Le piano solo – périlleux exercice stylisé – transmet, depuis les origines du jazz, des énergies identitaires. 10 doigts et 88 notes : des galaxies de possibilités pour définir une touche. De Jelly Roll Morton à Jason Moran, plusieurs générations de pianistes ont conceptualisé des musiques aux parcours solitaires, en studio comme en live.
JAZZ MAG-MAN (n°626-juin 2011) présente un dossier complet sur Les aventuriers du piano solo. Je ne reviendrais pas sur la nature de leur sélection subjective ; elles font, de toute manière, toujours appel à des sensibilités, et tant mieux !
Avec plaisir, je retrouve Dollard Brand d'Abdullah Ibrahim, Solitaire d'Erroll Garner, The Genuis of Bud Powell. Les sons sans mots de Fred Hersh, le premier Solal Solo, dispersés - pèle-mêle - avec 84 autres merveilles.
La plupart des disques choisis sont des studios. Mais l'exercice prend également son sens profond en public. Le solo live est divin. Parmi la sélection, je réécoute volontiers le concert au Japon de Brad Mahldau, Monk alone in San Francisco, ou encore Cologne et Scala, par Keith Jarrett. L’intense union du Savoir et de l'Instant, saupoudré aux tympans d'une salle qui crée, en résonance.
Deux albums, deux styles, ponctuant le génie de Bill Evans, sont aussi présentés dans le dossier. Il y a Alone Again et New Conversations. L'expérience de la solitude, celle d'un piano errant jamais perdu, commence par Alone vol.1. Il susurre Debussy, Stravinsky, Bartók même, avec du swing en dedans. J'ai cru entendre, un soir, son ami Glenn Gould...
Il faut toujours rappeler les oubliés... A un moment donné, on doit choisir, c'est vrai. Alors, je prends le relais pour parler de ROLAND HANNA, étonnant pianiste américain, en 2002 décédé.
Son expérience musicale (composition, piano, violoncelle) fit de l'humanitaire Sir Roland un moteur dynamique pour le développement des structures "jazz".
Je l'ai, pour la première fois, entendu dans l' "autre" version hommage au Concierto d'Aranjuez. Celle du guitariste Jim Hall, entouré pour l'occasion de Chet Baker, Paul Desmond, de Ron Carter et de Steve Gadd... Bill Evans, grand compagnon de Jim, n'était pas là. Jim fit appelle à Roland Hanna. Ceci explique cela.
J'appris, peu de temps après, à comprendre le parcours de ce lumineux musicien de l'ombre. Diplômé de la Eastman School, puis de Julliard, il eut joué, quelques temps, dans l'orchestre de Benny Goodman. Sarah Vaughan fit, à cette époque, appelle à ses services, puis Carmen Mc Rae, avant qu'il ne s'illustre aux côtés de Charlie Mingus, à la Half Note, c'était en 1959.
Il avait, durant les années 60, parcouru le monde avec de grands orchestres, dans ses propres formations. C'est ainsi, qu'en 1970 il partit en Afrique et qu'il fut anobli et promu chevalier par le président libérien, William Tubman.
Finalement, c'est après avoir travaillé avec le New-York Jazz Quartet qu'il décida de se produire en leader, et en soliste. Il aurait écrit plus de 400 morceaux, pour orchestre, petites formations et piano solo.
PIANO SOLO.
Les treize tableaux, de cette oeuvre en solo, furent enregistrées en France, lors d'une session privée de l'année 1974. Le répertoire se compose de huit standards, dont une extraordinaire reprise de Stompin' at Savoy, effrontément juste et novatrice dans son interprétation audacieuse.
Les deux compositions originales Perugia et Anone, magnifiques peintures impressionnistes, rappellent les Helvetia de Vincent d'Indy, la barque sur l'océan de Ravel. Désespérément bucoliques, les larmes d'ivoires roulent le papier buvard, moyenâgeux, l'inquiétante quiétude du soir. Tout son dévouement pour la mélodie improvisée révèle cette énergique primauté des ruptures et du remodelage.
Son habile dissociation encéphalique lui permettait de jouer, au même moment, deux structures rythmiques contrariées. La précision désaxée de son tempo est une marque singulière. Ses brisures ne sont pas celles de Monk ou de Bill Evans. Sir Roland a sa propre conception du swing, juste entre les deux. Tantôt extrêmement épurées, tantôt prolixes, les avancées claires des sonorités, leurs nettes articulations, sont entièrement disposées à la narration mélodique.
Assimilées à un amour profond pour la grande musique européenne, les interprétations disposent notre conscience dans une bulle contemplative. De discrets sentiments de mélancolie, si justement dévoués à l'expression du ressenti. C'est peut être cela qui lui confère cette allure surannée. Je le comprends ainsi.
Il composait avec un zeste de magie et de l'indiscutable bon goût. Il disait : "La musique classique a toujours été une force motrice dans mon travail. Mais le jazz me vient naturellement. Mon but serait l'effacement des frontières musicales. Pour moi, la musique est nourriture, je n'aime pas dire : ça vient des pommes ou des poires, mais simplement, ça a bon goût".
On ne sait dans quelle mesure commence véritablement l'improvisation dans la musique de Sir Rolland. Les harmonies luxuriantes ne sont pourtant pas en trompe l'oeil. Qu'il est bon d'entendre le savoir parler en retenu. Il prend la mesure de ne pas jouer, de poser la juste note, au juste moment. C'est classe.
Sir Roland Hanna maîtrisait l'art du solo. C'est un styliste qui modèle l'éternel aux allures de ragtime démembré, de prélude sans suite. Classique-Bop en introspection, le copain Flanagan Tommy, avec lui, partageait le soucis d'une beauté aboutie et raffinée (que du premier degrés). Si vous écoutiez.
SIR ROLAND HANNA – SOLO PIANO.
1 - When or when
2 - I got it bad
3 – Stompin' at Savoy
4 – Perugia
5 – Prelude to a kiss
6 – Emaline
7 – Don't blame me
8 – Anone
9 – Indiana
10 – Bye bye blackbird
11 – Willow weep for me
12 – Isn't it a pity
13 – All the things you are
A écouter également
Easy To Love (The Piano of), 1963
Glove, 1977
Plays The Music Of Alec Wilder (Helen Merrill Presents), 1978
Impressions, 1979
Swing Me No Waltzes, 1979
Romanesque, 1982
Duke Ellington Piano Solos, 1990
After a Dream, 2002.
Pourquoi JASS ?
Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
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