15 marches noires, descendant à pic, s'éparent le bitume de Greenwich Village du sous-sol d'un des plus beaux clubs de New-York. Depuis 75 ans, le Vil-lage Van-guard swing en 4/4 et ne peut s'arrêter dans son élan.... Sa curieuse salle en entonnoir, renfermant, dans sa plus petite extremité, l'estrade moltonnée de rouge, n'a pas changé d'un soupçon. Les mêmes petits guéridons éparpillés comme de gros nénuphards blancs sur le parquet usé. Quand le grand rideau rouge, éclairé de chansons, a-t'il vu pour la derrière fois le soleil ? Pas bien haut, sur nos têtes, de rails de canalisations tissent des chemins de traverses futuristes.
Trônant comme un prince, le Steinway & Son frétille encore chaque soir aux doigts agiles des pianistes les plus talentueux du globe. Les années défilent mais l'acoustique de cette salle demeure intacte. Une délectable réverbération n'existant dans nul autre club. Bill Evans y enregistra une oeuvre fondamentale dans l'histoire du trio jazz ; Michel Pettrucciani plusieurs concerts mémorables ; Monk, Mc Coy Tyner ou Chucho Valdes s'y sentaient chez eux ; Martial Solal "n'a rien pû nous donner d'autre que de l'amour" à chacune de ses préstations (il reviendra en duo du 12 au 17 avril prochain) ; plus récemment, Brad Mehldau, Jason Moran, Aaron Golberg, Bill Charlap, Fred Hersch, Edward Simon ou encore Sam Yahel... tous ont succombé aux charmes désuets de ce caveau odeur de fût d'où plane encore le spectre stellaire de "Trane", son éternel résident.
Pas d'esbroufe au Village. Ce lieu est dédié à la musique, celle qui a une âme. Ce qui est "jazz" pour les uns ne l'est pas forcément pour d'autres. Tout cela n'est pas vraiment important. Les meilleures confitures sont celles sans étiquettes, qui le doigt charpardeur sucotté nous font dire "c'est bon", tout simplement. Ancienne et nouvelle générations se côtoient, s'alternent, se passent le flambeau d'une recette toujours aussi magique.
Du 29 mars au 3 avril, l'antre du Vauguard acceuille le guitariste Adam Rogers et son quartet. Je décidais de me rendre à l'un de ces six concerts (douze, si l'on comptabilise les deux sets par soirs) et de découvrir l'actualité de ce jeune guitariste aux univers ultra ecléctiques. Natif de New-York, ce talentueux "requin" a déjà accompagné un nombre incalculable de grands noms de la musique tels que Steely Dan, Paul Simon, les Brecker brothers, Norah Jones, John Zorn, Brian Blade, Kenny Barron...
Il sortit son premier album TIME AND THE INFINITE en février 2007 et enchaîna sur un second album, SIGHT, en trio avec John Patitucci et Clarence Penn, qui sortit en mai 2009.
Pour cette série de concerts, en quartet, il fit appel à Aaron Parks au piano, Scott Colley à la contrebasse et Antonio Sanchez à la batterie.
Le concert débute sur Phrygia, morceau aérien à la douce réverbération éthérée. On y entend une belle distorsion contrôlée, un son pûr, extrêmement travaillé. Le touchet d'Adam, sur sa Gibson quart de caisse, rappelle immédiatement le jeu de son maître John Scofield, mais également celui de Bill Frisell ou de Howard Collins, dans l'exécution et la forme des compositions empruntées. Atmosphérique mais absolument pas soporifique, il nous emmène en voyage, sur des terres inconnues. Conteur de ses aventures, son discours est intense, plein de vocabulaire.
La rythmique n'en est pas moins impeccable - ce qui peut pêcher certaines fois dans ce type de compositions. Sans fioriture, le talentueux drummer mexicain Antonio Sanchez tient le tempo sans jamais se répéter. Son swing tonique réhausse le niveau du discours, lui donne une consistance. C'est le plus terrestre de la formation. Ses deux enregistrements aux côtés de Pat Metheny lui apportent l'assurance necessaire pour accompagner le phrasé complexe de Rogers. Son premier disque solo, Migration est dans cette veine colorée de sonoritées inhabituelles.
Le tout jeune Aaron Parks met du temps avant de décoller. Son jeu, tout en retenu, est malheureusement couvert par les trois autres instrumentistes aux voix plus consistantes. Fragile et visionnaire, il réussit néanmoins de surprenants enchaînements qui renvoient à une étude poussée du classique. Désormais bien installé sur son fauteuil en cuir, il peut dérouler sa prose, écailler ses touches ivoires, poncer l'ébène des plus noires et sculpter une mélodie fluide et charnelle, comme dans son premier disque réussit : Invisible Cinema.
Le plus expérimenté du groupe, Scott Colley, architecte des silences, déroule une dynamique ronde et tourbillonante. Le morceau Elevation est l'exemple frappant de sa technicité toute en nuances. Sans jamais forcer, il campe le décor, entraine son public dans sa ronde à trois temps ; une valse gracile sur laquelle Adam nous prend par la main et nous invite à faire tournoyer nos sens.
L'être humain est loin... loin. Dans ce grand musée, je déambule solitaire d'une toile à l'autre. Je rentre dans ces paysages sonores. C'est tout rouge, tout bleu. L'ouïe aux aguets s'en remet à ces immenses toundras pellées, ces déserts cuisants, dans lequels nous pouvons déambuler longtemps sans jamais nous lasser. Le vide est remplit de mystères.
La musique qui est livrée n'est pas axée sur un mode improvisatoire. On ressent un grand travail, dans les harmonies surtout. En effet, l'ensemble des cordes – frappées, pincées, effleurées, martellées – à l'unisson, installe un jeu de tessitures tout à fait envoûtant.
Les grandes encablures d'Un Tramway Nommé Désir filent au-dessus de nos têtes et conduisent à la seule reprise du concert, le célèbre I love you porgy de Gerswing, menée sur un tempo Larghissimo , quasiment au ralentit. Le sonars des baleines est chanté par une guitare surnaturelle harponnée de secrets.
C'est, sans conteste, le morceau Snow, une longue complainte de plus de vingt minutes, qui emporta toute les ferveurs du Vanguard. Inspiré par la prose mélancolique et éclatante de l'écrivain turc Orhan Pamuk, Aaron Parks, visiblement très séduit par la composition d'Adam, nous fait visiter son jardin musical. Il surchantonne sa mélodie profonde, reprise, sur un long fondu enchainé de haut vol, par la guitare locace et buccolique de son compositeur. Le chant sacré devient fugue, gigue, puis redevient poussière. Le sentiment d'un tournoiement de plume dans le vent qui, au cours de sa longue danse, se laisse prendre dans les griffes d'une Pierre de Ronsard.
Pourquoi JASS ?
Pourquoi JASS ?
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
Le JAZZ a dans les veines du sang africain, c'est certain - jaja signifie "danser", jasi "être excité"- ; mais peut-être aussi une racine enfouie, d'origine indonésienne -"jaiza" faisant écho aux sons des percussions. En français dirions-nous : "cela va faire jaser", parler ? Le 2 avril 1912, le Los Angeles Time évoque la jazz ball irrécupérable du lanceur Ben Henderson. Dérivé de l'argot, le mot jizz, renvoie à l'énergie, au courage et à la vigueur sexuelle. Le jasz a également l'odeur entêtante du JASMin, des parfumeries françaises de New-Orleans. A moins que l'étymologie du mot ne vienne de JASper, danseur esclave des années 1820, d'une plantation louisianaise ? Ou JASbo Brown, musicien itinérant et joueur de blues avant-gardiste de la fin du XIXe siècle ? Musique interdite, jouée dans les bordels, ce langage d'origine black american établit le lien indivisible entre le corps et l'esprit. Par la perpétuelle énergie de son discours, il puise dans l'Instant la force d'enrichir son long parcours, toujours bien vivant. J-ASS donne la fièvre et guérit ! Essayez-voir.
jeudi 31 mars 2011
mardi 29 mars 2011
Le saxophone choir d'ODEAN POPE avec JAMES CARTER, au BLUE NOTE.
Un voyage musical entre Gil Evans et Gabriel Fauré.
Du 25 au 27 mars, le célèbre Blue Note de Greenwich Village accueillait l'ensemble harmonique (saxophone choir) d'Odean Pope qui, pour l'événement, fit appelle en special guest à James Carter, star du jazz new generation.
Le public est là. C'est une constance au Blue Note depuis 1981. Peut être 200 personnes, confinées dans ce lieu feutré à l'acoustique si réputée. Les bobo new-yorkais et les touristes de passages se délectent inlassablement d'une programmation alléchante, extrêmement variée, composée exclusivement de têtes d'affiches. Ici, on remplit. On fait du chiffre. On ne joue pas dans le sentiment. 35$ le set d'une heure et quart, plus des consommations hors de prix. Vous voyez le genre ? Pourtant, le mythique Blue Note demeure un lieu incontournable, un temple du jazz où tout musicien rêve de jouer, où tout mélomane rêve d'écouter.
Je ne serais pas l'exception à la règle. Ayant sagement patienté pour choisir le concert qui me ferait craquer, j'optais pour un événement de taille, qui ne se reproduirait pas. Les mélanges allaient y être délectables et détonants, j'étais prêt à parier.
Le nom d'Odean Pope m'était familier. Mais il me fut agréable de me replonger dans son parcours remarquable pour comprendre comment en était-il venu pour créer cette formation unique en son genre. Comment avait-il réussit à devenir un acteur élémentaire de l'immense scène jazz et tirer parti de ses qualités de compositeurs plutôt que celles de performer ?
Né en Caroline du Sud en 1938, dans une famille très liée au monde de la musique, Odean fut bercé par les clameurs spirituelles s'évaporant des églises du sud des Etats-Unis (et un de plus, check !). Parallèlement, il eut le privilège d'assister à la naissance du jazz dans un de ses plus célèbres bastions. Décidément chanceux, il déménage, à l'âge de 10 ans pour Philadelphie et se nourrit de sonorités différentes. La même sauce mais assaisonnée "à la mode" city. Il grandit en musique sur la terre de Coltrane, de Lee Morgan, Clifford Brown, Benny Golson, Mc Coy Tyner, Dizzy ou "Philly"Joe Jones (évidemment). Un bref saut dans le temps. C'est au moment décisif où Coltrane décide de partir à New York pour y rejoindre Miles et écrire une des plus belles pages de la musique moderne, qu'il a l'honneur de le remplacer dans le band de Jimmy Smith. S'il était, à ses débuts, très proche du grand John dans son approche musicale et sa sonorité, Odean compris rapidement qu'il lui fallait trouver une autre voie. Pourquoi tenter de refaire l'infaisable ?
Après avoir étudié la musique classique aux côtés de Ray Bryant et de Ron Rubin (hautboïste au Philadelphie Orchestra), il partit à Paris pour renforcer son apprentissage musical au Conservatoire national supérieur. Sa rencontre avec Kenny Clarke sera déterminante pour la suite de son parcours.
Il forme en 1970 Catalyst, un groupe de jazz fusion extrêmement pêchu. Mais, dans l'ombre de Weather Report, il décide de changer une nouvelle fois de direction et de développer un type de musique qui portera son sceau.
C'est à ce moment qu'Odean s'exil dans la composistion. Pour son trio (avec Leo Smith et Craig McIver) pour quartet, mais aussi, depuis 1977, pour ensemble de saxophones. Neuf saxophonistes dirigés à la baguette en mode swing. Une toute nouvelle texture harmonique, pouvant rappeler dans son agencement les tous premiers ensembles-fanfares du folklore jass New-Orleans. Dans son exécution contemporaine, c'est en fait beaucoup plus complexe que cela.
C'est véritablement une nouvelle esthétique musicale qui naissait. Intégrant une subtile synthèse de la raisonnance des chœurs d’églises de son enfance avec le jazz Hard-Bop de Philly et le Rythm'n'blues des années 50, qu'il réussit à allier à l'apprentissage classique reçu en Europe, c'est à dire, la musique de chambre, l'harmonie orchestrale moderne, ainsi que les structures polyphoniques - au sens académique du terme. Tout cela sans omettre les rythmiques africaines de ses racines. Odean doit également beaucoup de son savoir à sa collaboration de plus de 20 ans au côté de Max Roach, avec qui il perfectionna les techniques de respiration circulaire et de polyphonie. Un sacré gloubi goulba ? Oh que non. Une symbiose parfaite à l'impact divinatoire.
On dit qu'Ornette Coleman fut si impressionné lorsqu'il entendit la performance d'Odean Pope sur "Locked & loaded" qu'il hurla dans la salle puis se mis à écrire compulsivement sur son bloc note.
Mais pour mettre en œuvre cette ambitieuse prouesse musicale, il fallait recruter un collectif d'une grande technicité, capable d'intégrer chacun des composants exigés sans dénaturer la recette originelle ; que le groupe ne compose qu'un gigantesque instrument totalement dévoué au sens de la partition dictée par le cerveau fécond de son compositeur. Aux côtés des neufs saxophonistes – uniquement des altistes et des ténors ce soir là, nous retrouvons George Burton au piano, le grand Jeff "Tain" Watts aux drums et Lee Smith à la contrebassiste (le père de Christian Mc Bride).
Cordes et bois ne feront qu'une et même matière à l'issu de la performance. Le renflement de deux corps amoureux à l'unisson. L’élasticité sonore rappelle le va et viens des marées atlantiques. Tantôt cérémonieuse nous plissons les yeux d'imaginaires voilures, tantôt tempête notre cœur s'ébroue et s'inquiète de ne pouvoir rentrer au port.
Avec poigne et intense concentration, le vieux Odean tourne les pages de son récit et offre de son esprit fécond sagesse et savoir. J'ai plusieurs fois pensé à Gil Evans dans ses prises de risques contrôlées. Qu'il est difficile de manier un corpus musicale aussi imposant. De faire réagir la ligne mélodique au soupir près. D'anticiper les conditions matérielles de chaque instrument et retourner ses défaillances en qualités éblouissantes. Dans sa supercherie, rien ne semble être performance. Les compositions effectuées ont toutes un "je ne sais quoi" d'humanité. Un tourbillon émotionnel. Une ampleur. C'est le mot. Épaisse mélancolique bitumeuse. Âpres salines en rafale, grand tourbillon de matières organiques.
Après avoir joué deux longs morceaux – et en même temps dirigé avec la tête, Mr. Pope appelle en renfort le très attendu James Carter. La star arrive avec ses deux saxophones croisés devant lui ; se faufile entre les tables et monte sur scène dans un tonnerre d'applaudissements éclaboussants mes tympans jusqu'au fond de ma viande. On pouvait craindre le show commercial. James Carter, génie incontestable du saxophone n'est pourtant pas apprécié de tous dans la grande famille du jazz. Peut-être sait-il faire trop de choses ? Je compris toutefois bien vite d'où venait le choix judicieux d'Odean. Le point commun avec son jeune invité : le son. La texture, travaillée à la façon d'une voix humaine. Tous deux ont développé les capacités sonores du saxophone dans ses ultimes retranchements. Épouser la voix d'une femme qui soupire, simuler l'orgasme, transcrire le raillement d'une gorge rauque polie par la nicotine.
Le vieux Odean peut désormais ranger son saxophone et se contenter de diriger sa formation bien rodée. L'intérêt d'appeler James réside dans la fougue et l'opiniâtreté du soliste. Il plane au dessus des riches compositions sans jamais les dénaturer. Il réussit ce tour de magie. Coleman Hawkins, Albert Ayler et Coltrane tous de sons mêlés. Justesse, précision, tournoiements de registres, couinements subtils, claquements de langues, ambitus incroyable, du grave à l’aigu instantané, grands écarts harmoniques, staccato, souffle tendu, follement chaud, onctueux comme une crème anglaise, bouillonnant comme le bain de satan.
Le feu, l'énergie, la puissance physique irradiée. Un brasier dans le foie. Un incendie musical aux tripes. La vitesse est un état dans le jeu de James. Pas un but. La lenteur peut se vivre rapide. La vélocité au ralenti débauche l'énergie sans issue. Le soleil se panache lentement, criblé de notes il fait mine de s'éteindre. Puis se rallume, avec les ténèbres joue sans fin. S'éternise et se suspend à la nuit dans une éclipse sonore qui résonne encore dans ma tête qui ne pourrait plus s'endormir apaisé. Un beau chao provoqué.
"Odean Pope is a bad bad bad beautiful musician, man !". (Joe Lovano).
Du 25 au 27 mars, le célèbre Blue Note de Greenwich Village accueillait l'ensemble harmonique (saxophone choir) d'Odean Pope qui, pour l'événement, fit appelle en special guest à James Carter, star du jazz new generation.
Le public est là. C'est une constance au Blue Note depuis 1981. Peut être 200 personnes, confinées dans ce lieu feutré à l'acoustique si réputée. Les bobo new-yorkais et les touristes de passages se délectent inlassablement d'une programmation alléchante, extrêmement variée, composée exclusivement de têtes d'affiches. Ici, on remplit. On fait du chiffre. On ne joue pas dans le sentiment. 35$ le set d'une heure et quart, plus des consommations hors de prix. Vous voyez le genre ? Pourtant, le mythique Blue Note demeure un lieu incontournable, un temple du jazz où tout musicien rêve de jouer, où tout mélomane rêve d'écouter.
Je ne serais pas l'exception à la règle. Ayant sagement patienté pour choisir le concert qui me ferait craquer, j'optais pour un événement de taille, qui ne se reproduirait pas. Les mélanges allaient y être délectables et détonants, j'étais prêt à parier.
Le nom d'Odean Pope m'était familier. Mais il me fut agréable de me replonger dans son parcours remarquable pour comprendre comment en était-il venu pour créer cette formation unique en son genre. Comment avait-il réussit à devenir un acteur élémentaire de l'immense scène jazz et tirer parti de ses qualités de compositeurs plutôt que celles de performer ?
Né en Caroline du Sud en 1938, dans une famille très liée au monde de la musique, Odean fut bercé par les clameurs spirituelles s'évaporant des églises du sud des Etats-Unis (et un de plus, check !). Parallèlement, il eut le privilège d'assister à la naissance du jazz dans un de ses plus célèbres bastions. Décidément chanceux, il déménage, à l'âge de 10 ans pour Philadelphie et se nourrit de sonorités différentes. La même sauce mais assaisonnée "à la mode" city. Il grandit en musique sur la terre de Coltrane, de Lee Morgan, Clifford Brown, Benny Golson, Mc Coy Tyner, Dizzy ou "Philly"Joe Jones (évidemment). Un bref saut dans le temps. C'est au moment décisif où Coltrane décide de partir à New York pour y rejoindre Miles et écrire une des plus belles pages de la musique moderne, qu'il a l'honneur de le remplacer dans le band de Jimmy Smith. S'il était, à ses débuts, très proche du grand John dans son approche musicale et sa sonorité, Odean compris rapidement qu'il lui fallait trouver une autre voie. Pourquoi tenter de refaire l'infaisable ?
Après avoir étudié la musique classique aux côtés de Ray Bryant et de Ron Rubin (hautboïste au Philadelphie Orchestra), il partit à Paris pour renforcer son apprentissage musical au Conservatoire national supérieur. Sa rencontre avec Kenny Clarke sera déterminante pour la suite de son parcours.
Il forme en 1970 Catalyst, un groupe de jazz fusion extrêmement pêchu. Mais, dans l'ombre de Weather Report, il décide de changer une nouvelle fois de direction et de développer un type de musique qui portera son sceau.
C'est à ce moment qu'Odean s'exil dans la composistion. Pour son trio (avec Leo Smith et Craig McIver) pour quartet, mais aussi, depuis 1977, pour ensemble de saxophones. Neuf saxophonistes dirigés à la baguette en mode swing. Une toute nouvelle texture harmonique, pouvant rappeler dans son agencement les tous premiers ensembles-fanfares du folklore jass New-Orleans. Dans son exécution contemporaine, c'est en fait beaucoup plus complexe que cela.
C'est véritablement une nouvelle esthétique musicale qui naissait. Intégrant une subtile synthèse de la raisonnance des chœurs d’églises de son enfance avec le jazz Hard-Bop de Philly et le Rythm'n'blues des années 50, qu'il réussit à allier à l'apprentissage classique reçu en Europe, c'est à dire, la musique de chambre, l'harmonie orchestrale moderne, ainsi que les structures polyphoniques - au sens académique du terme. Tout cela sans omettre les rythmiques africaines de ses racines. Odean doit également beaucoup de son savoir à sa collaboration de plus de 20 ans au côté de Max Roach, avec qui il perfectionna les techniques de respiration circulaire et de polyphonie. Un sacré gloubi goulba ? Oh que non. Une symbiose parfaite à l'impact divinatoire.
On dit qu'Ornette Coleman fut si impressionné lorsqu'il entendit la performance d'Odean Pope sur "Locked & loaded" qu'il hurla dans la salle puis se mis à écrire compulsivement sur son bloc note.
Mais pour mettre en œuvre cette ambitieuse prouesse musicale, il fallait recruter un collectif d'une grande technicité, capable d'intégrer chacun des composants exigés sans dénaturer la recette originelle ; que le groupe ne compose qu'un gigantesque instrument totalement dévoué au sens de la partition dictée par le cerveau fécond de son compositeur. Aux côtés des neufs saxophonistes – uniquement des altistes et des ténors ce soir là, nous retrouvons George Burton au piano, le grand Jeff "Tain" Watts aux drums et Lee Smith à la contrebassiste (le père de Christian Mc Bride).
Cordes et bois ne feront qu'une et même matière à l'issu de la performance. Le renflement de deux corps amoureux à l'unisson. L’élasticité sonore rappelle le va et viens des marées atlantiques. Tantôt cérémonieuse nous plissons les yeux d'imaginaires voilures, tantôt tempête notre cœur s'ébroue et s'inquiète de ne pouvoir rentrer au port.
Avec poigne et intense concentration, le vieux Odean tourne les pages de son récit et offre de son esprit fécond sagesse et savoir. J'ai plusieurs fois pensé à Gil Evans dans ses prises de risques contrôlées. Qu'il est difficile de manier un corpus musicale aussi imposant. De faire réagir la ligne mélodique au soupir près. D'anticiper les conditions matérielles de chaque instrument et retourner ses défaillances en qualités éblouissantes. Dans sa supercherie, rien ne semble être performance. Les compositions effectuées ont toutes un "je ne sais quoi" d'humanité. Un tourbillon émotionnel. Une ampleur. C'est le mot. Épaisse mélancolique bitumeuse. Âpres salines en rafale, grand tourbillon de matières organiques.
Après avoir joué deux longs morceaux – et en même temps dirigé avec la tête, Mr. Pope appelle en renfort le très attendu James Carter. La star arrive avec ses deux saxophones croisés devant lui ; se faufile entre les tables et monte sur scène dans un tonnerre d'applaudissements éclaboussants mes tympans jusqu'au fond de ma viande. On pouvait craindre le show commercial. James Carter, génie incontestable du saxophone n'est pourtant pas apprécié de tous dans la grande famille du jazz. Peut-être sait-il faire trop de choses ? Je compris toutefois bien vite d'où venait le choix judicieux d'Odean. Le point commun avec son jeune invité : le son. La texture, travaillée à la façon d'une voix humaine. Tous deux ont développé les capacités sonores du saxophone dans ses ultimes retranchements. Épouser la voix d'une femme qui soupire, simuler l'orgasme, transcrire le raillement d'une gorge rauque polie par la nicotine.
Le vieux Odean peut désormais ranger son saxophone et se contenter de diriger sa formation bien rodée. L'intérêt d'appeler James réside dans la fougue et l'opiniâtreté du soliste. Il plane au dessus des riches compositions sans jamais les dénaturer. Il réussit ce tour de magie. Coleman Hawkins, Albert Ayler et Coltrane tous de sons mêlés. Justesse, précision, tournoiements de registres, couinements subtils, claquements de langues, ambitus incroyable, du grave à l’aigu instantané, grands écarts harmoniques, staccato, souffle tendu, follement chaud, onctueux comme une crème anglaise, bouillonnant comme le bain de satan.
Le feu, l'énergie, la puissance physique irradiée. Un brasier dans le foie. Un incendie musical aux tripes. La vitesse est un état dans le jeu de James. Pas un but. La lenteur peut se vivre rapide. La vélocité au ralenti débauche l'énergie sans issue. Le soleil se panache lentement, criblé de notes il fait mine de s'éteindre. Puis se rallume, avec les ténèbres joue sans fin. S'éternise et se suspend à la nuit dans une éclipse sonore qui résonne encore dans ma tête qui ne pourrait plus s'endormir apaisé. Un beau chao provoqué.
"Odean Pope is a bad bad bad beautiful musician, man !". (Joe Lovano).
lundi 28 mars 2011
HARLEM STORY – part. 4. THE LAST POETS, When the revolution comes.
Du blues urbain au Hip-Hop 'ricain... Les panthères noires au pouvoir !
Harlem est un quartier d'adoption, en perpétuel renouvellement. Première, deuxième, dixième générations... Black, Spanish, White, Asian poeple forment aujourd'hui l'identité d'un patchwork communautaire aux histoires incroyables. Certains ne le savent pas, pourtant la nuit, à cet instant magique où, paupières fermées, ils contemplent les états d'âmes de leur journée, ils peuvent entendre murmurer la couleur vive de leurs racines.
Si l'Homme noir est représentatif ou symbolique de quelque chose dans le caractère de la culture américaine, c'est assurément dans la révélation de la musique qui lui est propre. Je veux dire en cela que si nous soumettons à un examen anthropologique, aussi bien que musicologique, il ressort que l'évolution de ce peuple en Amérique est intrinsèquement lié à son rapport avec la musique plus que toute autre forme d'art et de mode d'expression. En m'appuyant sur l'analyse poussée de LeRoi Jones dans Le peuple du Blues (Folio, 1963), je peux affirmer que "la seule base de référence spécifique du profond changement qui s'est produit chez le Noir en passant de l'esclavage à la citoyenneté, c'est la musique".
Refaire l'histoire du cheminement du peuple noir, sa venue d'Afrique, sa condition sociétale, son émancipation, l'appropriation au fil du temps la langue anglaise et ses codes, n'est ici pas l'object de mes propos. Il faut pourtant garder à l'esprit que la musique est un des seuls faits permettant d'observer l'évolution de ce peuple, sa longue acceptation en temps que membre à part entière de la communauté américaine, son émancipation et sa lutte. La musique est un fait politique, une identité contestataire vêtue de plusieurs tuniques sonores ; tantôt révolutionnaires, tantôt identitaires, parfois les deux ensembles. Pour créer une musique nouvelle, un Blues, il fallait tout cela. Il fallait aussi savoir oublier. Car c'est la nuit qu'il est beau de croire en la Lumière et c'est dans le silence qu'il est doux de penser aux sons.
Le blues, je disais, renvoie à ceux que l'on aime. Cet état d'âme, pétrit de mélancolie, se manifeste parfois sans raisons apparentes. C'est un cri intérieur : B.L.U.E.S. A ce motif est appliqué toute la profondeur imaginative d'un peuple qui dilue sa tristesse dans son chant. Et Son House chante avant d'ouvrir la bouche. Tout son être EST blues, cette musique si simplement impossible à jouer.
C'est pourtant l'espace urbain qui catalysa les espérances de l'Homme noir, dominé certes, mais adoptant l'espoir d’accéder à la citoyenneté. L’ardent désir de lui-aussi construire ce pays, de le modeler avec ses couleurs et d'en faire sa propre terre promise est un processus de longue haleine. L'eldorado du peuple noir s'appelait Chicago, Philadelphie, Harlem... Ce n'était pourtant pas grand chose.
Le jeu des musiciens new-yorkais de l'époque était différent de leurs confrères de St Louis, du Texas ou de la Nouvelle Orléans. Leur blues était devenu urbain. Il prenait des allures, un style. Il prenait aussi une tonalité et des thématiques nouvelles. Oui, la nature des textes changeait. Les paroles avaient pour but de toucher toute l'Amérique. Les contemporains de Fats Wallers et de Duke Ellington étaient de nouveaux citadins remplis de contes. Mais, complexés par leurs fautes de langages – déjà swinguant –, et par leur couleur de peau, qui toujours les ramèneraient à leur condition servile, ils se laissaient piller par les autochtones en manque d'inspiration. Ces derniers s’esclaffaient d'effleurer de nouvelles sonorités plus festives. Naturellement, au gré de leurs vie d'exil, ils avaient édulcoré leurs langages en une sauce ma foie très goûtue. Le développement pidgins était à la genèse d'un bouleversement culturel marquant. Le syncrétisme de cultures opposées est à l'origine d'une façon de penser et de s'exprimer tout à fait nouvelle.
Quand les modernistes, les beboppers, arrivèrent, ils rendirent au jazz le caractère contestataire et ethnique des origines du blues en l'arrachant au courant majoritaire du swing apprécié par les masses. Les sonorités, volontairement âpres et rugueuses, horrifièrent l'Amérique des années 50, au même titre que les beatniks avec l'écriture.
Le but était de reprendre le lien avec la tradition et ne plus cacher les différences. Fiers de ne pas plaire, ou plutôt insensible à toute critique externe, voila le moteur de cette génération contestataire. Il ne s'agissait plus d'être Cool, il fallait devenir Hard, Funky, injecter plus de rythme dans le blues. L'orchestre de Count Basie œuvra grandement à l'avènement d'un nouveau courant qui se déclina de maintes façons. Lester Young montra que le saxophone pouvait être indépendant et innovant. Les critiques, qui auparavant s'emballaient pour un style nouveau, attaquaient désormais en bloc tout ce qui pouvait naître de la culture afro. Pendant ce temps là, la black explotation s'élevait socialement, sans rien demander à personne. Par la création et l'innovation permanente de leur discours, ils ne tenaient plus compte de leurs détracteurs et écrivaient ainsi leur propre destiné. On pourra parler de free, de jazz fusion, de mambo, de rock n'roll et de tous les embranchements possibles qui, sans exceptions, convergent en un seul épiderme. Chacun avait désormais le droit de faire ce qu'il voulait. Si au moins une seule personne adhérait, c'était gagné.
En ce recentrant sur leurs racines blues, les boppers ont en fait servit la cause de l'évolution de toutes les musiques du XXe siècle. Le fait d'être décalé devenait un moteur qui rehaussait intellectuellement et psychologiquement l'isolement d'un peuple tout entier. Nous pouvons parler d'une révolte identitaire symbolisé par et pour l'art.
Je m’octroie le droit de faire des raccourcis. Nous pourrions écrire 25 volumes de cette richissime histoire qu'est la musique black (ça a d'ailleurs déjà été fait de façons remarquables). Mon seul but ici est de mettre en lumière l'évolution d'un courant culturel sous sa forme contemporaine.
Le Hip Hop est-il un dérivé du jazz ? Je répondrais oui. Mais pas de n'importe quel jazz. Certes, il se rapproche dans sa sève créatrice du Be Bop. Pour son sens de l'improvisation et sa puissance brute, anti-conventionnelle. Pourtant, le rap est dans la majeure partie des cas "l'expression du pauvre". Je m'explique, afin d'éviter tout contresens malheureux. Contrairement au jazz, qui dans sa dextérité nécessite une initiation poussée, le hip hop est le fruit d'une culture autodidacte et surtout de non-instrumentistes. Comme pour le blues des origines, il s'agit avant tout de débrouille artistique. On prend ce que l'on a sous la main, on se l'approprie et on recycle, au goût du jour. C'est l'Afrique dans un happy-meal.
Par ailleurs, les liens avec la soul music, la funk, le dub et toutes les musiques noires contestataires sont également avérés. Car il faut bien comprendre que ce mode d'expression est avant inséparable des modes de vies urbains, de l'histoire de chacune des villes et des codes de quartiers. Chaque lieu a vu naître un type de musique lié aux besoins d'une communauté – le plus souvent minoritaire – tentant de proposer des alternatives aux sentiments d'exclusions et de frustrations qui dominait. Le Hip Hop est ainsi à la fois en continuité et en rupture avec la musique noire américaine.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Que signifie le mot liberté pour la communauté noire américaine ?
De toute évidence, Harlem et son symbolisme vivent toujours. En témoigne la dernière campagne présidentielle où Barack Obama y est passé pour y prononcer un discours poignant, à l'Apollo, quelques mois seulement avant son élection à la nouvelle... Black House.
Le National Black Theater de Harlem rendait hommage à Abiodun Oyewole : créateur du Hip-Hop ?
En préambule, j'en profite pour rappeler que le Hip-hop est un mouvement culturel comprenant plusieurs composantes : rap, graffiti, break dance, musique ; auxquelles on peut joindre les dérivés que sont le human beatbox, le street language, ou encore la mode vestimentaire. To be Hip signifie "être à la mode, dans le vent" (Miles utilisait sans cesse cette expression) ; To Hop veut dire "sauter". Le rap (to rap) étant la façon d'accompagner la musique en rythme (le flow) en usant des métaphores, des allitérations et de l'argot (slang).
A noter : le premier DJ Hip Hop fut sans doute Kool DJ Herc, né à Kingston en Jamaïque et débarqué dans le Bronx en 1967.
Voir les Last Poets était pour moi inconcevable. Je n'osais même pas y penser. Ils appartenaient dans mon esprit à un pan de l'histoire de la musique révolu, une graine culturelle ayant germé pour se transformer en un arbre gigantesque, composé de ses mauvaises herbes (soit) mais aussi de ses plus belles fleurs. Je les écoute depuis si longtemps. Leurs textes, au même titre que ceux de Gil Scott Heron ou de Gary Byrd, m'ont tellement inspirés, moi, naissant dans la culture des antipodes. La journée d'hier m'a non seulement prouvée qu'ils étaient toujours bien debout, mais qu'ils poussaient de surcroît, encore et toujours, une nouvelle génération contestataire, complètement contemporaine, extrêmement loquace et bourrée de talents.
Pour ceux qui ne le savent pas, les LAST POETS est un groupe formé dans les rues de Harlem, en 1968 – le jour de l'anniversaire de Malcom X. Ce collectif minimaliste est une étonnante fusion de percussions et de chants africains, mêlés, pour la première fois, à une nouvelle façon de chanter, de parler plutôt ; de rapper. Leurs textes sont évidemment très chargés politiquement. Ils évoquent les racines des communautés noires américaines, leurs parcours, leur devenir.
Les noms imprononçables dont ils se sont dotés sont extraits de poèmes révolutionnaires sud-africains, écrits par Keorapetse Kgositsile. Leur style débarque comme un coup de matraque dans la jungle new-yorkaise. La musique qu'ils créaient, au delà de ses somptueuses mélodies – brutes de décoffrages –, ne pourrait jamais être considérée comme une distraction, un fond sonore. Toujours, l'achoppement des voix, les tambourinades du quotidien dans le ghetto, les tumultes d'une minorité au combat. Mais, bien plus encore, leur façon de jouer avec les mots, leur langage réinventé au goût du jour. Cette poésie urbaine, extrêmement contemporaine aujourd'hui encore, vous fout la gniack ! Sur moi, le blanc bec français ça fonctionne, je n'ose imaginer ce que cela doit provoquer chez le noir américain new-yorkais.
Hier soir, le magnifique BLACK THEATER de Harlem consacrait une grande partie de sa journée, et de sa soirée, au chanteur compositeur des Last Poets : Abiodun Oyewole (doit se prononcer Aa-b-o-dun O-yea-whoa-lea), de naissance Charles David. Ce dernier rentrait tout juste d'un long séjour au Sénégal et en Croatie. Il était de retour pour dire au monde que ses Last Poets n'étaient pas perdus, qu'ils étaient encore bien en vie et revenaient en force... car il y avait encore de quoi dire. Influencé, tout au long de son parcours, par le jazz et le gospel joués par ses parents, mais également par les textes poétiques de Langston Hughes, il s'entoure de Jalal Mansur Nuriddin et de Umar Bin Hassan pour cimenter les fondations artistiques de son imaginaire.
Forcé, dès le début des années 70, à quitter le groupe pour séjourner durant quatre années dans une prison sordide de Caroline du Nord, pour avoir (je cite) : "volé et offensé la propriété privée du Ku Klux Klan" (vous imaginez !), le grand sage Abiodun garde en lui l'amertume de cette injustice. Toutefois, C'est un homme d'une douceur et d'une sensibilité incroyable qui se présentait hier. Entouré de sa famille de sang (dont sa vieille maman tant aimée) mais aussi de sa grande famille artistique, le vieil homme, ému plusieurs fois aux larmes, écoutait attentivement les performances de chacun. Comme nous tous, il était spectateur d'une évolution au sein d'un courant qu'il avait amorcé.
Nous savons l'homme affaibli, en proie à des problèmes d'argents. Le Daily News de mardi évoque le danger éminent qu'il perde prochainement son appartement. Mais rien de tout cela ne transparaissait dans son humeur. C'était son jour. Il se délectait de voir une nouvelle génération inspirée, un panel artistique tellement diversifié. Tous répondaient de son art : slameurs, danseurs afro, beat boxeurs, chanteurs, humoristes, tap danceurs, percussionnistes et bien rappeurs... A black event de folie ! (Oui, d'ailleurs je faisais un peu tache au milieu).
Se succédèrent le comique Paul Mooney, la flutiste Bobbi Humphrey (je vous recommande vivement son album Black & Blue, sortit en 1971), le célébrissime rappeur Doug E. Fresh, tout l'African Drums & Dance Community from Harlem, ainsi qu'une dizaine de jeunes poètes aux talents singuliers et, pour clore l'événement, un concert extrêmement émouvant des Last Poets.
Le lien de toutes les prestations tenait dans le bien précieux de la culture noire. Cette arrogance culturelle a indéniablement aidé à préciser l'émergence de l'Homme noir en tant qu'être humain autonome au sein de la communauté américaine. Rêverait-on un jour de devenir noir ? Pourquoi pas.
Cette journée de dimanche traçait l'espoir artistique d'une nouvelle génération, trouvant dans la poésie contemporaine l'enracinement d'une culture ancrée dans un espace géographique en pleine mutation. C'était une force qui avait besoin de retourner à la culture qui l'avait fait naître. Leur muse, HARLEM. Oui, il existe bien une analogie évidente entre la vie du Noir en Amérique et la production de son art. Cette remarque ne concerne évidemment pas que la musique mais les mœurs en général de la société américaine depuis toujours métissée. Avant sa honte. Aujourd'hui sa force. En dehors des charts commerciales d'un rap qui barbe d'avoir perdu son identité, une culture underground prépare la relève d'une musique qui se régénère perpétuellement.
The Last Poets ne sont pas les derniers, mais indubitablement les premiers.
Harlem est un quartier d'adoption, en perpétuel renouvellement. Première, deuxième, dixième générations... Black, Spanish, White, Asian poeple forment aujourd'hui l'identité d'un patchwork communautaire aux histoires incroyables. Certains ne le savent pas, pourtant la nuit, à cet instant magique où, paupières fermées, ils contemplent les états d'âmes de leur journée, ils peuvent entendre murmurer la couleur vive de leurs racines.
Si l'Homme noir est représentatif ou symbolique de quelque chose dans le caractère de la culture américaine, c'est assurément dans la révélation de la musique qui lui est propre. Je veux dire en cela que si nous soumettons à un examen anthropologique, aussi bien que musicologique, il ressort que l'évolution de ce peuple en Amérique est intrinsèquement lié à son rapport avec la musique plus que toute autre forme d'art et de mode d'expression. En m'appuyant sur l'analyse poussée de LeRoi Jones dans Le peuple du Blues (Folio, 1963), je peux affirmer que "la seule base de référence spécifique du profond changement qui s'est produit chez le Noir en passant de l'esclavage à la citoyenneté, c'est la musique".
Refaire l'histoire du cheminement du peuple noir, sa venue d'Afrique, sa condition sociétale, son émancipation, l'appropriation au fil du temps la langue anglaise et ses codes, n'est ici pas l'object de mes propos. Il faut pourtant garder à l'esprit que la musique est un des seuls faits permettant d'observer l'évolution de ce peuple, sa longue acceptation en temps que membre à part entière de la communauté américaine, son émancipation et sa lutte. La musique est un fait politique, une identité contestataire vêtue de plusieurs tuniques sonores ; tantôt révolutionnaires, tantôt identitaires, parfois les deux ensembles. Pour créer une musique nouvelle, un Blues, il fallait tout cela. Il fallait aussi savoir oublier. Car c'est la nuit qu'il est beau de croire en la Lumière et c'est dans le silence qu'il est doux de penser aux sons.
Le blues, je disais, renvoie à ceux que l'on aime. Cet état d'âme, pétrit de mélancolie, se manifeste parfois sans raisons apparentes. C'est un cri intérieur : B.L.U.E.S. A ce motif est appliqué toute la profondeur imaginative d'un peuple qui dilue sa tristesse dans son chant. Et Son House chante avant d'ouvrir la bouche. Tout son être EST blues, cette musique si simplement impossible à jouer.
C'est pourtant l'espace urbain qui catalysa les espérances de l'Homme noir, dominé certes, mais adoptant l'espoir d’accéder à la citoyenneté. L’ardent désir de lui-aussi construire ce pays, de le modeler avec ses couleurs et d'en faire sa propre terre promise est un processus de longue haleine. L'eldorado du peuple noir s'appelait Chicago, Philadelphie, Harlem... Ce n'était pourtant pas grand chose.
Le jeu des musiciens new-yorkais de l'époque était différent de leurs confrères de St Louis, du Texas ou de la Nouvelle Orléans. Leur blues était devenu urbain. Il prenait des allures, un style. Il prenait aussi une tonalité et des thématiques nouvelles. Oui, la nature des textes changeait. Les paroles avaient pour but de toucher toute l'Amérique. Les contemporains de Fats Wallers et de Duke Ellington étaient de nouveaux citadins remplis de contes. Mais, complexés par leurs fautes de langages – déjà swinguant –, et par leur couleur de peau, qui toujours les ramèneraient à leur condition servile, ils se laissaient piller par les autochtones en manque d'inspiration. Ces derniers s’esclaffaient d'effleurer de nouvelles sonorités plus festives. Naturellement, au gré de leurs vie d'exil, ils avaient édulcoré leurs langages en une sauce ma foie très goûtue. Le développement pidgins était à la genèse d'un bouleversement culturel marquant. Le syncrétisme de cultures opposées est à l'origine d'une façon de penser et de s'exprimer tout à fait nouvelle.
Quand les modernistes, les beboppers, arrivèrent, ils rendirent au jazz le caractère contestataire et ethnique des origines du blues en l'arrachant au courant majoritaire du swing apprécié par les masses. Les sonorités, volontairement âpres et rugueuses, horrifièrent l'Amérique des années 50, au même titre que les beatniks avec l'écriture.
Le but était de reprendre le lien avec la tradition et ne plus cacher les différences. Fiers de ne pas plaire, ou plutôt insensible à toute critique externe, voila le moteur de cette génération contestataire. Il ne s'agissait plus d'être Cool, il fallait devenir Hard, Funky, injecter plus de rythme dans le blues. L'orchestre de Count Basie œuvra grandement à l'avènement d'un nouveau courant qui se déclina de maintes façons. Lester Young montra que le saxophone pouvait être indépendant et innovant. Les critiques, qui auparavant s'emballaient pour un style nouveau, attaquaient désormais en bloc tout ce qui pouvait naître de la culture afro. Pendant ce temps là, la black explotation s'élevait socialement, sans rien demander à personne. Par la création et l'innovation permanente de leur discours, ils ne tenaient plus compte de leurs détracteurs et écrivaient ainsi leur propre destiné. On pourra parler de free, de jazz fusion, de mambo, de rock n'roll et de tous les embranchements possibles qui, sans exceptions, convergent en un seul épiderme. Chacun avait désormais le droit de faire ce qu'il voulait. Si au moins une seule personne adhérait, c'était gagné.
En ce recentrant sur leurs racines blues, les boppers ont en fait servit la cause de l'évolution de toutes les musiques du XXe siècle. Le fait d'être décalé devenait un moteur qui rehaussait intellectuellement et psychologiquement l'isolement d'un peuple tout entier. Nous pouvons parler d'une révolte identitaire symbolisé par et pour l'art.
Je m’octroie le droit de faire des raccourcis. Nous pourrions écrire 25 volumes de cette richissime histoire qu'est la musique black (ça a d'ailleurs déjà été fait de façons remarquables). Mon seul but ici est de mettre en lumière l'évolution d'un courant culturel sous sa forme contemporaine.
Le Hip Hop est-il un dérivé du jazz ? Je répondrais oui. Mais pas de n'importe quel jazz. Certes, il se rapproche dans sa sève créatrice du Be Bop. Pour son sens de l'improvisation et sa puissance brute, anti-conventionnelle. Pourtant, le rap est dans la majeure partie des cas "l'expression du pauvre". Je m'explique, afin d'éviter tout contresens malheureux. Contrairement au jazz, qui dans sa dextérité nécessite une initiation poussée, le hip hop est le fruit d'une culture autodidacte et surtout de non-instrumentistes. Comme pour le blues des origines, il s'agit avant tout de débrouille artistique. On prend ce que l'on a sous la main, on se l'approprie et on recycle, au goût du jour. C'est l'Afrique dans un happy-meal.
Par ailleurs, les liens avec la soul music, la funk, le dub et toutes les musiques noires contestataires sont également avérés. Car il faut bien comprendre que ce mode d'expression est avant inséparable des modes de vies urbains, de l'histoire de chacune des villes et des codes de quartiers. Chaque lieu a vu naître un type de musique lié aux besoins d'une communauté – le plus souvent minoritaire – tentant de proposer des alternatives aux sentiments d'exclusions et de frustrations qui dominait. Le Hip Hop est ainsi à la fois en continuité et en rupture avec la musique noire américaine.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Que signifie le mot liberté pour la communauté noire américaine ?
De toute évidence, Harlem et son symbolisme vivent toujours. En témoigne la dernière campagne présidentielle où Barack Obama y est passé pour y prononcer un discours poignant, à l'Apollo, quelques mois seulement avant son élection à la nouvelle... Black House.
Le National Black Theater de Harlem rendait hommage à Abiodun Oyewole : créateur du Hip-Hop ?
En préambule, j'en profite pour rappeler que le Hip-hop est un mouvement culturel comprenant plusieurs composantes : rap, graffiti, break dance, musique ; auxquelles on peut joindre les dérivés que sont le human beatbox, le street language, ou encore la mode vestimentaire. To be Hip signifie "être à la mode, dans le vent" (Miles utilisait sans cesse cette expression) ; To Hop veut dire "sauter". Le rap (to rap) étant la façon d'accompagner la musique en rythme (le flow) en usant des métaphores, des allitérations et de l'argot (slang).
A noter : le premier DJ Hip Hop fut sans doute Kool DJ Herc, né à Kingston en Jamaïque et débarqué dans le Bronx en 1967.
Voir les Last Poets était pour moi inconcevable. Je n'osais même pas y penser. Ils appartenaient dans mon esprit à un pan de l'histoire de la musique révolu, une graine culturelle ayant germé pour se transformer en un arbre gigantesque, composé de ses mauvaises herbes (soit) mais aussi de ses plus belles fleurs. Je les écoute depuis si longtemps. Leurs textes, au même titre que ceux de Gil Scott Heron ou de Gary Byrd, m'ont tellement inspirés, moi, naissant dans la culture des antipodes. La journée d'hier m'a non seulement prouvée qu'ils étaient toujours bien debout, mais qu'ils poussaient de surcroît, encore et toujours, une nouvelle génération contestataire, complètement contemporaine, extrêmement loquace et bourrée de talents.
Pour ceux qui ne le savent pas, les LAST POETS est un groupe formé dans les rues de Harlem, en 1968 – le jour de l'anniversaire de Malcom X. Ce collectif minimaliste est une étonnante fusion de percussions et de chants africains, mêlés, pour la première fois, à une nouvelle façon de chanter, de parler plutôt ; de rapper. Leurs textes sont évidemment très chargés politiquement. Ils évoquent les racines des communautés noires américaines, leurs parcours, leur devenir.
Les noms imprononçables dont ils se sont dotés sont extraits de poèmes révolutionnaires sud-africains, écrits par Keorapetse Kgositsile. Leur style débarque comme un coup de matraque dans la jungle new-yorkaise. La musique qu'ils créaient, au delà de ses somptueuses mélodies – brutes de décoffrages –, ne pourrait jamais être considérée comme une distraction, un fond sonore. Toujours, l'achoppement des voix, les tambourinades du quotidien dans le ghetto, les tumultes d'une minorité au combat. Mais, bien plus encore, leur façon de jouer avec les mots, leur langage réinventé au goût du jour. Cette poésie urbaine, extrêmement contemporaine aujourd'hui encore, vous fout la gniack ! Sur moi, le blanc bec français ça fonctionne, je n'ose imaginer ce que cela doit provoquer chez le noir américain new-yorkais.
Forcé, dès le début des années 70, à quitter le groupe pour séjourner durant quatre années dans une prison sordide de Caroline du Nord, pour avoir (je cite) : "volé et offensé la propriété privée du Ku Klux Klan" (vous imaginez !), le grand sage Abiodun garde en lui l'amertume de cette injustice. Toutefois, C'est un homme d'une douceur et d'une sensibilité incroyable qui se présentait hier. Entouré de sa famille de sang (dont sa vieille maman tant aimée) mais aussi de sa grande famille artistique, le vieil homme, ému plusieurs fois aux larmes, écoutait attentivement les performances de chacun. Comme nous tous, il était spectateur d'une évolution au sein d'un courant qu'il avait amorcé.
Nous savons l'homme affaibli, en proie à des problèmes d'argents. Le Daily News de mardi évoque le danger éminent qu'il perde prochainement son appartement. Mais rien de tout cela ne transparaissait dans son humeur. C'était son jour. Il se délectait de voir une nouvelle génération inspirée, un panel artistique tellement diversifié. Tous répondaient de son art : slameurs, danseurs afro, beat boxeurs, chanteurs, humoristes, tap danceurs, percussionnistes et bien rappeurs... A black event de folie ! (Oui, d'ailleurs je faisais un peu tache au milieu).
Se succédèrent le comique Paul Mooney, la flutiste Bobbi Humphrey (je vous recommande vivement son album Black & Blue, sortit en 1971), le célébrissime rappeur Doug E. Fresh, tout l'African Drums & Dance Community from Harlem, ainsi qu'une dizaine de jeunes poètes aux talents singuliers et, pour clore l'événement, un concert extrêmement émouvant des Last Poets.
Le lien de toutes les prestations tenait dans le bien précieux de la culture noire. Cette arrogance culturelle a indéniablement aidé à préciser l'émergence de l'Homme noir en tant qu'être humain autonome au sein de la communauté américaine. Rêverait-on un jour de devenir noir ? Pourquoi pas.
Cette journée de dimanche traçait l'espoir artistique d'une nouvelle génération, trouvant dans la poésie contemporaine l'enracinement d'une culture ancrée dans un espace géographique en pleine mutation. C'était une force qui avait besoin de retourner à la culture qui l'avait fait naître. Leur muse, HARLEM. Oui, il existe bien une analogie évidente entre la vie du Noir en Amérique et la production de son art. Cette remarque ne concerne évidemment pas que la musique mais les mœurs en général de la société américaine depuis toujours métissée. Avant sa honte. Aujourd'hui sa force. En dehors des charts commerciales d'un rap qui barbe d'avoir perdu son identité, une culture underground prépare la relève d'une musique qui se régénère perpétuellement.
The Last Poets ne sont pas les derniers, mais indubitablement les premiers.
dimanche 27 mars 2011
HARLEM STORY - part. 3. BILL'S PLACE
Le rendez-vous des initiés du vendredi.
148 West, 133rd Street,
Entre Lenox Avenue et Adam Clayton Powell Jr. Boulevard.
HARLEM.
J'ai entendu parler de Bill Saxton dans le quartier. C'est une femme âgée nommée Ethel (elle habite à trois blocks du lieu-dit) qui, sans me faire un éloge interminable du lieu, me dit tout simplement : "Tu dois absolument voir ça, une fois au moins. Ça ne ressemble à rien d'autre à New-York..." Ayant éguisé ma curiosité, je décide, immédiatement rentré, de faire quelques recherches. Sur le site web, rien n'est dévoilé si ce n'est l'adresse et le jour des sessions : "Friday only". Même les horaires sont éronnés (je m'en rendrais compte peu de temps après).
Vendredi donc, je me rends quelques blocks au-dessus de mon domicile, emprunte la sombre 133ème rue, le regard dénudé d'aguets. Me suis-je trompé d'adresse, le lieu existe t'il encore (tout commence et finit si vite ici) ?
J'apprendrais de la bouche du maître de maison, quelques minutes plus tard, que j'entrais dans un pâté de maison à l'histoire singulière. On l'appelait SWING STREET. Dans les années 20, à l'époque de la prohibition, l'alcool y était fort, l'herbe fraiche, et les jams sessions enflammées. Tout ce passait tard, la nuit. Les hommes de couleurs touchaient un sentiment de liberté en s'adonnant à leurs palabres musicales. Si la police venait y faire un tour, c'était pour s'envoyer dans le golliwog un gin plus wine, comme tout le monde. Swing street était le seul espace libre pour tous dans New-York à cette époque. Rien à voir avec les célèbres Cotton Club ou Connie's Inn, un peu plus haut... Bref.
There it is ! Un petit porche en sous-sol, en-dessous d'une église baptiste. Comme un petit hôtel de passe. La devanture est toute simple, toute rouge, de belles lettres d'imprimerie indiquent BILL'S PLACE. Je descends les trois petites marches et sonne timidement sur l'interphone raturé. Une flèche noire, écrite à la main, indique BILL (suis-je dans un remake de Tarantino ?).
Plus de doutes, c'est là. Un homme à la stature imposante vient ouvrir. Un beau gilet bicolore, des chaussures bien cirées, une élégance naturelle, sans superflus. C'est monsieur Saxton qui vient se présenter à moi. Avant d'être le Bill's Place, son petit lieu était le Tillie Fripp's Restaurant ; connu dans tout Harlem pour ses waffles & ham (gauffres au jambon) et son poulet grillé. En 1927, l'homme, originaire de Philladephie, avait fait le pari fou de créer un lieu de vie, convivial, ouvert à tous. Il commença l'aventure avec 1.98$ en poche. Puis, face à la renommée grandissante du quartier, l'endroit devint, trois ans plus tard, le Covan's Club où Billie Holiday - entre autre - fit ses débuts. Art Taylor également. A cette époque on ne demandait pas aux musiciens : "qu'est ce que tu connais ?" mais "Qui tu connais ?" ; comme un mot de passe.
Après des années d'abandons, ce fut enfin au tour de Bill de perpétuer l'âme de la rue du swing. Depuis plus de trente ans maintenant, Bill prolonge l'histoire du jazz, fait swinger la chaussée d'une rue qui a bien changé. Inspiré par la culture afro-américaine et particulièrement celle de Harlem, il décide de rentrer d'Afrique de l'Ouest pour répondre à l'appel de Francis Ford Coppola qui le voulait comme soliste dans son film Cotton Club.
En attendant que les quelques invités surprises arrivent, il me fit patienter dans le hall, improvisé lui de même. Une série de chaises longent les murs remplis de photos, d'articles, de peintures qu'on lui a offertes et signées de petits mots affectueux... pas un seul espace de libre. Sur les vieux sièges en paille tressée, des personnes âgées attendent patiemment. Ce sont des habitués. Des amis d'amis s'étant refilés le tuyau. Ce n'est assurément pas leur première fois. Ils ont chacun acheté leur petite fiole de Jameson ou de Jack's à l'épicerie du coin. Pas un bar, pas de licence, rien de trop chez monsieur Saxton. Chacun de ses convives est généreusement salué. Le sourire bien franc, la poigne bien sincère. Il dit simplement à chacun "Welcome home". Ce n'est pas son domicile mais c'est tout comme. Quand il convie finalement sa flopée de spectateurs à pénétrer dans la salle de concert, j'ai la soudaine impression d'entrer dans son salon. Comme s'il fallait se déchausser de peur d’abîmer le parquet ciré. J'entre sur la pointe des pieds et observe chaque détail du lieu. La salle, je dirais dans les 35m². Ni un caveau. Ni un club. A place.
Une grande photo de Billie, tenant entre ses mains le masque de ses racines musicale. Je dis alors à mon hôte : " c'est ma mère spirituelle". Il me répond, du tac o tac : "Et bien nous sommes frères".
Ayant préalablement posé à Bill quelques questions qui me brulaient la langue, le géant m'attrape par l'épaule, de sa grande paluche, et commence à me parler, sans ce soucier du déroulement de Son show. D'une prévenance hors du commun, il me fait asseoir à "la meilleure place pour l'acoustique" et me dit que nous aurons tout le temps pour palabrer après le concert. J'acquiesce sans broncher, ravi d'être là, alors que la musique ne s'est pas encore montrée.
Le salon est plein. Le vieux sax rouillé peut enfin prendre la parole.
Premier morceau annoncé : BLUES FOR OBAMA.
1-2. 1, 2, 3, 4. Du pûr Be-Bop.
La proximité est incroyable. Tous les musiciens sont sur une même ligne. On ne laisse pas le temps au son de se dissiper dans l'atmophère. On le prend en pleine figure. Il arrive fracassant, sans entraves, se pose sur nos tympans vierges qui en redemandent. On peut sentir les cordes de la contrebasses s'ébrouer dans l'abdomen, l'odeur salivaire du cuivre oxydé embaumer la pièce, le cristallin du piano répandre sa bruine sur nos visages contemplatifs. Puis, il entame Estate - composé par Bruno(s) Martino et Brighetti. Les papis, jusqu'alors peu locaces, laissent sortir de leurs bouches des raillements, des onomatopée convulsives. Les yeux mi-clos, ils laissent leurs corps fatigués se dandiner au son de cette musique de jouvence. La pièce prend soudainement la couleur bleue du jazz. Chacun semble aller mieux, s'oublie soi-même et nourrit son esprit de vide.
Bill SAXton un nom comme il ne s'invente pas. Sa musique est comme son physique, imposante, ronde et chaleureuse. Il porte le même Pork pie hat que Lester mais le grain de sa voix est plus proche de cet aigle de Coleman.
Auteur de plus de 80 compositions, faisant école dans l'apprentissage actuel du jazz, monsieur Bill ne parle pas du passé. J'eu écho de ses échanges musicaux enflammés avec Duke Ellington et Count Basie, Roy Haynes, Jackie McLean ou Clark Terry ; ou encore ses accompagnements des voix de Nancy Wilson, Carmen McRae, Roy Ayers ou Fats Wallers... il y en a tant. La voix de son saxophone parle pour lui. La complicité nouée avec ses accompagnateurs d'un soir en dit - également - long sur l'impact qu'il peut avoir aujourd'hui ; toujours dans l'immense quartier. Les musiciens talentueux le regarde comme un prophète. Comment se fait-il qu'il soit à ce point tombé dans l'oubli ?
BODY & SOUL vient clore le 1er set. Doucement, je ferme les yeux pour voir. Les perceptions de l'en-dedans sont comme la Vision enchantées de Stevie Wonder : ce sont des couleurs aveuglantes. Le quartet est rodé. L'amusement est complice. Les techniques de chacun n'éclatent qu'à l'attention des autres. Nous, spectateurs, sommes acteurs d'un évènement unique qui éclos - au soleil du regard - sans jamais flétrir.
Entre les deux sets, nous prenons un peu de temps pour papoter. C'est toujours mieux de parler après avoir écouter. Il finit en me disant de ne donner l'adresse qu'aux personnes de confiance. C'est chose faite.
Une expérience innoubliable. Vivement Vendredi !
148 West, 133rd Street,
Entre Lenox Avenue et Adam Clayton Powell Jr. Boulevard.
HARLEM.
J'ai entendu parler de Bill Saxton dans le quartier. C'est une femme âgée nommée Ethel (elle habite à trois blocks du lieu-dit) qui, sans me faire un éloge interminable du lieu, me dit tout simplement : "Tu dois absolument voir ça, une fois au moins. Ça ne ressemble à rien d'autre à New-York..." Ayant éguisé ma curiosité, je décide, immédiatement rentré, de faire quelques recherches. Sur le site web, rien n'est dévoilé si ce n'est l'adresse et le jour des sessions : "Friday only". Même les horaires sont éronnés (je m'en rendrais compte peu de temps après).
Vendredi donc, je me rends quelques blocks au-dessus de mon domicile, emprunte la sombre 133ème rue, le regard dénudé d'aguets. Me suis-je trompé d'adresse, le lieu existe t'il encore (tout commence et finit si vite ici) ?
J'apprendrais de la bouche du maître de maison, quelques minutes plus tard, que j'entrais dans un pâté de maison à l'histoire singulière. On l'appelait SWING STREET. Dans les années 20, à l'époque de la prohibition, l'alcool y était fort, l'herbe fraiche, et les jams sessions enflammées. Tout ce passait tard, la nuit. Les hommes de couleurs touchaient un sentiment de liberté en s'adonnant à leurs palabres musicales. Si la police venait y faire un tour, c'était pour s'envoyer dans le golliwog un gin plus wine, comme tout le monde. Swing street était le seul espace libre pour tous dans New-York à cette époque. Rien à voir avec les célèbres Cotton Club ou Connie's Inn, un peu plus haut... Bref.
There it is ! Un petit porche en sous-sol, en-dessous d'une église baptiste. Comme un petit hôtel de passe. La devanture est toute simple, toute rouge, de belles lettres d'imprimerie indiquent BILL'S PLACE. Je descends les trois petites marches et sonne timidement sur l'interphone raturé. Une flèche noire, écrite à la main, indique BILL (suis-je dans un remake de Tarantino ?).
Plus de doutes, c'est là. Un homme à la stature imposante vient ouvrir. Un beau gilet bicolore, des chaussures bien cirées, une élégance naturelle, sans superflus. C'est monsieur Saxton qui vient se présenter à moi. Avant d'être le Bill's Place, son petit lieu était le Tillie Fripp's Restaurant ; connu dans tout Harlem pour ses waffles & ham (gauffres au jambon) et son poulet grillé. En 1927, l'homme, originaire de Philladephie, avait fait le pari fou de créer un lieu de vie, convivial, ouvert à tous. Il commença l'aventure avec 1.98$ en poche. Puis, face à la renommée grandissante du quartier, l'endroit devint, trois ans plus tard, le Covan's Club où Billie Holiday - entre autre - fit ses débuts. Art Taylor également. A cette époque on ne demandait pas aux musiciens : "qu'est ce que tu connais ?" mais "Qui tu connais ?" ; comme un mot de passe.
Après des années d'abandons, ce fut enfin au tour de Bill de perpétuer l'âme de la rue du swing. Depuis plus de trente ans maintenant, Bill prolonge l'histoire du jazz, fait swinger la chaussée d'une rue qui a bien changé. Inspiré par la culture afro-américaine et particulièrement celle de Harlem, il décide de rentrer d'Afrique de l'Ouest pour répondre à l'appel de Francis Ford Coppola qui le voulait comme soliste dans son film Cotton Club.
En attendant que les quelques invités surprises arrivent, il me fit patienter dans le hall, improvisé lui de même. Une série de chaises longent les murs remplis de photos, d'articles, de peintures qu'on lui a offertes et signées de petits mots affectueux... pas un seul espace de libre. Sur les vieux sièges en paille tressée, des personnes âgées attendent patiemment. Ce sont des habitués. Des amis d'amis s'étant refilés le tuyau. Ce n'est assurément pas leur première fois. Ils ont chacun acheté leur petite fiole de Jameson ou de Jack's à l'épicerie du coin. Pas un bar, pas de licence, rien de trop chez monsieur Saxton. Chacun de ses convives est généreusement salué. Le sourire bien franc, la poigne bien sincère. Il dit simplement à chacun "Welcome home". Ce n'est pas son domicile mais c'est tout comme. Quand il convie finalement sa flopée de spectateurs à pénétrer dans la salle de concert, j'ai la soudaine impression d'entrer dans son salon. Comme s'il fallait se déchausser de peur d’abîmer le parquet ciré. J'entre sur la pointe des pieds et observe chaque détail du lieu. La salle, je dirais dans les 35m². Ni un caveau. Ni un club. A place.
Une grande photo de Billie, tenant entre ses mains le masque de ses racines musicale. Je dis alors à mon hôte : " c'est ma mère spirituelle". Il me répond, du tac o tac : "Et bien nous sommes frères".
Ayant préalablement posé à Bill quelques questions qui me brulaient la langue, le géant m'attrape par l'épaule, de sa grande paluche, et commence à me parler, sans ce soucier du déroulement de Son show. D'une prévenance hors du commun, il me fait asseoir à "la meilleure place pour l'acoustique" et me dit que nous aurons tout le temps pour palabrer après le concert. J'acquiesce sans broncher, ravi d'être là, alors que la musique ne s'est pas encore montrée.
Le salon est plein. Le vieux sax rouillé peut enfin prendre la parole.
Premier morceau annoncé : BLUES FOR OBAMA.
1-2. 1, 2, 3, 4. Du pûr Be-Bop.
La proximité est incroyable. Tous les musiciens sont sur une même ligne. On ne laisse pas le temps au son de se dissiper dans l'atmophère. On le prend en pleine figure. Il arrive fracassant, sans entraves, se pose sur nos tympans vierges qui en redemandent. On peut sentir les cordes de la contrebasses s'ébrouer dans l'abdomen, l'odeur salivaire du cuivre oxydé embaumer la pièce, le cristallin du piano répandre sa bruine sur nos visages contemplatifs. Puis, il entame Estate - composé par Bruno(s) Martino et Brighetti. Les papis, jusqu'alors peu locaces, laissent sortir de leurs bouches des raillements, des onomatopée convulsives. Les yeux mi-clos, ils laissent leurs corps fatigués se dandiner au son de cette musique de jouvence. La pièce prend soudainement la couleur bleue du jazz. Chacun semble aller mieux, s'oublie soi-même et nourrit son esprit de vide.
Bill SAXton un nom comme il ne s'invente pas. Sa musique est comme son physique, imposante, ronde et chaleureuse. Il porte le même Pork pie hat que Lester mais le grain de sa voix est plus proche de cet aigle de Coleman.
Auteur de plus de 80 compositions, faisant école dans l'apprentissage actuel du jazz, monsieur Bill ne parle pas du passé. J'eu écho de ses échanges musicaux enflammés avec Duke Ellington et Count Basie, Roy Haynes, Jackie McLean ou Clark Terry ; ou encore ses accompagnements des voix de Nancy Wilson, Carmen McRae, Roy Ayers ou Fats Wallers... il y en a tant. La voix de son saxophone parle pour lui. La complicité nouée avec ses accompagnateurs d'un soir en dit - également - long sur l'impact qu'il peut avoir aujourd'hui ; toujours dans l'immense quartier. Les musiciens talentueux le regarde comme un prophète. Comment se fait-il qu'il soit à ce point tombé dans l'oubli ?
BODY & SOUL vient clore le 1er set. Doucement, je ferme les yeux pour voir. Les perceptions de l'en-dedans sont comme la Vision enchantées de Stevie Wonder : ce sont des couleurs aveuglantes. Le quartet est rodé. L'amusement est complice. Les techniques de chacun n'éclatent qu'à l'attention des autres. Nous, spectateurs, sommes acteurs d'un évènement unique qui éclos - au soleil du regard - sans jamais flétrir.
Entre les deux sets, nous prenons un peu de temps pour papoter. C'est toujours mieux de parler après avoir écouter. Il finit en me disant de ne donner l'adresse qu'aux personnes de confiance. C'est chose faite.
Une expérience innoubliable. Vivement Vendredi !
vendredi 25 mars 2011
L'Espagne et Wynton Marsalis au Lincoln Center.
Le Jazz at Lincoln Center présente une suite espagnole venue de Nouvelle-Orléans.
Wynton Marsalis n'est pas un artiste qui a pour habitude de faire les choses à moitié. Trouvant passionnant le souhait exprimé par un de ses proches amis, « écris moi un blues », il passa plus de six années à réaliser ce projet ambitieux. Il s’attelle au travail d'une suite, une saga pourrait on dire, de compositions originales répertoriées en différents chapitres. Vitoria Suite l'a t-il appelé. Un travail en 12 parties, inspiré par les 12 mesures d'un blues. Il la connaît bien cette musique le jeune Wynton. Ellis (le père), Branford, Delfeayo, Jason (les frangins)… tous Marsalis, tous originaires de La Nouvelle-Orléans, le berceau du jazz. Il n'est donc pas étonnant que les héritiers de cette tradition continuent de célébrer en musique le patrimoine de leurs ancêtres. Depuis les années 30, la famille Marsalis préserve la culture néo-orléanaise de génération en génération.
Wynton utilisa donc cette essence du blues comme une clef de voûte, couronnant son œuvre, parfaisant sa grande fresque musicale. Pourtant, Le concept de cet album ne se confine pas qu'à cela. Chaque thème assimile les fondements d'une musique maîtresse dans une quête exploratrice, jusqu'aux abords d'autres contrées musicales. En gardant le cap dans son investigation sur ses racines musicales afro-américaine, il en vient à s’éprendre du folklore espagnols et basque. Le flamenco. Musique hybride, elle aussi. Si l'Histoire permis à la péninsule ibérique de goûter à des sonorités africaines, plus particulièrement arabes, elle fut également un des points de ralliement final du parcours incroyable des musiques indiennes, klezmer, roms, yiddish, tziganes, manouches...
Duke Ellington a dit que « la mémoire des choses du passé est primordiale pour les musiciens jazz, ce qui signifie que la conscience d'un héritage musical consolide l'essence de cette musique ».
Wynton dira : « Pour quelqu'un d'extérieur, ce n'est pas véritablement possible d'interpréter cette musique de la manière de ses exigences culturelles. Il était intéressant d'essayer de piocher des éléments de cette musique régionale et de la transcrire à la façon du Jazz. Ma musique. ». Il donna en réalité un accent à son blues. Une couleur musicale imprégnée d'Espagne. C'est pourquoi cette performance ne pouvait être enregistrée seulement par des musiciens américains. En plus d'une rencontre de cultures, Vitoria Suite est également une improbable rencontre humaine. Les jazzmen américains nouvelle génération se mêlent aux plus grands instrumentistes de l'Espagne. Le talentueux guitariste flamenc', Paco de Lucia, certainement le plus universel des musiciens espagnols, inimitable technicité émotionnelle, incomparable talent d'innovation. Et Chano Dominguez, l'un des pianistes qui a le plus œuvré pour la création du flamenco ; véritable explorateur intrépide naviguant de ses mélodies envoûtantes jusqu'aux aux frontières du jazz. En exergue, le quatrième mouvement de la Suite, Bulería El Portalón, mettant Paco et Chano particulièrement en évidence et témoignant alors de la puissance d'une collaboration multiculturelle. Si le premier disque est plus puissant que le second, c'est par l'émanation des percussions à la main, ligne de fond entêtante et décalée, l'une des plus parlantes originalités du projet. Paco, guide passionné, caractère sanguin, démiurge des sons et impressionnistes des paysages pelés d'Algesiras, insuffle un chant profond, résonnant dans chaque pièce de cuivre de la formation.
Gil Evans et Miles avaient déjà caressé les courbures alhambresques de la musique de Rodrigo et de Manuel de Falla. Jim Hall, Chet et Paul Desmond eux aussi avaient magnifiés le celèbre Concierto en une délicate peinture improvisée. Mais dans les deux cas, le jazz avait transposé une partition déjà écrite et lui avait donné une interprétation. D'une autre sorte, Charles Mingus avait réalisé sa suite Tijuana Moods et Duke Ellington sa Latin american suite. Dans le cas de Vitoria Suite, il n'y a pas eu d'adoption. Ce furent les deux cultures à l'unisson qui conçurent et interprétèrent une partition jamais encore jouée.
Ce n'est pas tout. Vitoria ? Pourquoi, au fait ?
Et bien, L'ami en question... oui, l'instigateur du projet, si vous suivez toujours ! L'ami, donc, s'appelle Iñaki Añua et n'est autre que le directeur du Festival international de jazz de Vitoria-Gasteiz, ayant accueillit à plusieurs reprises les membres du clan Marsalis. C'est à l'occasion des 25 ans du festival qu'il souhaitait une composition originale pour Vitoria. Cinq ans plus tard finalement, la Suite de Wynton devint, dans sa forme étendue, une nouvelle œuvre orchestrale rendant à la fois hommage à un Festival, mais aussi à une ville et à une culture à part entière.
Tous les classiques se rencontrent dans ce projet. Musique orchestrale européenne ; traditions gitanes, basques, andalouses ; musique blues afro-américaine. L'ensemble, une sorte de jazz, un langage universel tout simplement.
Ce projet tout en contrastes, enregistré en 2010, dans la mythique salle du Lincoln Center, revient réchauffer les murs du théâtre Rose pour trois soirs de représentations très attendues (31 mars, 1er et 2 avril). Tous complets. Demandez le débriefing...
JAZZ AT LINCOLN CENTER ORCHESTRA WITH WYNTON MARSALIS
Wynton Marsalis – Music director, trumpet.
Sean Jones, Ryan Kisor, Marcus Printup – Trumpets.
Vincent Gardner, Chris Crenshaw, Elliot Mason – Trombones
Sherman Irby – Alto saxophone
Ted Nash – Alto and soprano saxophones, clarinet
Walter Blanding Jr. – Tenor and soprano saxophones, clarinet
Victor Goines – Tenor and soprano saxophones, Bb clarinet, bass clarinet
Joe Temperley – Baritone and soprano saxophones, bass clarinet
Dan Nimmer – Piano
Carlos Henriquez – Bass
Ali Jackson – Drums.
SPECIAL GUESTS
Paco de Lucia – Guitar (Mvt. IV, VIII)
Chano Dominguez – Piano (Mvt. VI)
Israel Suarez “El Piraña” – Percussion (Mvt. VI)
Tomás Moreno “Tomasito” – Jaleo, clapping and dance (Mvt. VI)
Blas Cordoba “El Kejio” – Jaleo and clappings (Mvt. VI)
Avant goût :
Wynton Marsalis n'est pas un artiste qui a pour habitude de faire les choses à moitié. Trouvant passionnant le souhait exprimé par un de ses proches amis, « écris moi un blues », il passa plus de six années à réaliser ce projet ambitieux. Il s’attelle au travail d'une suite, une saga pourrait on dire, de compositions originales répertoriées en différents chapitres. Vitoria Suite l'a t-il appelé. Un travail en 12 parties, inspiré par les 12 mesures d'un blues. Il la connaît bien cette musique le jeune Wynton. Ellis (le père), Branford, Delfeayo, Jason (les frangins)… tous Marsalis, tous originaires de La Nouvelle-Orléans, le berceau du jazz. Il n'est donc pas étonnant que les héritiers de cette tradition continuent de célébrer en musique le patrimoine de leurs ancêtres. Depuis les années 30, la famille Marsalis préserve la culture néo-orléanaise de génération en génération.
Wynton utilisa donc cette essence du blues comme une clef de voûte, couronnant son œuvre, parfaisant sa grande fresque musicale. Pourtant, Le concept de cet album ne se confine pas qu'à cela. Chaque thème assimile les fondements d'une musique maîtresse dans une quête exploratrice, jusqu'aux abords d'autres contrées musicales. En gardant le cap dans son investigation sur ses racines musicales afro-américaine, il en vient à s’éprendre du folklore espagnols et basque. Le flamenco. Musique hybride, elle aussi. Si l'Histoire permis à la péninsule ibérique de goûter à des sonorités africaines, plus particulièrement arabes, elle fut également un des points de ralliement final du parcours incroyable des musiques indiennes, klezmer, roms, yiddish, tziganes, manouches...
Duke Ellington a dit que « la mémoire des choses du passé est primordiale pour les musiciens jazz, ce qui signifie que la conscience d'un héritage musical consolide l'essence de cette musique ».
Wynton dira : « Pour quelqu'un d'extérieur, ce n'est pas véritablement possible d'interpréter cette musique de la manière de ses exigences culturelles. Il était intéressant d'essayer de piocher des éléments de cette musique régionale et de la transcrire à la façon du Jazz. Ma musique. ». Il donna en réalité un accent à son blues. Une couleur musicale imprégnée d'Espagne. C'est pourquoi cette performance ne pouvait être enregistrée seulement par des musiciens américains. En plus d'une rencontre de cultures, Vitoria Suite est également une improbable rencontre humaine. Les jazzmen américains nouvelle génération se mêlent aux plus grands instrumentistes de l'Espagne. Le talentueux guitariste flamenc', Paco de Lucia, certainement le plus universel des musiciens espagnols, inimitable technicité émotionnelle, incomparable talent d'innovation. Et Chano Dominguez, l'un des pianistes qui a le plus œuvré pour la création du flamenco ; véritable explorateur intrépide naviguant de ses mélodies envoûtantes jusqu'aux aux frontières du jazz. En exergue, le quatrième mouvement de la Suite, Bulería El Portalón, mettant Paco et Chano particulièrement en évidence et témoignant alors de la puissance d'une collaboration multiculturelle. Si le premier disque est plus puissant que le second, c'est par l'émanation des percussions à la main, ligne de fond entêtante et décalée, l'une des plus parlantes originalités du projet. Paco, guide passionné, caractère sanguin, démiurge des sons et impressionnistes des paysages pelés d'Algesiras, insuffle un chant profond, résonnant dans chaque pièce de cuivre de la formation.
Gil Evans et Miles avaient déjà caressé les courbures alhambresques de la musique de Rodrigo et de Manuel de Falla. Jim Hall, Chet et Paul Desmond eux aussi avaient magnifiés le celèbre Concierto en une délicate peinture improvisée. Mais dans les deux cas, le jazz avait transposé une partition déjà écrite et lui avait donné une interprétation. D'une autre sorte, Charles Mingus avait réalisé sa suite Tijuana Moods et Duke Ellington sa Latin american suite. Dans le cas de Vitoria Suite, il n'y a pas eu d'adoption. Ce furent les deux cultures à l'unisson qui conçurent et interprétèrent une partition jamais encore jouée.
Ce n'est pas tout. Vitoria ? Pourquoi, au fait ?
Et bien, L'ami en question... oui, l'instigateur du projet, si vous suivez toujours ! L'ami, donc, s'appelle Iñaki Añua et n'est autre que le directeur du Festival international de jazz de Vitoria-Gasteiz, ayant accueillit à plusieurs reprises les membres du clan Marsalis. C'est à l'occasion des 25 ans du festival qu'il souhaitait une composition originale pour Vitoria. Cinq ans plus tard finalement, la Suite de Wynton devint, dans sa forme étendue, une nouvelle œuvre orchestrale rendant à la fois hommage à un Festival, mais aussi à une ville et à une culture à part entière.
Tous les classiques se rencontrent dans ce projet. Musique orchestrale européenne ; traditions gitanes, basques, andalouses ; musique blues afro-américaine. L'ensemble, une sorte de jazz, un langage universel tout simplement.
Ce projet tout en contrastes, enregistré en 2010, dans la mythique salle du Lincoln Center, revient réchauffer les murs du théâtre Rose pour trois soirs de représentations très attendues (31 mars, 1er et 2 avril). Tous complets. Demandez le débriefing...
JAZZ AT LINCOLN CENTER ORCHESTRA WITH WYNTON MARSALIS
Wynton Marsalis – Music director, trumpet.
Sean Jones, Ryan Kisor, Marcus Printup – Trumpets.
Vincent Gardner, Chris Crenshaw, Elliot Mason – Trombones
Sherman Irby – Alto saxophone
Ted Nash – Alto and soprano saxophones, clarinet
Walter Blanding Jr. – Tenor and soprano saxophones, clarinet
Victor Goines – Tenor and soprano saxophones, Bb clarinet, bass clarinet
Joe Temperley – Baritone and soprano saxophones, bass clarinet
Dan Nimmer – Piano
Carlos Henriquez – Bass
Ali Jackson – Drums.
SPECIAL GUESTS
Paco de Lucia – Guitar (Mvt. IV, VIII)
Chano Dominguez – Piano (Mvt. VI)
Israel Suarez “El Piraña” – Percussion (Mvt. VI)
Tomás Moreno “Tomasito” – Jaleo, clapping and dance (Mvt. VI)
Blas Cordoba “El Kejio” – Jaleo and clappings (Mvt. VI)
Avant goût :
jeudi 24 mars 2011
Chat noir, chat banc. R.I.P.
Cette semaine, personne n'a pu passer à côté de la disparition d'Elizabeth Taylor, star holywoodienne flamboyante aux yeux d'émeraudes. Je la revoie, Cléopâtre , féline sur le toît brûlant... Richard Burton savait quel genre de femelle c'était. Mariée 8 fois, avec 7 hommes différents, elle évoquait pour moi le doux souvenir du grand cinéma américain.Les images, claires obscures, parfaitements maîtrisées par le maître Joseph L. Mankiewicz (réalisateur du Limier) adaptant la pièce de Tennessee Williams : Suddenly, last summer. La jeune femme au visage nacré, grand sourire framboise, merveilleux regard bleu azur, n'était plus à l'image depuis bien longtemps. En raison d'une santé précaire, la belle s'était retirée et, à jamais, serait figée dans une époque. Ne voulant la voir vieillir, GEANTE LIZ, du haut de ses 79 années, garderait toujours pour moi le visage de cette poupée si charismatique...
Et la grande chanteuse soul Loleatta Holloway, elle aussi, s'en est allée. Elle n'avait que 61 ans, et pourtant des heures innombrables de dance floor dans les pattes. Elle fut certainement une des voix les plus puissantes, charismatique et symbolique des années 70. Mais, avant de faire trémousser le Studio 54 et d'être un des symboles de la révolution sexuelle, elle fit ses preuves dans les églises de son Chicago natal, où elle y chantait les gospels dirigés par sa mère. Nourrie à la Soul music et aux standards de la Mowtown, elle se lance, très jeune, dans une carrière de chanteuse et signe chez Aware Records au début des années 70. Seulement deux disques, mais ce qu'il y a certainement de plus pûr dans toute sa carrière. Un son qui n'existait nul par ailleurs.
Sur une lancée effrénée, elle enregistre six albums studios aux sonorités nouvelles, entre 1973 et 1980. En 1976, elle signe avec le label Gold Mind et bat des records de vente, entre autre grâce à la fraicheur du single Dreaming, qui lança très rapidement sa carière de chanteuse populaire. Epaulée par le producteur Floyd Smith, qui deviendra, quelques années plus tard, son mari, Loleatta se lance dans un registre post-soul, disco et explose litteralement de sa voix puissante aux accents félins. Sa reprise de Rainbow 71, tube de Curtis Mayfield, est le point de départ d'une carrière aux identités black & soul. A la fin des années 70, elle signe avec le label culte SALSOUL et prend tout son envol. Love Sensation, un de ses plus gros tubes, la propulse au sommet d'une musique disco qui la sacrera reine, avant même l'arrivée de Donna Summer. Ce single fera la tournée de toutes les boites de nuits et sera, quelques années plus tard samplé par le groupe anglais Black Box qui prendra la tête du box-office. Adulée par le monde de la nuit, celui des clubs branchés de la fin des 70's, sa voix, mêlée aux mélodies du Salsoul Orchestra ou de Don Hartman, la porta sur une vague populaire et insouciante.
Si elle sombra dans l'oubli lors de l'arrivée du compact disque, Loleatta Holloway fut remise au goût du jour, au début des années 90, par la house music et le hip-hop, qui la samplèrent tout azimut. De Mark & the Funky Bunch à Blackbox, en passant par KRS-One, Paperclip People... et tant d'autres s'étant allègrement servis dans le répertoire de cette voix de chatte noire ébouriffée.
Et la grande chanteuse soul Loleatta Holloway, elle aussi, s'en est allée. Elle n'avait que 61 ans, et pourtant des heures innombrables de dance floor dans les pattes. Elle fut certainement une des voix les plus puissantes, charismatique et symbolique des années 70. Mais, avant de faire trémousser le Studio 54 et d'être un des symboles de la révolution sexuelle, elle fit ses preuves dans les églises de son Chicago natal, où elle y chantait les gospels dirigés par sa mère. Nourrie à la Soul music et aux standards de la Mowtown, elle se lance, très jeune, dans une carrière de chanteuse et signe chez Aware Records au début des années 70. Seulement deux disques, mais ce qu'il y a certainement de plus pûr dans toute sa carrière. Un son qui n'existait nul par ailleurs.
Sur une lancée effrénée, elle enregistre six albums studios aux sonorités nouvelles, entre 1973 et 1980. En 1976, elle signe avec le label Gold Mind et bat des records de vente, entre autre grâce à la fraicheur du single Dreaming, qui lança très rapidement sa carière de chanteuse populaire. Epaulée par le producteur Floyd Smith, qui deviendra, quelques années plus tard, son mari, Loleatta se lance dans un registre post-soul, disco et explose litteralement de sa voix puissante aux accents félins. Sa reprise de Rainbow 71, tube de Curtis Mayfield, est le point de départ d'une carrière aux identités black & soul. A la fin des années 70, elle signe avec le label culte SALSOUL et prend tout son envol. Love Sensation, un de ses plus gros tubes, la propulse au sommet d'une musique disco qui la sacrera reine, avant même l'arrivée de Donna Summer. Ce single fera la tournée de toutes les boites de nuits et sera, quelques années plus tard samplé par le groupe anglais Black Box qui prendra la tête du box-office. Adulée par le monde de la nuit, celui des clubs branchés de la fin des 70's, sa voix, mêlée aux mélodies du Salsoul Orchestra ou de Don Hartman, la porta sur une vague populaire et insouciante.
Si elle sombra dans l'oubli lors de l'arrivée du compact disque, Loleatta Holloway fut remise au goût du jour, au début des années 90, par la house music et le hip-hop, qui la samplèrent tout azimut. De Mark & the Funky Bunch à Blackbox, en passant par KRS-One, Paperclip People... et tant d'autres s'étant allègrement servis dans le répertoire de cette voix de chatte noire ébouriffée.
mercredi 23 mars 2011
HARLEM STORY - part. 2. Le burlesque !
Sortez découverts !
Avant d'être le lieu servant l'expression artistique de la cause noire, l'Apollo Theater, originellement nommé l'Apollo Hall dans les années 1860, devint, en 1913, le Hurting & Seamon's New Burlesque Theater, en l'honneur de Jules Hurtig et Harry Seamons. Tenu à l'époque par des familles juives, nouvellement installées, ce lieu occupa une place de premier ordre dans l'identité culturelle du quartier. Si ce n'est pas encore à l'époque une salle ouverte aux "minorités ethniques", la place géographique sur laquelle il est implanté deviendra progressivement un haut-lieu de l'évolution de moeurs, inspirant le pays tout entier. Panthéon de la culture libre, une nouvelle musique y été jouée, une nouvelle façon de danser, un jeu de l'esprit, dans la folie ravageuse des 20's. Avant le swing, un courant artistique tout à fait particulier est remis au goût du jour ; intégré ; assimilé ; modifier : il s'agit du syncrétique burlesque.
Issu de l'Italie du XVIIe siècle, cette grande "plaisanterie" était, à l'origine, un genre littéraire comique, familier, parfois vulgaire pour l'époque. C'est dans l'originale liberté de ce courant artistique européen, que la culture noire américaine puisa sa sève créatrice. les même fondamentaux étaient empruntés, le même ancrage à la provocation, à l'effet de surprise et à l'usage de la farce décalée. L'histoire pu se renouveler et se transposer entre deux cultures que tout semblait opposer. Renaissance harlemienne va de pair avec émancipation et affirmation de la civilisation noire-américaine.
Sur les affiches, on y voit, pour la première fois, des hommes et femmes de couleurs, fiers, élégants et sexy. Car le burlesque est avant tout une histoire de fesses. Il faut les montrer, mais pas de n'importe quelle façon. Qu'elles fassent envies – aux blancs becs aussi. Que l'identité noire sorte de l'ombre et prenne le clair chemin de l'affranchissement. Cette piste caillouteuse semée d'obstacles s'étendra sur plusieurs années. Mais le road movie d'une culture décalée allait entraîner dans son sillage un style vivant, libertaire.
Le burlesque, goût piment, sera annonciateur d'une cuisine artistique identitaire, bonne à savourer pour tous et dans tous pays.
Quand Joséphine Baker déploie, sur son déhanché aguicheur de femme du monde, sa jupe certie de bananes, c'est avant tout pour tourner en dérision la sottise des affiches Banania – "y'a (pas) bon !" Faisant de l'homme noir un phénomène de foire. Vous voulez du spectacle bestial ? Nous, les animaux, allons vous faire triquer, messieurs les culs blancs ! "Puisque je personnifie la sauvage sur scène, j'essaie d'être aussi civilisée que possible dans la vie." disait-elle.
Les artistes itinérants du monde du cirque emmènent alors en tournée des spectacles plus particulièrement destinés à un public averti.
Des prestations insolites mais aussi des girl-shows dans lesquels les artistes se dévoilent prennent naissance. Le burlesque s'inscrit tout à fait dans cette tradition du cirque ambulant, emmenant dans leurs caravanes des shows off, destinés à ramener des publics "avertis" à la fête. En marge du grand chapiteau, les cirques ont donc leurs side shows, où se produisent les freaks (les monstres de naissance), et les marvels ("les merveilles"), avaleurs de sabres et autres hommes-caoutchouc. Les filles aussi ont leur cirque à part : les girl-shows ou carny-shows ("spectacles de chair"). Et le strip tease naissait messieurs !
C'est ainsi que s'est développé le "Burlesque", un théâtre sans prétention et pas cher, un entertainment pour les masses, bien avant qu'Hollywood n'impose sa loi sur les loisirs populaires. Le "Burlesque" est simplement une caricature sans discours moral, une distorsion de la réalité qui n'a pour seul but que de faire rire ou d'émouvoir. Les shows des filles alternent avec des numéros comiques. Le Burlesque devait s'adresser aux plus humbles. Pas de scénarios. Juste une belle qui se déshabille. Dénominateur commun entre tous les hommes, ces sophisticated ladies, comme venues d'ailleurs, symbolisaient la perfection. Les journaux annonçaient leurs venues, et les ministres aussi se déplaçaient pour les applaudir.
Ce bref intermède culturel, typiquement ancré dans la société des folles années 20, allait rapidement s’essouffler et laisser place à des mouvements artistiques divergents.
Mais n'enterrons pas le burlesque si vite. Dans les années 1950, l'imagerie populaire du rock n'roll commence son ascension. Culture du bitume encore discidente, la ferveur rock aura ses star néo-burlesques. Lili St-Cyr, Anne Corio, Rose la Rose, Tempest Storm, Blaze Starr, Bettie Rowland ou Dixie Evans (se produisant encore à plus de 70 ans)... Dépoussiérer l'imagerie du début de siècle en le transformisant. les danseurs, les danseuses plutôt. A moins que ce ne soit des danseuses ? Bref, ceux qui se dandinent de façon affriolante, sont de plus en plus légèrement vêtus. Dans cette culture décadente tout ce qui était interdit à ciel ouvert était permis dans ces "paradis sexaux". Le néo-burlesque rendait à la fois hommage aux spectacles légers des cabarets de Paris, devenus depuis mondialement célèbres (Folies Bergères, Moulin Rouge, Chat Noir et tutti quanti...), mais aussi aux shows urbains auxquels on pouvait assister, à la sauvette, dans des lieux pas très bien fréquenté mais où tout le monde voulait en fait aller, que tout le monde connaissait. Chaque star d'Hollywood avait son sosie. Anita Ekberg avait sa version "hot", comme Jane Russell et même Jackie Kennedy. D'autres jouaient les Marilyn...
Cependant, tandis que la culture rock se développe, les styles musicaux qui en émanent se diversifient et s'en éloignent finalement. Dans les années 1970, le burlesque est marginalisé jusqu'au point de disparaître, une fois de plus. La télévision propose des divertissements beaucoup moins onéreux et la vulgarisation du nu se banalise, les revues de nu se démocratisent. Le rapport à l'image change si vite. Le désuet burlesque n'amuse et ne choque plus personne. Les gars peuvent regarder des films X chez eux, par correspondance ou - plus tard - sur le net. Pourquoi se déplaceraient-ils pour voir une fille qui met 30 minutes à se déshabiller ? Parce que. Rien a voir !
Revival. Les années 1980 voient un retour de styles musicaux s'approchant du rock 'n' roll des origines. Puisant dans leur inspiration rockabilly, post-punk, new wave des éléments de dérisions propres au burlesque.
Autour de ces styles, les icônes associées aux années 1950 reviennent elles aussi : tatouages, Betty Boop et autres pin-ups tex averiennes. Les big band de Brian Setzer jouent dans des décors pailletés, surannés, et font des émules. Petit à petit s'effectue un rapprochement entre tous ces styles artistiques.
Curieusement, une mode revient toujours, de façon cyclique, au goût du jour. Ce qui has-been à un moment devient IN peu de temps après. Depuis le début des années 90, un retour d'images populaires désuètes et longtemps considérées comme vulgaires relance le mouvement burlesque sous sa forme actuelle. Dans tous les États-Unis, des groupes d'artistes recréent l'ambiance des spectacles originels. La troupe du Velvet Hammer relance l'effeuillage burlesque en 1990. La photographe Katharina Bosse décide alors de s'immerger dans ce nouveau courant érotico-artistique et le fait découvrir en Europe grâce à un ouvrage homonyme : New Burlesque. Cette médiatisation complètement inscrite dans l'imagerie contemporaine, donne naissance, en 2001, à un festival de strip tease burlesque réunissant plus de 200 artistes, le Tease-O-Rama de San Francisco. En 2009, Gentry de Paris écrit, conçoit et danse dans La Gentry de Paris Revue avec Dita Von Teese. Une grande revue qui met en avant des prestations burlesques.
Little Richard. Les New-York Dolls. Kiss. Priscillia folle du désert. Lady Gaga. Dita Von Tease... sont des formes du burlesque, évoluant au gré de leurs époques respectives. Chaque génération développant ses propres besoins en burlesquerie et en curiosités de tout ordre.
En 2010, le succès critique et public du film TOURNEE, avec plus de 500000 entrées en France, a participé également à la médiatisation et à la reconnaissance de cette forme de cabaret, sauvage.
UN SOIR A DUANE PARK
157 Duane Street,
Entre West Broadway et Hudson Street.
Restons un moment sur le film Tournée. Où Mathieu Amalric a t-il trouvé ses étonnantes actrices-chanteuses-danseuses-stripteaseuses-humoristes ? Entre autre ici, dans ce lieu d'initiés : LE DUANE PARK.
J'y étais invité, complètement par hasard, pour retrouver un musicien de jazz. Ce dernier jouait dans le groupe du cabaret depuis plusieurs mois. Chaque samedi, un nouveau show, "pour t'en mettre plein les mirettes" me dit-il.
Bien loin des caveaux jazz à la new-yorkaise ? Pas si sur. Rien en ce lieu n'est décadent, tout est ostentatoire. Mais l'agencement et la décoration sont réalisés avec goût, classe plutôt. "Les yeux grand fermés", me voici, plongeant dans l'univers subtilement lubrique de Stanley. Bougies sur les grands chandeliers d'époque, tables rondes en verre et fer forgé, millefiories, bouquets de lys blancs enveloppés dans de somptueuses fresques murales, blanc et bleu, roccoco... L'image du maître des lieux qui me reçoit, de sont complet pied-de-poule trois pièces, me transpose immédiatement dans l'imaginaire d'une époque libérée. "Bonjour Mônsieur !" (en français, évidemment).
Un petit bonhomme, tout rondouillet, avec des moustaches d'adolescent pubère, fait son entrée. Sapé comme un prince, il interpelle la salle et se lance dans un stand-up de grande qualité. So typique ! Le petit bonhomme est une sacrée bonne femme. Humour décapant. Rien dans sa prestation ne laisse entrevoir sa féminité. Très subtilement accompagnée par le jazz band, en maître de cérémonie avisée, elle appelle une à une les beautés (blurp !) aux rondes formes oblongues.
Toutes ces femmes, loin d'effleurer toute forme de prostitution, sont des icônes populaires, connues dans le pays entiers. Elle font des émules sur leur passage. La semaine passée Quentin Tarantino et Harvey Keitel y passaient une soirée, en anonymes. Celle d'avant c'était Lady Gaga, qui parait-il insista pour elle aussi pousser sa chansonnette.
Nous pouvons parler d'art tant chaque mouvement de lèvre, chaque dé-ficelage de soutien gorge est travaillé dans l'unique objet de susciter admiration, joie et désir chez le spectateur pataud, s'imaginant intérieurement exécuter le même exercice à la maison...
Pourtant elles offrent sous leurs revers des canons de beautés bien particuliers. Sous leurs beaux dessous affriolants, leurs portes jarretelles dentelles et leurs boas de plumes d'oie, se dissimulent des chaires rebondies, de bons cuissots bien nourris, qu'un oeil d'aveugle ne pourrait éviter. Démesure, toutes, dans leurs différentes identités, renvoient aux critères esthétiques d'une autre époque. Exit les anorexiques anémiée. Faut que ça rebondissent !
Avant d'être le lieu servant l'expression artistique de la cause noire, l'Apollo Theater, originellement nommé l'Apollo Hall dans les années 1860, devint, en 1913, le Hurting & Seamon's New Burlesque Theater, en l'honneur de Jules Hurtig et Harry Seamons. Tenu à l'époque par des familles juives, nouvellement installées, ce lieu occupa une place de premier ordre dans l'identité culturelle du quartier. Si ce n'est pas encore à l'époque une salle ouverte aux "minorités ethniques", la place géographique sur laquelle il est implanté deviendra progressivement un haut-lieu de l'évolution de moeurs, inspirant le pays tout entier. Panthéon de la culture libre, une nouvelle musique y été jouée, une nouvelle façon de danser, un jeu de l'esprit, dans la folie ravageuse des 20's. Avant le swing, un courant artistique tout à fait particulier est remis au goût du jour ; intégré ; assimilé ; modifier : il s'agit du syncrétique burlesque.
Issu de l'Italie du XVIIe siècle, cette grande "plaisanterie" était, à l'origine, un genre littéraire comique, familier, parfois vulgaire pour l'époque. C'est dans l'originale liberté de ce courant artistique européen, que la culture noire américaine puisa sa sève créatrice. les même fondamentaux étaient empruntés, le même ancrage à la provocation, à l'effet de surprise et à l'usage de la farce décalée. L'histoire pu se renouveler et se transposer entre deux cultures que tout semblait opposer. Renaissance harlemienne va de pair avec émancipation et affirmation de la civilisation noire-américaine.
Sur les affiches, on y voit, pour la première fois, des hommes et femmes de couleurs, fiers, élégants et sexy. Car le burlesque est avant tout une histoire de fesses. Il faut les montrer, mais pas de n'importe quelle façon. Qu'elles fassent envies – aux blancs becs aussi. Que l'identité noire sorte de l'ombre et prenne le clair chemin de l'affranchissement. Cette piste caillouteuse semée d'obstacles s'étendra sur plusieurs années. Mais le road movie d'une culture décalée allait entraîner dans son sillage un style vivant, libertaire.
Le burlesque, goût piment, sera annonciateur d'une cuisine artistique identitaire, bonne à savourer pour tous et dans tous pays.
Quand Joséphine Baker déploie, sur son déhanché aguicheur de femme du monde, sa jupe certie de bananes, c'est avant tout pour tourner en dérision la sottise des affiches Banania – "y'a (pas) bon !" Faisant de l'homme noir un phénomène de foire. Vous voulez du spectacle bestial ? Nous, les animaux, allons vous faire triquer, messieurs les culs blancs ! "Puisque je personnifie la sauvage sur scène, j'essaie d'être aussi civilisée que possible dans la vie." disait-elle.
Les artistes itinérants du monde du cirque emmènent alors en tournée des spectacles plus particulièrement destinés à un public averti.
Des prestations insolites mais aussi des girl-shows dans lesquels les artistes se dévoilent prennent naissance. Le burlesque s'inscrit tout à fait dans cette tradition du cirque ambulant, emmenant dans leurs caravanes des shows off, destinés à ramener des publics "avertis" à la fête. En marge du grand chapiteau, les cirques ont donc leurs side shows, où se produisent les freaks (les monstres de naissance), et les marvels ("les merveilles"), avaleurs de sabres et autres hommes-caoutchouc. Les filles aussi ont leur cirque à part : les girl-shows ou carny-shows ("spectacles de chair"). Et le strip tease naissait messieurs !
C'est ainsi que s'est développé le "Burlesque", un théâtre sans prétention et pas cher, un entertainment pour les masses, bien avant qu'Hollywood n'impose sa loi sur les loisirs populaires. Le "Burlesque" est simplement une caricature sans discours moral, une distorsion de la réalité qui n'a pour seul but que de faire rire ou d'émouvoir. Les shows des filles alternent avec des numéros comiques. Le Burlesque devait s'adresser aux plus humbles. Pas de scénarios. Juste une belle qui se déshabille. Dénominateur commun entre tous les hommes, ces sophisticated ladies, comme venues d'ailleurs, symbolisaient la perfection. Les journaux annonçaient leurs venues, et les ministres aussi se déplaçaient pour les applaudir.
Ce bref intermède culturel, typiquement ancré dans la société des folles années 20, allait rapidement s’essouffler et laisser place à des mouvements artistiques divergents.
Mais n'enterrons pas le burlesque si vite. Dans les années 1950, l'imagerie populaire du rock n'roll commence son ascension. Culture du bitume encore discidente, la ferveur rock aura ses star néo-burlesques. Lili St-Cyr, Anne Corio, Rose la Rose, Tempest Storm, Blaze Starr, Bettie Rowland ou Dixie Evans (se produisant encore à plus de 70 ans)... Dépoussiérer l'imagerie du début de siècle en le transformisant. les danseurs, les danseuses plutôt. A moins que ce ne soit des danseuses ? Bref, ceux qui se dandinent de façon affriolante, sont de plus en plus légèrement vêtus. Dans cette culture décadente tout ce qui était interdit à ciel ouvert était permis dans ces "paradis sexaux". Le néo-burlesque rendait à la fois hommage aux spectacles légers des cabarets de Paris, devenus depuis mondialement célèbres (Folies Bergères, Moulin Rouge, Chat Noir et tutti quanti...), mais aussi aux shows urbains auxquels on pouvait assister, à la sauvette, dans des lieux pas très bien fréquenté mais où tout le monde voulait en fait aller, que tout le monde connaissait. Chaque star d'Hollywood avait son sosie. Anita Ekberg avait sa version "hot", comme Jane Russell et même Jackie Kennedy. D'autres jouaient les Marilyn...
Cependant, tandis que la culture rock se développe, les styles musicaux qui en émanent se diversifient et s'en éloignent finalement. Dans les années 1970, le burlesque est marginalisé jusqu'au point de disparaître, une fois de plus. La télévision propose des divertissements beaucoup moins onéreux et la vulgarisation du nu se banalise, les revues de nu se démocratisent. Le rapport à l'image change si vite. Le désuet burlesque n'amuse et ne choque plus personne. Les gars peuvent regarder des films X chez eux, par correspondance ou - plus tard - sur le net. Pourquoi se déplaceraient-ils pour voir une fille qui met 30 minutes à se déshabiller ? Parce que. Rien a voir !
Revival. Les années 1980 voient un retour de styles musicaux s'approchant du rock 'n' roll des origines. Puisant dans leur inspiration rockabilly, post-punk, new wave des éléments de dérisions propres au burlesque.
Autour de ces styles, les icônes associées aux années 1950 reviennent elles aussi : tatouages, Betty Boop et autres pin-ups tex averiennes. Les big band de Brian Setzer jouent dans des décors pailletés, surannés, et font des émules. Petit à petit s'effectue un rapprochement entre tous ces styles artistiques.
Curieusement, une mode revient toujours, de façon cyclique, au goût du jour. Ce qui has-been à un moment devient IN peu de temps après. Depuis le début des années 90, un retour d'images populaires désuètes et longtemps considérées comme vulgaires relance le mouvement burlesque sous sa forme actuelle. Dans tous les États-Unis, des groupes d'artistes recréent l'ambiance des spectacles originels. La troupe du Velvet Hammer relance l'effeuillage burlesque en 1990. La photographe Katharina Bosse décide alors de s'immerger dans ce nouveau courant érotico-artistique et le fait découvrir en Europe grâce à un ouvrage homonyme : New Burlesque. Cette médiatisation complètement inscrite dans l'imagerie contemporaine, donne naissance, en 2001, à un festival de strip tease burlesque réunissant plus de 200 artistes, le Tease-O-Rama de San Francisco. En 2009, Gentry de Paris écrit, conçoit et danse dans La Gentry de Paris Revue avec Dita Von Teese. Une grande revue qui met en avant des prestations burlesques.
Little Richard. Les New-York Dolls. Kiss. Priscillia folle du désert. Lady Gaga. Dita Von Tease... sont des formes du burlesque, évoluant au gré de leurs époques respectives. Chaque génération développant ses propres besoins en burlesquerie et en curiosités de tout ordre.
En 2010, le succès critique et public du film TOURNEE, avec plus de 500000 entrées en France, a participé également à la médiatisation et à la reconnaissance de cette forme de cabaret, sauvage.
UN SOIR A DUANE PARK
157 Duane Street,
Entre West Broadway et Hudson Street.
Restons un moment sur le film Tournée. Où Mathieu Amalric a t-il trouvé ses étonnantes actrices-chanteuses-danseuses-stripteaseuses-humoristes ? Entre autre ici, dans ce lieu d'initiés : LE DUANE PARK.
J'y étais invité, complètement par hasard, pour retrouver un musicien de jazz. Ce dernier jouait dans le groupe du cabaret depuis plusieurs mois. Chaque samedi, un nouveau show, "pour t'en mettre plein les mirettes" me dit-il.
Bien loin des caveaux jazz à la new-yorkaise ? Pas si sur. Rien en ce lieu n'est décadent, tout est ostentatoire. Mais l'agencement et la décoration sont réalisés avec goût, classe plutôt. "Les yeux grand fermés", me voici, plongeant dans l'univers subtilement lubrique de Stanley. Bougies sur les grands chandeliers d'époque, tables rondes en verre et fer forgé, millefiories, bouquets de lys blancs enveloppés dans de somptueuses fresques murales, blanc et bleu, roccoco... L'image du maître des lieux qui me reçoit, de sont complet pied-de-poule trois pièces, me transpose immédiatement dans l'imaginaire d'une époque libérée. "Bonjour Mônsieur !" (en français, évidemment).
Un petit bonhomme, tout rondouillet, avec des moustaches d'adolescent pubère, fait son entrée. Sapé comme un prince, il interpelle la salle et se lance dans un stand-up de grande qualité. So typique ! Le petit bonhomme est une sacrée bonne femme. Humour décapant. Rien dans sa prestation ne laisse entrevoir sa féminité. Très subtilement accompagnée par le jazz band, en maître de cérémonie avisée, elle appelle une à une les beautés (blurp !) aux rondes formes oblongues.
Toutes ces femmes, loin d'effleurer toute forme de prostitution, sont des icônes populaires, connues dans le pays entiers. Elle font des émules sur leur passage. La semaine passée Quentin Tarantino et Harvey Keitel y passaient une soirée, en anonymes. Celle d'avant c'était Lady Gaga, qui parait-il insista pour elle aussi pousser sa chansonnette.
Nous pouvons parler d'art tant chaque mouvement de lèvre, chaque dé-ficelage de soutien gorge est travaillé dans l'unique objet de susciter admiration, joie et désir chez le spectateur pataud, s'imaginant intérieurement exécuter le même exercice à la maison...
Pourtant elles offrent sous leurs revers des canons de beautés bien particuliers. Sous leurs beaux dessous affriolants, leurs portes jarretelles dentelles et leurs boas de plumes d'oie, se dissimulent des chaires rebondies, de bons cuissots bien nourris, qu'un oeil d'aveugle ne pourrait éviter. Démesure, toutes, dans leurs différentes identités, renvoient aux critères esthétiques d'une autre époque. Exit les anorexiques anémiée. Faut que ça rebondissent !
mardi 22 mars 2011
HARLEM STORY - part. 1. LENOX LOUNGE
288 Lenox Avenue,
Malcolm X Boulevard
entre la 124th & 125th rue.
Harlem.
HIER.
L'historique Lenox Lounge fait partie de la communauté de Harlem depuis 1939. Cette cathédrale du jazz servit de scène à des musiciens de légende. Miles. Coltrane. Billie... Sa Zebra Room, magnifiquement décorée dans un style Renaissance, est l'image d'Epinal d'une vie de quartier. Elle fut d'ailleurs un lieu de passage fréquent pour Malcom X, qui donna son nom à l'Avenue qui abrite le club. Complètement restauré en 1999, dans un soucis de concervation de son âme originelle, tendance art-déco, le Lenox Lounge fut élu "best of the best" des clubs de jazz new-yorkais par la guide nocture Zagat Survey et par le N.Y Magazine. Lieu de restauration traditionnelle, tout est agencé ici pour servir la musique, rien que la musique, black d'origine, évidemment. Chaque soir, une programmation variée est offerte à une clientèle de quartier, à des touristes aventuriers ,eux-aussi passionnés par les sonorités de d'un nostalgique passé, eux-aussi en quête de découvrir de nouveaux artistes éloquents.
Servant de Q.G. À à Samuel L. Jackson dans le film remake SHAFT, mais également de cadre cinématographique pour plusieurs scènes du film AMERICAN GANGSTER, cette salle zébrée a été et demeure encore un lieu incontournable de l'histoire culturelle de Harlem.
AUJOURD'HUI.
Chaque soir un concert. De la soul, du swing, du pûr Be-bop, du jazz new generation, du traditionnel...
Eric Wyatt se produit en ce moment au Lenox. Comme celle de son saxophone, l'homme à la grosse voix remplie d'un son de rocaille l'arrière salle réservée aux amateurs de musique. Pûre et brute comme un joyau encore prisonnier de la roche minérale, son univers est inspiré par le mouvement de cette ville dans laquelle il est né, qu'il n'a jamais voulu quitter. Vivant à Brooklyn, ses voyages se font traditionnellement en musique. Ils prennent formes dans les rencontres d'un soir et dans les discours inspirés de ses compositions aux natures libres. En effet, l'essentiel de son répertoire est construit sur un jeu dit "ouvert", modal, enfanté par le théoricien Georges Russel et utilisé par de nombreux artistes tels que Coltrane (Love Supreme), Herbie Hancock (Maiden Voyage) ou Bill Evans (Piece peace). Ce type de construction permet de décloisonner les thèmes, leurs cadres mélodiques, et de libérer toute l'expressivité du soliste. Très inspiré dans sa tenue sonore par Sonny Rollins ou Dexter Gordon, son jeu me fit également beaucoup penser à celui de Dewey Redman.
Les coups d'oeils complices entre le pianiste vénézuelien Benito Gonzalez – compagnon de route d'Eric Wyatt–, et le drummer Shinnosuke Takahashi traduisent toute la complicité de ce quintet de haut vol. D'ailleurs, c'est bien le nouveau venu, cet incroyable batteur japonais, qui attira tous les regards ce soir. Un cheval au galop. Une tornade de rapidité : artillerie lourde, coups de mitraillettes, explosions d'obus. La tenue inpeccable de son groove up-tempo donne l'impression, dans ses grands mouvements fluides, qu'il pourfend l'air épais s'échappant des vapeurs liquoreuses Jameson. Pourtant, rien n'est jamais poussif dans son jeu rempli de spiritualité. Il plaque le rythme un brin avant que le temps ne tombe, ce qui provoque une sensation dansante, un swing qui ne jamais ne s’essouffle. Dans l'exécution rythmique, il est parfaitement secondé par le contrebassiste – lui-aussi japonais – Mutoki Mittaro, qui, de ses triples croches enchaînées, permet aux deux solistes de déployer toute leur expressivité d'improvisateurs. Formation extrêmement tonique et rieuse ; mélodies percutantes toutes faite de rebonds, de brisures, de découpages composées, remplissent la salle zébrée du Lenox. Le public envoûté s'embrase et laisse exploser sa belle émotion si spontannée.
Malcolm X Boulevard
entre la 124th & 125th rue.
Harlem.
HIER.
L'historique Lenox Lounge fait partie de la communauté de Harlem depuis 1939. Cette cathédrale du jazz servit de scène à des musiciens de légende. Miles. Coltrane. Billie... Sa Zebra Room, magnifiquement décorée dans un style Renaissance, est l'image d'Epinal d'une vie de quartier. Elle fut d'ailleurs un lieu de passage fréquent pour Malcom X, qui donna son nom à l'Avenue qui abrite le club. Complètement restauré en 1999, dans un soucis de concervation de son âme originelle, tendance art-déco, le Lenox Lounge fut élu "best of the best" des clubs de jazz new-yorkais par la guide nocture Zagat Survey et par le N.Y Magazine. Lieu de restauration traditionnelle, tout est agencé ici pour servir la musique, rien que la musique, black d'origine, évidemment. Chaque soir, une programmation variée est offerte à une clientèle de quartier, à des touristes aventuriers ,eux-aussi passionnés par les sonorités de d'un nostalgique passé, eux-aussi en quête de découvrir de nouveaux artistes éloquents.
Servant de Q.G. À à Samuel L. Jackson dans le film remake SHAFT, mais également de cadre cinématographique pour plusieurs scènes du film AMERICAN GANGSTER, cette salle zébrée a été et demeure encore un lieu incontournable de l'histoire culturelle de Harlem.
AUJOURD'HUI.
Chaque soir un concert. De la soul, du swing, du pûr Be-bop, du jazz new generation, du traditionnel...
Eric Wyatt se produit en ce moment au Lenox. Comme celle de son saxophone, l'homme à la grosse voix remplie d'un son de rocaille l'arrière salle réservée aux amateurs de musique. Pûre et brute comme un joyau encore prisonnier de la roche minérale, son univers est inspiré par le mouvement de cette ville dans laquelle il est né, qu'il n'a jamais voulu quitter. Vivant à Brooklyn, ses voyages se font traditionnellement en musique. Ils prennent formes dans les rencontres d'un soir et dans les discours inspirés de ses compositions aux natures libres. En effet, l'essentiel de son répertoire est construit sur un jeu dit "ouvert", modal, enfanté par le théoricien Georges Russel et utilisé par de nombreux artistes tels que Coltrane (Love Supreme), Herbie Hancock (Maiden Voyage) ou Bill Evans (Piece peace). Ce type de construction permet de décloisonner les thèmes, leurs cadres mélodiques, et de libérer toute l'expressivité du soliste. Très inspiré dans sa tenue sonore par Sonny Rollins ou Dexter Gordon, son jeu me fit également beaucoup penser à celui de Dewey Redman.
Les coups d'oeils complices entre le pianiste vénézuelien Benito Gonzalez – compagnon de route d'Eric Wyatt–, et le drummer Shinnosuke Takahashi traduisent toute la complicité de ce quintet de haut vol. D'ailleurs, c'est bien le nouveau venu, cet incroyable batteur japonais, qui attira tous les regards ce soir. Un cheval au galop. Une tornade de rapidité : artillerie lourde, coups de mitraillettes, explosions d'obus. La tenue inpeccable de son groove up-tempo donne l'impression, dans ses grands mouvements fluides, qu'il pourfend l'air épais s'échappant des vapeurs liquoreuses Jameson. Pourtant, rien n'est jamais poussif dans son jeu rempli de spiritualité. Il plaque le rythme un brin avant que le temps ne tombe, ce qui provoque une sensation dansante, un swing qui ne jamais ne s’essouffle. Dans l'exécution rythmique, il est parfaitement secondé par le contrebassiste – lui-aussi japonais – Mutoki Mittaro, qui, de ses triples croches enchaînées, permet aux deux solistes de déployer toute leur expressivité d'improvisateurs. Formation extrêmement tonique et rieuse ; mélodies percutantes toutes faite de rebonds, de brisures, de découpages composées, remplissent la salle zébrée du Lenox. Le public envoûté s'embrase et laisse exploser sa belle émotion si spontannée.
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