril 2011

Le New York, N.Y. de GEORGE RUSSELL

(23-06-1923 / 27-07-2009).

"L'éternité c'est long, surtout vers la fin"
(Woody Allen).

Promenade sur celle que je cherchais


Think you can lick it ?
Get to the wicket,
Buy you a ticket. GO !


Elle est là, dans mes doigts prisonnière – j'ai tout arraché – je l'attendais. La bande originale de New-York, la mienne. Le New-York, N.Y dont le jazz fut transpercé. Enfin, entendons nous bien sur B.O. Rien à voir là dedans le duo Minnelli-De Niro... C'est pas que je n'aime pas... et puis, y'en a tellement de très bons disques inspirés par New York... C'est un peu l'eldorado, la Mecque, le Taj Mahal... Vous m'en ferez certainement découvrir d'autres. Mais celui là, je l'attendais. J'ai jamais pu le trouver. C'est comme quand minot tu as enfin le bateau pirate. Tu l'as !

La visite s'ouvre sur l'éblouissante diction de John Hendricks. On arrive à l'aéroport, il nous attrape par la taille, jète les bagages dans un taxi... MANHATTAN... Go, go. Arrivé à l'échangeur Grand central station, il continue sa course. Un raz de marée humain obstrue les portées. Ticket, ticket... slap, slap. Tching. Check it out !crescendo <<< Charlie, slap, Persip. Tut tulutut ! Vous êtes arrivé Sir. Jon nous pose devant la sortie de la bouche...
Ca y est on peut se calmer. decrescendo >>> Lumière. Fritz : Action ! L'air semble pur. Les gens ne marchent pas si vite qu'on le dit. Si l'on est à l'aise dans son rythme, on ne voit plus que ceux qui adoptent le même tempo que nous, le bon (quand on a du temps). Andante. 




Ce New York, N.Y., est un trésor oublié, un disque d'école. Y'a qu'à jeter un oeil sur la formation pour comprendre.
J'envoie. John Coltrane et Benny Golson aux saxophones ténors, Phil Woods et Hal McKusick aux sax altos, Art Farmer, Ernie Royal, Joe Wilder, à la trompette.
Je continue. Bill Evans au piano, Bob Brookmeyer et Jimmy Cleveland aux trombones, Barry Galbraith à la guitare.
J'ai pas fini. Milt Hinton à la contrebasse, Al Epstein aux percu., Max Roach aux drums. Sans oublier l'instigateur du projet : GEORGE RUSSELL à la direction.
Rien d'un disque tribute. Pas de complaisance commerciale. Une poignée d'artiste qui changeait l'approche du son, ses règles.


Bill Evans vient de là. George était son maître d'apprentissage. En 1955, il est remarqué par le compositeur qui fait appel à lui pour l'enregistrement de l'album The jazz workshop (1956). Tellement singulier dans son approche du son, Russell a trouvé les doigts de son cerveau en la personne de Bill Evans. Ils enregistrent ensuite All about Rosie sur l'album collectif Brandeis Jazz Festival (1957), puis "mon" New York, N.Y. (1959), auquel s'en suivra Jazz in the space age (1960) et Living Time (1972). Jusqu'à la fin de sa carrière, Bill modela les formes du concept lydien. Il les sublimera en réinventant un instrument.

Evans take the "a" colt-TRANE, laisse parler sa fragilité sur le BIG CITY BLUES. Le piano en son silence planté, plein champ. Le cristal sur l'asphalte, fragile est son chant dans les turpitudes des instruments aux gros sons. Papillons de verre, ricochets dans le chapeau cuivré, un lampadaire du Washington Square. Sanglot d'un blues blanc. Heureux cafard d'une guitare minimaliste qui traîne la patte. Flugelhorn noir transperce la brume du soir. Les doigts continuent de courir inconscients. Au creux de la carcasse désossée, percluse de frissons, dentelée de morsures, clame l'innocence d'un chant solitaire.
Lactose, dexterose, manitol. Rimbaud dans le rétro. L'Hudson sort de son lit. "Et j'ai vu quelques fois ce que l'homme à cru voir".


L'histoire du voyage débute en 1934, lorsque que le professeur de Georges lui demande d'écrire un essai sur un sujet qui le touchait, une fantaisie ou un extrait de la vraie vie ; ce qu'il voulait, du temps qu'il aimait. A 11 ans, Georges choisit New York pour le glamour et le sophistiqué qui raisonnaient en lui lorsqu'il évoque cette ville. Pour la matière lourde qui instantanément le propulse dans les airs et lui fait briller ses p'tits quinquets. Adolescent, il s'intéresse d'abord aux sons des percussions. C'est toujours intéressant le parcours d'un batteur ou d'un percussionniste devenant compositeur et, en l’occurrence, théoricien de la musique. Certes pour la rythmique, véritable clef de voûte, mais plus encore pour l'approche des timbres sonores choisie qui, en règle générale, me touche et me fait poser nombres de questions... Lorsqu'il s'agit de Georges Russell, il commence très jeune – en parallèle de la rythmique – à chanter avec son voisin, le pianiste Art Tatum..................natif, lui aussi, de Toledo.
Et toujours cet écho alléchant d'un travail inabouti, qui le conduit à proposer à Milt Gabler – président de Decca Records – de faire correspondre à ses recherches un grand poème musical, une ode à la ville.

En plus d'être un rêve, la ville de New-York était une muse pour Georges. C'était aussi une identité imaginée, comme un stimulant, elle le faisait se dépasser. Il ne faudrait surtout pas la décevoir. Dans les projets précédents, il le dira, il était conduit par la synergie urbaine. Ce disque tournant a été ciselé sur tous les fronts. Georges Russell abandonne l'instrument et s'adonne à de la réalisation de cinéma pour aveugle. Les titres qui ne sont pas les siens sont des emprunts aux comédies musicales de Broadway de son enfance. Leurs titres sont là, l'écho d'un mélodique souvenir, et c'est tout. Réinterprétés de bout en bout dans leurs formes, elle redeviennent des pièces uniques à découvrir.
Le récit est raconté par Jon Hendricks. Sa participation dans le projet est majeure. Ses mots nous embraquent dans une promenade. Les tableaux d'une exposition, en plein air...

Promenons-nous dans l'East Side... l'AUTOMN IN N.Y. c'est déjà passé. J'en veux plus. Pourtant, rôde dans celui-ci une mélancolique errance printanière. Nous sommes un peu paumés. Dans du coton brumeux d'un soir de retour, la renarde maquillée d'une coquine goutte de miel, goulûment fait fleurir la saison. On annonce le grand renouveau... HOW ABOUT YOU... I'm glad, and you ? Une tapisserie sonore orchestrée graduellement comme un tisserin de l'imaginaire. Le fil des notes s'égrène sur le compteur du yellow cab débousollé. Votre adresse sir ? Où vous voulez !






En 1954, alors que l'âge du jazz moderne bat son plein, Georges Russell s'installe à New York et réalise son rêve. Il prend une chambre à l'angle de la 48e rue et de la VIe avenue, à quatre blocks de Swing Street, le centre du jazz de l'époque. Gil Evans recevait à l'époque ses amis musiciens pour parler musique. J'aurais voulu être une poussière munit d'un stylo (et alors ?). Ils ne devaient pas ergoter à tous va. Juste évoquer leurs futurs projets ; ou pas. Simplement se nourrir de l'Instant et du Temps. Ainsi, Georges Russell devint rapidement proche de Miles Davis, Charlie Parker, Gerry Mulligan, Max Roach... C'est dans l'une de ces soirées que Miles confia à Georges qu'il aimerait "APPRENDRE TOUS LES ACCORDS...". Humour à tiroirs ?
Sachant que Davis savait déjà arpéger tous les accords – et comment –, Russell en déduit que le trompettiste entendait, qu'il souhaitait trouver une façon nouvelle de jouer, plus ample, plus libre, en relation avec les accords. A partir de là, Georges commence à travailler sur de nouvelles techniques de jeu. Seize mois de convalescence tuberculeuse l'isolèrent dans une bulle de créativité. C'est à cette période qu'il développa ses nouveaux concepts musicaux.

By Bus, by plane, by car, by train... turlu turlu-tu'. Telala... poum. PÔUMMm. STOP ! Tchat, tudum tchak-tchâck... Où ça ? Je suis en retard. Lignes A,6,G,2,Z. From D to Up. Y'a le feu. Scat H.J. allez John, Slam ! [god damn't !] Scat Hendricks, scat. Le James Joyce du jazz jacte, gifle les joues de son jeu ; jurer, jamais. Poète vocaliste, rappeur amoureux. Et cavale Bill, cavale. Fuis, dans le vent. Décolle du sol. Dépasse les gens. Vos gueules les cuivres ! Ticket please... J'arrive Benny. Hé, MAX ! Tu peux pas ralentir là... tu nous tues !!! J'ai pas de temps à perdre les gars... faut suivre. Tchak-tCHak! TudouM / TudOuMTudoum tchak-Tchackk < Tccchhhssss sssss.

Sir Russell élabore la trame d'une théorie musicale qui deviendra Le Concept chromatique lydien d'organisation tonale. Plus qu'une méthode – une thèse, pourrait on dire – qui aura une influence bien au-delà des frontières du jazz. Il est temps de cueillir les notes bien mûres de leurs portées, de les déposer dans la grande corbeille d'osier tressé, de mélanger le tout et de cuisiner différemment. Dès les années 1940, Georges propose de jouer un jazz fondé sur des modes. On parle ainsi de jazz modal. [Avant de soupirer, poursuivez. C'est très simple. Je reprends.]
Le concept repose sur le fait de jouer une musique construite sur des gammes, ou des séries de gammes, plutôt que sur des accords ou des harmonies. Cette théorisation – l'une des premières dans l'histoire du jazz – permet désormais aux musiciens d'explorer les relations verticales entre les accords et les gammes, ouvrant alors des infinités incalculables d'associations sonores. Fastoche ! (en théorie). À partir des années 1960, Georges Russell ira plus loin dans son expérimentation en intégrant, dans son travail, l'atonalité ou la "pan-tonalité", pour reprendre ses mots.

La nuit couvre – velours – le son de la trompette pastel d'Art. Juste une bouffée d'air pûr dans la blancheur du soir. Lumière indéfiniment sûre, brûle, de sa fiévreuse douceur, l'intense désespoir. Coltrane s'envole au 128ème étage et redescend, quatre à quatre l'immense Rockfeller de papier ; il ne manque aucune marche, les balayent au passage, en fait des cocottes. Tu n'es, John, qu'un acrobate. Ta musique est un geyser jersey. Les plans libres de l'architecte Russell font éclore des buildings transparents, froissés d'azur, écrins de fer. Tout d'un coup, les rues s'élargissent. Une immense crevasse sonore prend son lit, dans un étang de lumière chimérique. Aveuglantes, les flaques de la nuit s'évaporent, au son aspirant de l'orchestre qui renfle, puis se dissout. Un flasque cornet titube en arrière fond. Les rouages des percussions gravillonnent sur l'asphalte roussie. Le trottoir sent la pluie, la mélodie hume gris. Le long sanglot d'un blues blanc...
Mais, il y a ces grands balcons d'orangers où Rosie étend ses linges mimosas. Vu d'en haut. Sur-classicisme sans bow-widows. En 1957, Russell écrit une suite pour big band et nous dit ALL ABOUT ROSIE. Elle est fraîche. Je la voie bleue cette Rosie. Un peu ronde, dynamique, les basses sont à ses pieds, les aigus ne se lassent de la courtiser. Belle ritournelle qui détale. L'alto de La Porta signe et touche. Elle se laisse séduire, son chant est pudique, mais il sort des tripes. 


La musique semble avancer sans se retourner. Les instruments galopent sans selles, libres de leurs expressivités.
L'album NEW YORK, N.Y. est enregistré en septembre et octobre 1958, ainsi que le 25 MARS 1959.
So what ? Le 2 MARS 1959, Miles Davis, également au côté de Bill Evans et de John Coltrane, enregistre sa première des deux sessions de Kind of Blue. Qui a écrit de Miles ou de Bill ? Russell a irrémédiablement inspiré.
So what ? Le 26 MARS 1959, Coltrane enrigistre son premier disque solo : Giant Steps. Son chef d'oeuvre de sa période modale, A Love Supreme sortit cinq ans plus tard.
So what ? La même année sort le 2eme disque solo de Bill Evans, Everybody Digs Bill Evans, un album où l'on retrouve la composition Peace Piece, enregistrée en décembre 1958.
So what ? Eric Dolphy, Herbie Hancock, Wayne Shorter ou Art Farmer n'ont pas décroché de la méthode de Georges... Réécoutez.
So what ? Tout en travaillant sur sa théorie, George Russell applique ses principes à la composition d'orchestre très rapidement. En 1947, l'orchestre de Dizzy Gillespie rend célèbre sa composition en deux parties « Cubano Be, Cubano Bop », qui préfigure la fusion du be bop et du jazz cubain, le "latin jazz", modal je vous prie.

J'ai comme l'impression d'être à touche touche des frôleurs, à contresens des flâneurs. Je ne vois pas le bout de l'Avenue. On parle Spanish ? Y'a plein de percussions qui chantent. Un trombone Brookmeyer quality street, c'est pas du vent. Bill Evans se met aux cigares cubains ? La rythmique MANHATTA-RICO chahute les harpions. Mouille bien ton hanche Phil, cher Woods, Philippe Petit des sons. Les twins sont là, tu les fais renaître.




« La musique modale, c'est sept notes à partir de chaque gamme, chaque note. Une gamme par note, une mineure. Le compositeur-arrangeur George Russel avait coutume de dire qu'en musique modale le do se trouve où le fa devrait être. Que tout le piano commence à fa. Ce que j'avais appris, c'était que quand on jouait en modal on pouvait continuer à l'infini. Inutile de se soucier des grilles ou des trucs comme ça. On peut tirer davantage de la ligne musicale. Quand on travaille de façon modale, le défi, c'est de voir quelle inventivité on peut avoir alors sur le plan mélodique. Ce n'est pas comme quand on s'appuie sur des accords, quand on sait, au bout de trente-deux mesures, que les accords sont terminés, qu'il n'y a rien d'autre à faire qu'à se répéter avec des variantes. Je m'écartais de ce système, j'allais vers des approches plus mélodiques et l'approche modale me semblait plus riche de possibilités. »
— Miles Davis avec Quincy Troupe, Miles. L'autobiographie p. 240-241, Infolio, (2007)


Oui, je l'ai mon NEW-YORK, N.Y. Certains d'entre vous le possedez peut être déjà depuis longtemps. Auquel cas, je ne sais si je dois vous pardonner. Pour ceux, qui comme moi, attendaient, je transmettrais. Et pour tous les autres, qui ont bien voulu m'accompagner au bout de ce voyage musical, même dans un champ de luzerne, sous un saule centenaire, j'espère que vous entendrez mugir les clameurs de la grande ville et toute l'immensité de ses douceurs sauvages.

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