La mélancolie n'est que de la ferveur retombée.
André Gide.
Archipel de Stockholm – 14 juin 2008.
Obnubilante et glaciale, l’atmosphère contemplative d'un groupe à la dérive, sur les eaux de la modernité, déverse la bande son des profondeurs sous-marines ; le groove de l'absence improvisée et ce jazz en remous – sonar électrique, ancrage classique – sur la bicoque à la proue sauvage. Qu'elle soit mystique ou fantasmagorique, la musique d'Esbjörn Svensson Trio est alimentée par une sensibilité qui trébuche. Tout finira dans l'implacable lyrisme du naufrage... Ce jour de juin, Esbjörn s'est livré au spleen de l'Océan. Il s'est abandonné dans l'exploration du monde, dans ses rares espaces insondés. Serti d'un minimalisme pudique, parfois défaillant, il se dévoile en sa personne l'expression d'une complainte des sens, submergée de lumière.
Dans la peau D' E.S.
La tragédie de l'histoire s'écrit dans le désordre du présent, une Leçon de piano se finissant. Comme Ada, un bout noué à ma cheville me reliait, musicien cavaleur, à mon beau clavier muselé. En l'offrant à l'océan, je me livrais en même temps – d'un excès d'abandon inconscient – aux titanesques éléments.
En attendant le soleil, j'ai couru vers l'Eden, entre le rivage et ce coin de liberté que j'abordais parfois, souvent, l'oxygène en sac à dos. Mon inaccessible muse colorée, tout droit venue des profondeurs, tu te déverses sur les rouages opaques de l'océan, ses incroyables courbures bleutées.
" Quand la musique est passée, éteignez les lumières...", qu'elle demeure intacte ; le frais miracle de la surprise, de l'écho, puis de la trace parsemée sur les sens.
Tout va bien. J'entends les sirènes attractives. Est-ce une vision ? Leur chant sinueux m'emmène ; bien trop loin peut-être. Je sombre dans le sonore, cette tumultueuse emprise musicale, à l'intérieur. Inspiré des abysses enchantés, dirigeant depuis toujours ma longue quête du son, j'atteignais ici sa plus ultime perfection. Le coeur des profondeurs.
Adieu mes amis d'enfance. Magnus et Dan adieu. Notre cacophonique sérénade, de tout mon être, encore m'éblouit. Ça cognait faussement juste. Les rotatives épurées de vos instruments me donnaient l'espace idéal et juste. Celui dont j'avais besoin pour créer. Je me reposais dessus vous pour m'évader, exprimer mon lyrisme déchiré et m’enduire de bruits charnels. Vous, toujours à mes côtés, me dictant le swing de mes folies, l'arpège de mes envies.
A l'archet, les cordes de ton violoncelle, Dan, ont l'échos de lamentations désespérés, l'élégante sérénade d'une baleine bleue envolée... Quant à toi Magnus, mon vieux compagnon, je suis inlassablement possédé par tes virevoltants coups de balais métalliques, plus glacials que la banquise polaire, plus rapide qu'une syncope de nerfs. Vous me rappelez, toujours, une cadence d'humanité pressée. Aujourd'hui installé dans ma contemplative bulle de sérénité, votre sinueuse rumeur en vient à me manquer.
Notre musique s'intégrait si bien aux images. Le pur silence de l'océan. L'abstraction de la mesure. Je suis là, gisant, sur le plancher océanique, l'esprit haut. Au ciel me parviennent les chants migratoires des oiseaux en feu, attractifs et sombres. Mon esprit en cavale entend des formes que mes doigts filtrent, et distillent en nectar de jouvence. Chercher, puis trouver, avec des instruments encordés, l'essence d'une émotion actuelle. L'expérimentation. Dans cette fraction de temps où la vie défile, je revois, chavirant, la brèche des origines. Västeras ma suave Suède, Monk mon amour d'Amérique...
Et ma folle frayeur du givre, moi l'inuit d'une musique noire. Des ruisseaux d'influences cheminent, leurs cristaux de pluie délicatement accrochés aux turpitudes du temps. Ils sont plus blanches que croches, en accords parfaits majeurs éclaboussent l'obscure clarté du dehors. Je vous assure, je les entends ces notes, mes amis. Un défilement de courants marins, contradictoires comme la géométrie de l'Homme, me font grelotter puis, dans un long frisson, m'accordent – harmonieusement – cette implacable bouillonnement du corps. Comme si la beauté, elle aussi, se méritait.
Désormais je plonge en immersion et vole amoureux ; de cette nouvelle substance harmonieuse, à la fois liquide et sucrée, de cette belle grappe muscat encore sur pied. Dans ma folle quête du sous-marinier, j'égrène une espèce de mélodie sans mots. Je me baigne ainsi dans d'inexplorables tréfonds de corail, ciselés comme des moulures baroques. J'entrevois des cristaux de Bach et comprend un peu mieux l'élégance du grand Duke...
Mon piano absent tisse le filin frileux d'une féminité divine. Imaginaire, cette sirène aquarius n'en finit pas de m'émerveiller.
La recherche de sens persistante est une regrettable disposition de l'esprit. "On va toujours vers les bonnes choses pour de mauvaises raisons" disait Paul Valéry. Alors, mieux vaut ne pas chercher à savoir pourquoi je suis ainsi parti.
Adieu.
Discographie
When everyone has gone, 1993
Mr & Mrs Handkerchief, 1995
Winter in Venice, 1997
EST plays Monk, 1998
From Gagarins point of view, 1999
Good morning Susie Soho, 2000
Strange place for snow, 2002
Seven days of falling, 2003
Live in Stockholm, (DVD) 2003
Viaticum, 2005
Live in Berlin, 2005
Tuesday wonderland, 2006
Live in Hamburg, 2007
Leucocyte, 2008
André Gide.
Archipel de Stockholm – 14 juin 2008.
Obnubilante et glaciale, l’atmosphère contemplative d'un groupe à la dérive, sur les eaux de la modernité, déverse la bande son des profondeurs sous-marines ; le groove de l'absence improvisée et ce jazz en remous – sonar électrique, ancrage classique – sur la bicoque à la proue sauvage. Qu'elle soit mystique ou fantasmagorique, la musique d'Esbjörn Svensson Trio est alimentée par une sensibilité qui trébuche. Tout finira dans l'implacable lyrisme du naufrage... Ce jour de juin, Esbjörn s'est livré au spleen de l'Océan. Il s'est abandonné dans l'exploration du monde, dans ses rares espaces insondés. Serti d'un minimalisme pudique, parfois défaillant, il se dévoile en sa personne l'expression d'une complainte des sens, submergée de lumière.
Dans la peau D' E.S.
La tragédie de l'histoire s'écrit dans le désordre du présent, une Leçon de piano se finissant. Comme Ada, un bout noué à ma cheville me reliait, musicien cavaleur, à mon beau clavier muselé. En l'offrant à l'océan, je me livrais en même temps – d'un excès d'abandon inconscient – aux titanesques éléments.
En attendant le soleil, j'ai couru vers l'Eden, entre le rivage et ce coin de liberté que j'abordais parfois, souvent, l'oxygène en sac à dos. Mon inaccessible muse colorée, tout droit venue des profondeurs, tu te déverses sur les rouages opaques de l'océan, ses incroyables courbures bleutées.
" Quand la musique est passée, éteignez les lumières...", qu'elle demeure intacte ; le frais miracle de la surprise, de l'écho, puis de la trace parsemée sur les sens.
Tout va bien. J'entends les sirènes attractives. Est-ce une vision ? Leur chant sinueux m'emmène ; bien trop loin peut-être. Je sombre dans le sonore, cette tumultueuse emprise musicale, à l'intérieur. Inspiré des abysses enchantés, dirigeant depuis toujours ma longue quête du son, j'atteignais ici sa plus ultime perfection. Le coeur des profondeurs.
Adieu mes amis d'enfance. Magnus et Dan adieu. Notre cacophonique sérénade, de tout mon être, encore m'éblouit. Ça cognait faussement juste. Les rotatives épurées de vos instruments me donnaient l'espace idéal et juste. Celui dont j'avais besoin pour créer. Je me reposais dessus vous pour m'évader, exprimer mon lyrisme déchiré et m’enduire de bruits charnels. Vous, toujours à mes côtés, me dictant le swing de mes folies, l'arpège de mes envies.
A l'archet, les cordes de ton violoncelle, Dan, ont l'échos de lamentations désespérés, l'élégante sérénade d'une baleine bleue envolée... Quant à toi Magnus, mon vieux compagnon, je suis inlassablement possédé par tes virevoltants coups de balais métalliques, plus glacials que la banquise polaire, plus rapide qu'une syncope de nerfs. Vous me rappelez, toujours, une cadence d'humanité pressée. Aujourd'hui installé dans ma contemplative bulle de sérénité, votre sinueuse rumeur en vient à me manquer.
Notre musique s'intégrait si bien aux images. Le pur silence de l'océan. L'abstraction de la mesure. Je suis là, gisant, sur le plancher océanique, l'esprit haut. Au ciel me parviennent les chants migratoires des oiseaux en feu, attractifs et sombres. Mon esprit en cavale entend des formes que mes doigts filtrent, et distillent en nectar de jouvence. Chercher, puis trouver, avec des instruments encordés, l'essence d'une émotion actuelle. L'expérimentation. Dans cette fraction de temps où la vie défile, je revois, chavirant, la brèche des origines. Västeras ma suave Suède, Monk mon amour d'Amérique...
Et ma folle frayeur du givre, moi l'inuit d'une musique noire. Des ruisseaux d'influences cheminent, leurs cristaux de pluie délicatement accrochés aux turpitudes du temps. Ils sont plus blanches que croches, en accords parfaits majeurs éclaboussent l'obscure clarté du dehors. Je vous assure, je les entends ces notes, mes amis. Un défilement de courants marins, contradictoires comme la géométrie de l'Homme, me font grelotter puis, dans un long frisson, m'accordent – harmonieusement – cette implacable bouillonnement du corps. Comme si la beauté, elle aussi, se méritait.
Désormais je plonge en immersion et vole amoureux ; de cette nouvelle substance harmonieuse, à la fois liquide et sucrée, de cette belle grappe muscat encore sur pied. Dans ma folle quête du sous-marinier, j'égrène une espèce de mélodie sans mots. Je me baigne ainsi dans d'inexplorables tréfonds de corail, ciselés comme des moulures baroques. J'entrevois des cristaux de Bach et comprend un peu mieux l'élégance du grand Duke...
Mon piano absent tisse le filin frileux d'une féminité divine. Imaginaire, cette sirène aquarius n'en finit pas de m'émerveiller.
La recherche de sens persistante est une regrettable disposition de l'esprit. "On va toujours vers les bonnes choses pour de mauvaises raisons" disait Paul Valéry. Alors, mieux vaut ne pas chercher à savoir pourquoi je suis ainsi parti.
Adieu.
Discographie
When everyone has gone, 1993
Mr & Mrs Handkerchief, 1995
Winter in Venice, 1997
EST plays Monk, 1998
From Gagarins point of view, 1999
Good morning Susie Soho, 2000
Strange place for snow, 2002
Seven days of falling, 2003
Live in Stockholm, (DVD) 2003
Viaticum, 2005
Live in Berlin, 2005
Tuesday wonderland, 2006
Live in Hamburg, 2007
Leucocyte, 2008